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Le 5 octobre 1990 au Togo vu de l’intérieur par Têko-Djolé Firmin YOVODEVI (Témoignage d’archives)

Publié le lundi 5 octobre 2020  |  Togoscoop & Alternative
Drapeau
© aLome.com par Edem Gadegbeku
Drapeau togolais
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Tout avait commencé à la veille de la clôture du 7e Conseil National du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais) tenu à Lomé en mars 1990. Et, bien avant cette mascarade du RPT, il y a eu trois dates qui accentuèrent l´éveil des consciences politico-sociales de l´étudiant togolais :


Le 5 octobre 1989, des manifestations populaires éclatèrent en Algérie. Le parti-État qui gouvernait ce pays fut obligé de faire des concessions importantes à son peuple quant à ce qui avait trait aux libertés publiques ;

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s´écroula après plusieurs manifestations populaires. Le régime de parti-État de la République Démocratique Allemande (RDA) fut défait. Ce qui marquera indéniablement le début de la fin du système politique de parti unique ;


En janvier 1990, des manifestations éclatèrent au Bénin voisin, obligeant le dictateur Mathieu KEREKOU à accepter la convocation d´une conférence nationale le 9 février 1990.


Dans la foulée de ces bouleversements historiques et sentant s’accumuler les ingrédients d’une probable explosion dans le climat de grogne latente qui régnait, le régime RPT de Gnassingbé EYADEMA convoqua alors son 7e Conseil national, afin d’anticiper et surtout de phagocyter tout désir de changement politique et démocratique des Togolais. Le communiqué final de ce Conseil national supposé servir d’exutoire aux aspirations des populations indiqua que le multipartisme intégral était réfuté au profit de la création de courants politiques au sein du parti unique – parti-État RPT. Bref, le RPT voulait en somme le beurre et l’argent du beurre et n’entendait même pas laisser au peuple le pain sec.

Cette décision scandaleuse prise dans un tel contexte sociopolitique international qui était au changement a été applaudie par le MONESTO (Mouvement des Étudiants et Stagiaires du Togo). Ce dernier, seul et principal regroupement étudiant autorisé jusque-là, convia par conséquent les étudiants à organiser des marches de soutien en faveur du RPT.

Sidéré et outré par cette ultime provocation qui tombait hors contexte, je me suis rendu chez mon camarade et ami d´enfance KLOUTSE François, étudiant en Mathématique. Il vivait à l´époque dans la villa GAKPARA non loin du CERFER (Centre Régional de Formation pour Entretien Routier). Ensemble nous avions convenu de mettre sur pied un mouvement pour contrer le MONESTO et ses satellites, pour combattre le régime dictatorial du Général EYADEMA Gnassingbé.

L’objectif visé était d’offrir au peuple du Togo une gestion saine des deniers publics, les libertés fondamentales, etc. L’hymne du Togo indépendant ne nous y conviait-il pas sans détours lorsqu’il disait notamment :


…Seuls artisans de ton bonheur, ainsi que de ton avenir,
Brisons partout les chaînes de la traîtrise,
Et nous te jurons toujours fidélité,
Et aimer servir, se dépasser,
Faire encore de toi sans nous lasser,
Togo chéri, l’or de l’humanité.

« C´était pour moi un rêve d´enfance de combattre l’injustice, de m’engager pour un lendemain meilleur, de travailler pour la postérité au prix de grands sacrifices…

En effet, lors de la visite du Président français Georges Pompidou en 1972, j´ai été envoyé faire la haie pour les deux présidents au niveau de l´Ecole primaire de la Mission de Tokoin-GBADAGO. J´avais à l´époque six ans. Cette pratique était systématique lors des visites d’État où, entre autres, les enfants des écoles primaires sont déplacés, doivent parcourir à l’occasion des kilomètres et des kilomètres puis sont exposés au chaud soleil des tropiques des heures et des heures durant.

