Le bureau du Conseil National de la Jeunesse (CNJ), mis en place en avril 2008 pour un mandat de 3 ans était arrivé à son terme depuis des années sans que ce bureau ne soit renouvelé.
C’est alors avec beaucoup de soulagement que des milliers de jeunes qui se retrouvent dans cette institution ont appris qu’enfin, son Assemblée Générale a eu lieu, sanctionnée par l’élection d’un nouveau bureau.
Mais il a suffi quelques jours seulement pour que, curieusement, l’on nous apprenne que cette élection du nouveau bureau a été annulée.
Par qui ? Par Mme Victoire Sidéméo Tomégah-Dogbé, directrice de cabinet du Président de la République, ministre du développement à la base, de l’artisanat, de la jeunesse et de l’emploi des jeunes.
Raison évoquée, des fraudes massives, des achats de consciences, des pratiques occultes et mystiques et même les menaces de mort qui auraient émaillé cette élection.
Mon Dieu ! Ainsi donc, les jeunes qui sont l’avenir de demain, ont eux aussi appris ce dont le régime qui régente le Togo depuis bientôt 50 ans s’est rendu coutumier en ce qui concerne fraudes électorales ? Ô quelle déception !!!
Mais passons. Une deuxième question et non des moindres surgit aussi à l’esprit. Madame Victoire Dogbé, bien que ses titres soient aussi longs que le Nil a-t-elle compétence pour annuler un vote populaire ? Se serait-elle subitement trouvé des réflexes de magistrat investi de cette mission de rendre le droit au Togo ?
Cette décision de Mme Dogbé d’annuler un vote populaire est sans doute une aberration juridique quelles que soient les raisons qui la fondent. Dans une République, les décisions de justice sont rendues par les juges, point barre.
Que d’autorité, une ministre si puissante soit-elle, s’arroge le pouvoir d’annuler une élection est une incongruité qui ne peut s’observer qu’au Togo.
Ceux qui se plaignent d’avoir été lésés par ce vote n’avaient qu’à recourir à la justice pour se faire établir la vérité et le droit. Il n’y a pas d’autres issues légales et acceptables dans une République, dans un Etat moderne.
Mais tout compte fait, l’acte posé par Mme Dogbé a au moins deux mérites qu’il nous plait tout de même de relever.
Le premier est que cette décision de force aussi grossière qu’elle soit, illustre parfaitement ce qui se fait depuis des années sous Faure Gnasssingbé à savoir que les décisions de droit sont rendues au Togo par le palais de la Marina surtout dans des dossiers signalés à consonance politique.
On peut notamment citer l’affaire des incendies, l’affaire Kpatcha Gnassingbé, l’affaire Olivier Amah, l’affaire Bodjona entre autres.
Les juges sont utilisés dans ces dossiers comme des patins, des cache-sexes, mais les décisions, les vraies, sont rendues par la Présidence de la République et nulle-part ailleurs.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en l’absence du Président de la République du territoire national, aucune décision ne peut être prise dans aucune de ces affaires sus citées, sauf peut-être, la délirante décision d’annulation de l’audition de Pascal Bodjona en qualité de témoin sous serment où l’arrêt a dû être envoyée la veille par mail à Faure à Paris, avant qu’il ne soit rendu le lendemain à la hâte par le Président de la Chambre judicaire, Abdoulaye Yaya dont la voix était visiblement étreinte, sans doute par les impressionnantes pressions dont il a fait l’objet.
Donc la décision de Mme Dogbé d’annuler l’élection du bureau du CNJ sans avoir recours à un juge est une consécration absolue des habitudes dont le palais de la Marina s’est rendu coutumier sous Faure Gnassingbé de tordre le cou au droit au Togo.
Mais qu’à cela ne tienne, cette autorité décrétée par Mme Dogbé, a un deuxième mérite qui pourrait laisser présager qu’elle veut désormais militer pour mettre un terme aux fraudes électorales et aux pratiques mystiques si chers aux tenants du pouvoir actuel au Togo.
Il nous plait juste de rappeler que les pratiques mystiques et occultes sont presqu’institutionnalisées dans notre pays.
Observons simplement que pour expliquer le mode opératoire ayant servi à brûler le marché de Lomé en janvier 2013, le ministre de la sécurité, gendarme de son état, n’a pas hésité à rapporter sous les caméras et micros de journalistes, que les pyromanes ont procédé par des pratiques mystiques et occultes pour accéder au bâtiment avant de l’incendier.
Ce qui signifie en clair que désormais au Togo, les pratiques occultes et mystiques font parties intégrantes des indices graves et concordants de culpabilité qui peuvent justifier l’interpellation d’un prévenu.
Cela permet aussi de comprendre pourquoi, dans les dossiers signalés, certaines personnes comme Pascal Bodjona par exemple, sont poursuivies alors même qu’au vu du dossier de droit, il n’existe aucun indice raisonnable de culpabilité.
Le deuxième volet de ce deuxième mérite tient de la naturalisation de la fraude électorale au Togo. De toutes les élections que notre pays a connues depuis son indépendance, l’exception serait de déceler une seule qui n’ait pas été émaillée de fraudes ou d’achat de consciences.
Il est d’ailleurs constant de remarquer que de façon permanente, les moyens de l’Etat ont toujours servi à alimenter les campagnes électorales au pouvoir en place au Togo et à acheter autant que faire se peut, la conscience des électeurs.
Et lorsque l’on parle de « moyens de l’Etat », il s’agit aussi bien des moyens matériels, financiers qu’humains qui sont permanemment déployés à des fins électoralistes sous Faure Gnassingbé tout comme sous Eyadema Gbassingbé.
La preuve, à défaut de faire un congrès électif pour doter son parti d’une charpente adéquate, Faure Gnassingbé s’appuie uniquement et jusqu’à ce jour, sur les directeurs généraux des sociétés d’Etat, des cadres de l’administration publique pour animer UNIR qui est devenu de fait un parti-Etat. Qui peut le nier au Togo ?
Alors, avec un tel niveau de cristallisation des esprits sur les pratiques magiques, mystiques et occultes au plus haut niveau de l’Etat, avec un tel niveau de recours quasi scientifique aux fraudes électorales et aux magouilles pour s’incruster au pouvoir, Mme Dogbé pourra-t-elle avoir les moyens d’y mettre fin dans un tel système aussi rouillé et verrouillé que celui qu’incarne Faure Gnassingbé ?
Aura-t-elle un jour, l’audace de dénoncer sincèrement ces pratiques viles et vilaines dans ce système qu’elle sert corps et âme et dans lequel elle semble s’engluer définitivement surtout qu’elle est aujourd’hui l’une des principales bénéficiaires ?
Laissons à cette dame la charge d’y réfléchir et de répondre à sa propre conscience chrétienne.
Mais tout compte fait, même si elle n’en a pas entièrement conscience, l’acte qu’elle vient de poser en annulant cette élection de bureau pour cause de fraudes électorale, a le mérite de lancer un défi majeur à Faure Gnassingbé pour lui rappeler la nécessité pour son régime d’organiser, au moins une fois dans son histoire, une élection démocratique au Togo qui soit dénuée de toute fraude électorale ou de toute pratique magique ou mystique.