ADDIS ABEBA, Éthiopie, 30 octobre 2020/ - "Tout le monde sait maintenant qu’en raison d’une combinaison de leadership, d’environnement, d’écologie sociale, de démographie et de facteurs biologiques et autres encore inconnus, l’Afrique a été épargnée des pires ravages que la COVID-19 a causés dans d’autres parties du globe et qu’il était prévu qu’elle fasse ici aussi.
Au 15 octobre 2020, le continent n’a enregistré que le pourcentage remarquablement faible de 4,2 % du fardeau mondial de la maladie et un peu plus de 3,5 % des décès. Ceci doit être comparé aux 17% qui représentent la part de l’Afrique dans la population mondiale. Ou au fait que l’Afrique a une prévalence du VIH de près de cinq fois supérieure à celle du reste du monde (abritant près de 70 % de toutes les personnes vivant avec la maladie dans le monde), et que les Africains contractent 25 % de toutes les nouvelles infections de tuberculose dans le monde.
Personne ne nie le remarquable tableau bio-statistique de la COVID-19 dans le continent. Mais certains ont cherché à en attribuer la majeure partie au hasard et à l’inconnu. Nous ne sommes pas d’accord.
L’Afrique a procédé au confinement très tôt, a fermé frontières et écoles et a lancé une recherche active des contacts avec beaucoup plus d’enthousiasme que la plupart des parties du monde développé. Ce n’était pas le hasard ; c’était un leadership audacieux. Un leadership ancré dans des valeurs communes et reposant sur des preuves suffisantes des notions profondes de solidarité du continent en temps de crise.
En parlant de solidarité, nous pouvons voir la vitesse à laquelle les contributions du secteur privé aux mécanismes de financement commun ont été mobilisées pour combler les lacunes flagrantes de la capacité fiscale des États. Comme en Chine, les hôpitaux ont été conçus et construits en trois mois, dans certains pays, grâce à la mobilisation des ressources civiles, et non pas seulement gouvernementales.
Encore moins reconnue que les exemples remarquables de leadership et de solidarité que l’Afrique a donnés au monde, il y a la floraison d’innovations généralement considérées comme allant de soi.
Les brasseries et distilleries africaines ont été parmi les premières au monde à réorienter l’approvisionnement en alcool vers la fabrication de produits d’hygiène. Les organisations fintech africaines ont déployé de nouveaux services en quelques jours et ont réduit les coûts de manière agressive, avant même que le confinement ne devienne une perspective à long terme.
Le 3 février, avant même que la première infection ne soit enregistrée, le continent a inauguré son groupe de travail conjoint. En trois mois, le 18 juin 2020, alors que dans d’autres endroits les gouvernements locaux se battaient avec les gouvernements nationaux au sujet des ventilateurs, nous avons lancé la Plateforme africaine d’approvisionnement en médicaments qui est la première du genre à consolider les achats multipartites au niveau continental.
Et, le 5 octobre, l’Union africaine et le CDC Afrique, dont j’ai l’honneur d’être le directeur, ont lancé la première réponse numérique intégrée de santé publique au monde pour faire face au problème très difficile de la réouverture du trafic aérien tout en contenant la pandémie.
En collaboration avec les principales compagnies aériennes, les laboratoires, les autorités de l’aviation civile et les acteurs technologiques du continent, nous avons inauguré Trusted Travel, une solution élaborée complète permettant aux tests effectués dans un pays d’être mutuellement reconnus dans d’autres pays pour un voyage transfrontalier sans obstacle.
Grâce à Trusted Travel, les pays ont les moyens d’ouvrir leurs frontières de manière intelligente et sûre. Prenons l’exemple du Cap-Vert, un des pays qui a soutenu le lancement de cet effort. Littéralement un tiers de l’économie a été presque anéanti par la COVID-19 en raison de l’impact sauvage de la pandémie sur le tourisme et les services liés au transport. Sans une solution intégrée au problème des voyages qui rétablisse la confiance dans les voyages, le chemin vers une reprise économique complète serait terriblement lent.
Le plus remarquable dans l’intervention de Trusted Travel est la manière dont elle a émergé d’une campagne "de toute la société" lancée par l’Union africaine le 20 août 2020, intitulée "Sauver des vies, préserver l’économie et les moyens de subsistance", et complémentaire avec notre initiative PACT, qui visait à tester près de 10 millions d’africains.
Il était devenu évident, en juin de cette année, qu’en mettant exclusivement l’accent sur l’endiguement des maladies, on trahirait tout le mandat du CDC Afrique en tant qu’organisation de santé publique. L’un des fondements essentiels du leadership en matière de santé à notre époque est de tenir compte des "déterminants sociaux de la santé".
Lorsque la "lutte contre les maladies" devient elle-même un obstacle au bien-être global de la société, comme cela a été le cas avec le dépistage lors des voyages transfrontaliers - certaines personnes dépensant plus de 600 dollars pour des tests multiples et redondants en un seul voyage aller-retour (sans parler des inconvénients et des incertitudes) - il est essentiel de donner la priorité aux innovations qui favorisent la coopération régionale en matière de santé publique.
C’est précisément pour cette raison qu’entre août et octobre, le CDC Afrique a consacré une énergie et des efforts considérables à la tâche diplomatiquement complexe de mobiliser la volonté politique en Afrique pour harmoniser les restrictions de santé publique en matière de voyage. Et pourtant, trois mois, c’est en fait un délai incroyablement court pour mettre en place une chose de cette envergure géopolitique.
La production de certificats COVID-19 numériques et la mise au point des solutions techniques pour les certificats d’immunité sont de loin la partie la plus facile de l’entreprise. Le processus politique visant à obtenir l’adhésion des États membres et à convaincre les grands acteurs privés, comme les compagnies aériennes multinationales, d’adopter des processus commerciaux communs est bien plus difficile. Et pourtant, c’est le minimum qu’il faut pour mettre en place une solution multilatérale crédible et innovante.
Il n’est donc pas du tout surprenant, quand on considère l’orientation générale des choses depuis le début de cette pandémie, que c’est l’Afrique qui a été à la fois assez audacieuse et rapide pour lancer une action de cette ampleur afin d’équilibrer le double objectif de la relance et de l’endiguement de la maladie.
Un tel exploit exige des combinaisons très optimales de solidarité, de leadership, d’innovation et de pensée commune (qui engendre la confiance nécessaire pour que la mutualité fonctionne). Aucune de ces valeurs n’a fait défaut sur le continent en ce qui concerne la COVID-19, même si le monde n’y a pas prêté attention.
La seule question qui reste est la suivante : que va faire l’Afrique, à long terme, pour soutenir ce remarquable élan de réflexion de premier plan au niveau mondial en s’attaquant à ses multiples défis en matière de santé" ?