Ce jour-là, je rentrai à la maison avec un mémorable et adorable drapeau togolais que je ne voulais céder à personne. Mais le soir, lors d´une discussion avec des grands frères du quartier, j’apprenais pour la première fois l´histoire de l´assassinat du président Sylvanus OLYMPIO, le père de l’indépendance du Togo, puis son remplacement de facto par celui-là même que je venais de saluer avec mon drapeau togolais. J´ai été choqué par la barbarie de l´acte et profondément déçu d´avoir applaudi son assassin. Quand j´avais voulu en parler avec ma mère, elle m’enjoignait de ne pas en parler, car c´était de la « politique ». Malheureusement pour elle, ce jour-là, naquit en moi un politicien muet qui attendit son heure pour se révéler. Cette attente dura 18 ans, pour éclore en 1990».

Dans la stratégie dont nous avions convenu avec mon ami KLOUTSE François, nous nous étions assignés la mission d´élargir le groupe en contactant des amis sûrs, capables de nous accompagner dans notre ligne de combat sans concession contre le MONESTO et ses satellites comme l´AMENTO (Amicale des Etudiants du Nord-Togo) et l´AMESUD (Amicale des Etudiants du Sud-Togo). Cette dernière avait été mise en veilleuse avant même l’année 1990, à cause de certaines de ses prises de position contre l’attribution des bourses d´études suivant des critères d’appartenance ethnique et de clientélisme.

Après plusieurs consultations, une réunion secrète eut lieu chez moi au quartier Tokoin-CERFER, le 23 mai 1990 á minuit, nuit durant laquelle le MELDT (Mouvement Estudiantin de Lutte pour la Démocratie au Togo) fut créé. Les participants à cette réunion étaient :
1- Têko-Djolé Firmin YOVODEVI ;
2- François KLOUTSE ;
3- Luc AFANOU ;
4- Bitchinidji KARAKORO ;
5- Nabine OUYI ;
6- Adjae Baole DJOBO ;
7- Sassou LOSSOU ;
8- Alfa Boda REHIM.

Le groupe décida une stratégie de mobilisation de masse avec notamment, dans le court terme, la confection et la distribution de tracts appelant les étudiants au soulèvement populaire. Il fut statué aussi un cloisonnement strict de nos activités obéissant aux règles suivantes :

Chaque membre du groupe fondateur doit créer des cellules autonomes avec à sa tète un
coordinateur (chef de cellule) ;
Chaque coordinateur devait recruter les membres de sa cellule sur une base de confiance, sans en référer à qui que ce soit. Cela permettra de déceler rapidement les fuites et par conséquent de limiter les dégâts en cas d´arrestation par la police politique d´EYADEMA ;
Chaque membre d’une cellule n´aura de contact qu´avec le chef ou coordinateur de sa cellule ;
Tout membre d´une cellule arrêté n´aurait ainsi la possibilité de dénoncer tout au plus que le seul coordinateur avec qui il est en contact. Le coordinateur, dans cette éventualité, a l´obligation de protéger le groupe fondateur dans toute la mesure du possible. Ainsi, les autres cellules, non affectées par la dénonciation, peuvent-elles continuer à opérer ;
En cas d´arrestation d´un chef de cellule ou du groupe fondateur, ce dernier a l´obligation de faire le nécessaire pour faire connaître rapidement sa situation aux autres membres. Il doit faire traîner les interrogatoires (en faisant du dilatoire) aussi longtemps que possible, afin que les autres puissent se mettre en sécurité.

Ce mécanisme avait fonctionné à merveille. Notre premier tract contre le MONESTO fut confectionné avec une machine mécanique et des feuilles de carbone pour en assurer la démultiplication. Par contre, nous n´avions pas pu multiplier assez nos écrits pour pouvoir atteindre un grand nombre de personnes et, conséquemment, leur effet a été limité. C’est ainsi que, par la suite, nous n´avions plus assez de moyens pour nos activités.

J’étais alors allé voir un ami du quartier dont je connaissais l’orientation politique. Il s´agit de Koffi DONANI. Je lui parlai de notre initiative et lui présentai quelques-uns de nos documents. Il me fit savoir qu´il appartenait déjà á un autre groupe d´étudiants affiliés á la CDPA (Convention Démocratique des Peuples Africains). Il me proposa de me mettre en contact avec le responsable de leur groupe, afin que nous coordonnions nos forces sur le campus. Il me donna quelques tracts de la branche estudiantine de la CDPA sur le campus universitaire, qui avait presque le même nom que celui que nous avions choisi, c´est-à-dire MELD.

Koffi DONANI m´emmena un midi au quartier Bè-Ahligo rencontrer le responsable en question, qui n´était autre que LOGO Dossouvi. A partir de ce moment-là, les choses se sont accélérées. LOGO Dossouvi avait une logistique formidable pour la confection professionnelle des tracts. Moi, je disposais de ressources humaines pouvant couvrir aisément tout le territoire national du Togo, de Lomé jusqu´à Dapaong. C´est la communion de ces deux éléments qui allait conduire à l´avènement du 5 octobre 1990.

Je fis un compte rendu de cette rencontre à mes camarades du groupe fondateur. Je leur indiquai aussi que, désormais, nos deux entités évolueront sur le terrain, à savoir :

CDPA (Convention Démocratique des Peuples Africains) ;
MELD (Mouvement Estudiantin de Lutte pour la Démocratie).

Au fil de mes rencontres avec LOGO Dossouvi, j’allais faire la connaissance d’une partie de ceux avec qui il travaillait. Il s’agit de Kossi EFOUI, Ablam AHADJI et Agbelenko DOGLO.

C´est ainsi que nous avions eu à distribuer des tracts politiques dans tout le Togo. Ces tracts traitaient de la situation sociopolitique du Togo et particulièrement des conditions des étudiants. Le 13 juillet 1990, peu avant minuit, les éléments du MELD réussiront à distribuer des milliers de tracts sur toute l’étendue du territoire togolais, sans qu´aucun d’entre eux n’ait été intercepté ou arrêté par les forces de l´ordre qui étaient pourtant en alerte. Ce fut une action spectaculaire, osée et réussie. Ainsi les villes de Lomé, Anécho, Tabligbo, Kpalimé, Atakpamé, Blitta, Sokodé, Tchamba, Kara, Bassar, Dapaong furent inondées de tracts.


LA MARCHE VERS L´ARRESTATION DES ETUDIANTS DU MELD :

INDICE 1 :Sur convocation de LOGO Dossouvi, je me rendis chez lui pour retirer les copies des derniers tracts que nous devrions distribuer un week-end. Quand j’arrivai chez lui, et contrairement à nos règles de fonctionnement, il n´était pas seul. Il était en compagnie d´un monsieur de très grande taille que je ne connaissais pas. Ce dernier s’était présenté comme collègue et ami d´EFOUI Kossi, et son nom était Hope KALEFE Kwadzo Ketomanya. Quelques minutes après qu’il est parti, j’indiquai immédiatement à LOGO Dossouvi que j’avais une sensation négative, presque prémonitoire, à l’égard de ce type. Il me persuada très vite et me rassura sur les bonnes intentions de son visiteur.

Notons en passant que Ketomanya, son nom Ewé, signifie littéralement en français « Ennemi
non décelé » ou «Traître non décelé»…

INDICE 2 :
Une autre fois, je rencontrai encore le même monsieur chez LOGO Dossouuvi. Ce qui me parut particulièrement bizarre, cette deuxième fois, était de le voir porter une jaquette fourrée (jaquette d´hiver) en plein midi. Et quand je lui posai la question de savoir pourquoi il était ainsi vêtu, il me répondit que
c’était parce qu´il faisait de la fièvre. Ce jour-là aussi, il déclara, entre autres, qu’il leur fallait le reste des armes de l’attaque du commando qui eut lieu le 23 septembre 1986 pour combattre le système.



INDICE 3 :

Sur invitation de LOGO Dossouvi, nous nous rendîmes dans un hôtel á Bè-Ahligo pour recevoir un appel téléphonique d´un représentant de la CDPA vivant á Paris. KALEFE Hope y était aussi. Dans l´hôtel, j´avais remarqué une affluence anormale. Et, par curiosité, j´observais scrupuleusement tout le monde. Un homme à moustache, accompagné d´une femme, avait retenu mon attention. Par la suite, j’identifierai formellement cet homme comme étant un commissaire de police à la Sûreté nationale.

INDICE 4 :


Le 30 juillet 1990, vers minuit, un neveu de ma mère dénommé DJOGBEMA Richard, qui était gendarme, accompagné d´un autre collègue gendarme, tous deux en tenue civile, rendirent une visite nocturne impromptue à mon domicile sis à Tokoin-CERFER. Ils discutaient avec ma mère quand je revins d´une séance de distribution nocturne des tracts dans les environs de Bè-Gare.

Je garai ma moto devant ma chambre et me joignis à eux par courtoisie. Cependant á la question de savoir pourquoi cette visite inopinée, il répondit en langue Ouatchi de Tchèkpo qu´ils cherchaient quelques bandits d´étudiants qui, la nuit, refusaient de dormir et préféraient distribuer des papiers de plaisanteries. Son collègue, d’ethnie Kabyè, n’ayant pas saisi ce qu´il venait de dire, chercha à en avoir la traduction. Le neveu de ma mère donna à son collègue une traduction totalement différente de ce qu´il avait dit préalablement en Ouatchi de Tchèkpo.

Je sus immédiatement alors que le message m’était assurément destiné et qu´il fallait réagir rapidement. Une fois qu’ils étaient partis, et après m’être assuré que ma mère s’était endormie, je poussai ma moto sans bruit hors de la maison et la trainai sur une bonne distance, contrairement à mes habitudes. Je voulais éviter que le bruit de démarrage du moteur aussi tard la nuit n’intrigue ou ne réveille des gens, surtout ma mère.

Je me rendis aussitôt chez Hilaire LOGO Dossouvi pour lui rendre compte de la situation. Je lui suggérai alors un arrêt immédiat de la distribution nocturne des tracts et la mise sur pied d´une stratégie de distribution en journée. Car, jusque-là, l’enquête de la gendarmerie et autres forces policières était plus orientée vers les distributeurs de tracts dans la rue, la nuit. Ainsi pourrions-nous vérifier aussi, si ce début d´enquête n´aurait pas pour origine une source intérieure renseignant à partir du groupe de LOGO Dossouvi.

INDICE 5 :

LOGO Dossouvi avait mis à ma disposition une machine à taper mécanique que j´avais cachée chez une étudiante en secrétariat de direction, membre du réseau MELD. Avec la machine en question, cette dernière nous faisait de façon professionnelle les mises en page de certains de nos tracts. Toutefois, le 15 août 1990, LOGO Dossouvi me demanda d´aller remettre la machine au sieur Hope KALEFE, dans sa maison à Tokoin-Séminaire, sous prétexte qu´il devait faire un travail important. J’arrivai chez lui sous une pluie battante et après trois pannes de moto inexpliquées, chemin faisant.

Je constatai alors qu’il était en compagnie d´un monsieur qu´il me présenta grossièrement comme étant son frère en service à l’OTP (Office Togolais des Phosphates) à Kpémé. Son présumé frère se révélera plus tard être l’un des policiers qui me questionna lors de mes interrogatoires aux Renseignements généraux d´Akodesséwa.

INDICE 6 !
Deux semaines avant mon arrestation, un ami étudiant collègue de faculté et membre indirect du MELD, voulait rendre visite á son frère qui était á l´époque professeur au Lycée de Vogan. Je lui ai proposé de l´accompagner avec ma moto pour mieux connaître la ville et profiter de l´occasion pour distribuer des tracts dans la localité.

Mais, avant notre départ de Lomé pour Vogan, l´ami en question m´a demandé de ne pas prendre sur moi les tracts parce qu´il ne trouvait pas l´occasion propice pour cela. Je me suis plié á sa volonté et nous avions pris la route.

Arrivé á l’entrée de Vogan, nous avions été stoppés á un barrage de la Gendarmerie où il nous a été reproché de conduire une moto sans permis. Emmenés au camp de la Gendarmerie de Vogan, nous avions été fouillés de fond en comble et enfermés avant d´être relâchés le lendemain sans aucune inculpation.

Ce n´est qu´après que je me suis rendu compte que nous avions été suivis depuis Lomé par les Renseignements Généraux et que le barrage de la Gendarmerie n´était qu´un scénario monté de toutes pièces pour m´arrêter en possession des tracts avec toutes les conséquences imaginables qui découleraient.

C´était une chance divine, d´avoir écouté et accepté, ce jour-là, les conseils de mon ami en évitant de prendre sur moi les tracts. Le destin semble être le seul maître capable véritablement de tuer. Les hommes de la terre ne sont que de possibles exécutants á son service.

LES ARRESTATIONS DU 23 AU 27 AOUT 1990 :


Dans la matinée du vendredi 24 août 1990, á 8H, des policiers en civil firent irruption chez moi, m’arrêtèrent et me conduisirent au Service des renseignements généraux d´Akodesséwa. Les policiers m´avaient informé que c´était LOGO Dossouvi qui m´avait cité dans une affaire de distribution de tracts. Pour être convaincu de ces affirmations, j´avais demandé á voir en personne LOGO Dossouvi. Je fus conduit dans une salle où il était effectivement, mais dans un état exécrable par contre, avec des traces de sang un peu partout. Dans un bureau en face, j’avais pu apercevoir et reconnaître la machine mécanique á écrire que j´avais transmise au sieur KALEFE Hope, sur instruction de LOGO Dossouvi.

Je ne m´attendais pas du tout à voir de si tôt cette machine dans les mains de la Police, avant même le début des interrogatoires du sieur Hope KALEFE. Il était convenu que cette machine devait être cachée chez un cousin de Hope qui n´habitait pas la même maison que lui. Tout portait à croire qu´il l’avait remise à la Police avant nos arrestations. Dès cet instant, j´eus la confirmation que notre Juda n´était personne d´autre que lui, Hope KALEFE Kwadzo Ketomanya.

Quelques instants après, mon interrogatoire commença et je ne pouvais qu’accepter connaître LOGO Dossouvi et reconnaître avoir distribué des tracts contre le régime en place. La préoccupation première des policiers était d’en connaître les raisons. Je répondis en faisant la déclaration suivante :

«Tout avait commencé á la veille du 7e Conseil national du RPT où les décisions prises ne reflétaient pas nos points de vue car ne correspondaient pas à la réalité. Les étudiants togolais n´ont pas été consultés en amont. Mais, bizarrement, c’étaient les étudiants qui, sous l´égide du MONESTO, furent les premiers à descendre dans les rues de Lomé pour soutenir les décisions scandaleuses, antidémocratiques prises par cette parodie de Conseil national.

Face à cette trahison du MONESTO, nous avions décidé de former un autre mouvement plus libre, dénommé MELD, qui devrait être capable de dire la vérité et d´informer le peuple togolais. Dans le but d´atteindre nos objectifs, nous avions eu à distribuer des tracts partout au Togo».

Après cet interrogatoire, les policiers m´emmenèrent en voiture au Commissariat du 3e arrondissement où je fus enfermé en compagnie de cinq autres personnes dont une femme. Je préfère passer sous silence certains détails sur les conditions d´hygiène prévalant dans cette cellule, sans matelas, ni toilettes. Il y était difficile de trouver le sommeil après de longs moments de douleurs et de désespoir. C´est ainsi que, lors d´un court sommeil, je fis un rêve étrange dans lequel j´ai vu une éclipse totale du soleil engendrant une nuit sombre étoilée, suivie quelques instants après d´un lever de jour.

Parmi mes compagnons de cellule il y avait un vieux monsieur (au nom de famille de DADJIE), arrêté sel on ses dires dans une affaire de terrain. Je lui racontai ce que j´avais vu dans mon rêve. Il le trouva positif. Il l’interpréta en me disant que la prison où je me trouvais est l´éclipse et que ma prochaine libération est la lumière du lever du jour.

Dans la nuit du 26 août 1990, je fus extrait de force de ma cellule par des policiers qui m’emmenèrent avec eux pour procéder à l’arrestation des autres membres fondateurs du MELD dans les villas d´étudiants GAKPARA et AFANNOU. Le 27 août 1990, j´eus droit à un second interrogatoire à la maison du RPT en présence, cette fois-ci, de mon père, de ma mère, de quelques membres de ma famille, de plusieurs responsables politiques originaires de la Préfecture des Lacs (parmi lesquels se trouvaient trois ministres á savoir Gbégnon AMEGBOH, Kwaovi Béni JOHNSON et Gervais Koffi DJONDO).

Devant ce tribunal politique j´exposai les problèmes du Campus universitaire, en ce qui concerne les injustices dans l’attribution des bourses d´études, des logements estudiantins et les nocives pratiques de l´AMENTO (Amicale des Etudiants du Nord Togo). Après une concertation á huit clos des trois ministres, il fut décidé que nous nous rendions dans mon village natal à Anfoin, afin de régler définitivement des problèmes subsistants. Arrivé dans la maison du chef du village á Anfoin, quelle ne fut ma surprise de voir qu´il y avait beaucoup de monde qui nous y attendait.


TORTURES… PUIS LIBERATION


Parmi la foule de personnes présentes ce jour-là á Anfoin il y avait :

Le chef du village APETOVI III et plusieurs de ses notables ;
Les ministres AMEGBOH, JOHNSON, DJONDO ;
Le député du RPT, Mr. GBADOÉ ;
Mr. KOUSSAWO (Doyen de la famille KOUSSAWO á Lomé) ;
Mr. ANENOU (Directeur de la société de transit NETADI) ;
Les membres de ma famille, notamment mon père et ma mère.
L´assistance par la voix du délégué du chef du village m’interrogea sur :
la définition intégrale de la démocratie en Ewé ;
la relation qui existait entre le MELD et la CDPA, alors accusée d´être impliquée dans le coup d´Etat raté du 23 septembre 1986.
J´avais donné les réponses que je pouvais donner dans ces circonstances. Et, à la fin, le conseil du village décida de me corriger, pour donner l´exemple aux autres fils et filles de la préfecture qui oseront encore combattre le système EYADEMA. Lorsque j´appris que la nature de leur correction se résumait à une bastonnade en public, je refusai instantanément de me soumettre à une telle humiliation. Cependant, sous les pressions de ma famille, je fus obligé de céder et de subir cette torture à la bastonnade. Je ne peux pas dire précisément le nombre de coups reçus, tellement j´avais été battu !

Toute la délégation retourna à Lomé le même jour et je fus confié à l’autorité bienveillante de mes parents. Et le soir, un communiqué a été lu sur les médias publics, annonçant l’arrestation et la libération sans condition des étudiants impliqués dans la distribution des tracts.

Par la suite, je fus reçu avec mes parents par le chef de l’État, Gnassingbé EYADEMA.

D´entrée, EYADEMA m´a posé la question suivante : « Jeune homme quel âge as-tu ? »

J´ai répondu : 24 ans.

Et, dans un geste amical des mains, il me fit savoir, je cite : « Tu es presque né avec mon régime ».

Il dit ensuite qu´il voulait nous faire arrêter avant son départ pour les USA mais que c´est un conseiller en sécurité qui l´avait dissuadé de le faire.

Il aurait reçu l´information (sans doute de Hope KALEPE) selon laquelle nous projetions de le tuer en tirant une roquette sur sa voiture. Pour cette raison, il avait fait renforcer la sécurité au bord des routes qu´il emprunte dans ses déplacements.

Je lui ai répondu que c´est faux et qu´il n´y a jamais eu un tel complot contre lui. Hope avait effectivement fait cette proposition que nous avions tous rejetée. Il voulait savoir si nous disposions de ces moyens d´action pour en informer les renseignements généraux.

N´ayant pas réussi á nous mettre sur ce chemin dangereux, il a préféré mentir pour se tailler de l´importance et avoir plus d´argent.

EYADEMA déclara ensuite ne pas vouloir arrêter nos études. C’est la raison pour laquelle, disait-il, il avait ordonné la libération des étudiants arrêtés. Quant aux autres membres du groupe qui n’étaient pas étudiants, en l´occurrence LOGO Dossouvi, Agbelenko DOGLO, ils devront être jugés et condamnés selon les propos de Gnassingbé EYADEMA. Ce dernier montra à l´assistance quelques tracts manuscrits que j´avais rédigés et transmis à LOGO Dossouvi pour qu’ils soient dactylographiés car on n’avait plus la machine à écrire à notre disposition. Hope KALEFE avait promis à LOGO de faire ce travail à sa place mais c’était en fait pour rassembler des preuves à transmettre à la police politique de Gnassingbé EYADEMA.

Je veux rendre ici hommage aux braves et courageux membres de nos cellules clandestines qui, n´ayant pas été découverts par le système, ont su maintenir la pression sur le Campus et ailleurs. Ceci avait permis de resserrer l’étau autour des tenants du système pour finalement les amener à abdiquer. Ainsi, ne purent-ils pas mettre en marche la répression implacable dont eux seuls ont le secret. Ces centaines
d´étudiants, restés jusqu´à ce jour dans l´anonymat, méritent respect, reconnaissance et admiration pour leurs actions héroïques au service de la démocratie au Togo. Ils étaient au service d’une cause noble et humaine. On dit généralement que « Si tu vois une chèvre dans le repaire d’un lion, aies peur d’elle,…». Et oui, les carnassiers de l’appareil RPT avaient peur d’eux.

Après cette saga, je retournai sur le campus universitaire où, même mes amis me fuyaient. Je fus, ni plus ni moins, qu’un pestiféré pour avoir défié le système du tout puissant Gnassingbé EYADEMA. Ma bourse d´études, obtenue après un concours d´entrée à l´Ecole des ingénieurs, fut supprimée en guise de pénitence. Comme si les deniers publics, les structures collectives étaient sa propriété privé et qu’il en disposait par mansuétude.

Ce ne fut qu´après une entrevue dans le journal Courrier du Golfe, n° 51 du 5 au 11 novembre 1990 où je mettais en lumière cette injustice, autrement dit mes supplices, que le gouvernement fit volte-face, en me rétablissant dans mes droits, c’est-à-dire en rétablissant ma bourse d’études, obtenue par mérite. Toutefois, avant cette volte-face du gouvernement, des démocrates togolais m´avaient rétabli en cachette dans mes droits. Ils me faisant spontanément des dons qui dépassaient largement le montant de ma bourse d´études qui s´élevait á l´époque á 21 500 francs CFA.

Tous les étudiants arrêtés puis libérés avaient subi des représailles. En dehors des bourses d´études, ceux qui habitaient des villas d´étudiants avaient été chassés, sans délai, de leurs villas, avant d´être réintégrés sous la pression populaire.







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