Togo - Les déballages contenus dans le dernier mémorandum publié par le Bureau Directeur de l’Union des Forces de Changement (UFC) concernant la forte implication des dirigeants actuels de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) dans le processus qui a conduit à la signature, le 26 Mai 2010, de l’Accord de gouvernement RPT-UFC, sont en passe de changer fondamentalement la donne au sein du paysage politique togolais. En politique comme dans la vie de tous les jours, lorsqu’on ne démontre pas soi-même, par une conduite exemplaire, sa capacité à s’appliquer et à s’approprier les leçons de probité et d’honnêteté que l’on s’emploie à administrer trop facilement aux autres, on tombe tôt ou tard dans le piège du discrédit.
L’UFC ancienne version, celle d’avant la scission, avait fondé toute sa crédibilité et son assise populaire sur la virginité politique et le refus de toute forme de compromis et de compromission avec le régime du RPT. Dans ce contexte, tous ceux qui prônaient le dialogue avec l’adversaire en vue de parvenir à un règlement pacifique négocié de la crise politique togolaise étaient considérés par l’UFC d’alors, comme des traitres que l’on livrait systématiquement à la vindicte populaire.
A l’époque, Gilchrist Olympio n’était pratiquement jamais au Togo, mais ses lieutenants qui avaient pour noms, Patrick Lawson, Jean-Pierre Fabre, Georges Lawson, Isabelle Améganvi et consorts, s’étaient chargés du job de dénigrement et de lynchage de tout autre responsable politique tenté de dévier de la ligne radicale dictée par l’UFC et soigneusement entretenue par l’appareil de propagande populiste mis en place par ces lieutenants de Gilchrist Olympio.
On dit chez nous que lorsque vous vous amusez à élever un serpent venimeux à la maison, il ne faut pas vous étonner qu’il vous morde sans ménagement le jour où, par mégarde, vous lui marchez sur la queue. C’est au nom de ce radicalisme idéologique obtus et de ses pratiques ignobles et souvent inhumaines, que Jean-Pierre Fabre et ses acolytes ont livré leur ancien mentor au lynchage médiatique, aux jets de pierre, aux injures publiques abjectes et à une mort politique qu’ils tenaient pour certaine. Étant donné qu’ils étaient les vrais incubateurs de ces vilains comportements, ils en ont colportés dans leurs clics et clacs pour rejoindre leur nouveau parti.
Aussi, comme l’UFC en son temps, aujourd’hui, dès qu’on n’est pas d’accord avec l’ANC, est-on présenté comme un traitre et un vendu. On se souvient de l’arsenal de dénigrement déployé contre la Coalition Arc-en-ciel à sa création. L’acte était considéré comme un crime de lèse-Fabre. N’eût été la capacité de riposte des dirigeants de la Coalition Arc-en-ciel, le rouleau compresseur de dénigrement de l’ANC aurait déjà eu raison de ce regroupement. On se souvient également des tentatives de l’ANC de faire porter à la Coalition Arc-en-ciel le chapeau de son échec cuisant aux dernières élections législatives en faisant croire aux Togolais que c’est la décision de la Coalition Arc-en-ciel de participer coûte que coûte aux législatives qui avait poussé l’ANC à aller à ces élections.
De même, lorsque, très récemment, le parti politique OBUTS, tirant les leçons des errements du Collectif Sauvons le Togo (CST), a décidé de quitter cette organisation au profit d’une réorientation stratégique proche visiblement de la ligne Arc-en-ciel, son leader, Agbéyomé Kodjo continue d’être traité de tous les noms et accusé de vouloir collaborer avec le pouvoir UNIR.
Ce que l’on sait aujourd’hui, avec des preuves irréfutables à l’appui, c’est que, au moment où ils se présentaient aux Togolais comme les champions toutes catégories du radicalisme et de la virginité politique, Jean-Pierre Fabre, Patrick Lawson, Georges Lawson et autres, non seulement négociaient en secret avec le RPT pour se faire nommer à des postes ministériels, mais aussi et surtout, n’hésitaient pas à secouer vertement Gilchrist Olympio lorsque ce dernier semblait lever les pieds dans les discussions avec le régime RPT.
L’exemple le plus illustratif de cette hypocrisie nous est donné à travers une lettre, dont notre rédaction a réussi à se procurer le manuscrit authentifié, adressée par Patrick Lawson, alors, 3ème Vice-président de l’UFC, à Gilchrist Olympio au moment où ce dernier voulait purement et simplement, se désengager du processus de San Egidio en raison de fuites qu’il y avait eues sur le terrain avant même le début de ces discussions. Certaines mauvaises langues avaient d’ailleurs, à cette époque, accusé Patrick Lawson de n’être pas étranger à ces fuites, se voyant déjà dans la peau du Premier ministre! Voici, in extenso, ce qu’écrivait Patrick Lawson à Gilchrist Olympio :
« Bonsoir Fo Gil,
Cela fait un moment que je n’ai plus de tes nouvelles. Aussi, je voudrais dire que je suis très peiné d’apprendre de l’extérieur que Rome ne tient pas. Si nous continuons à travailler ainsi, suivant les zones d’influence de l’heure, nous ne nous en tirerons jamais. La moindre des choses est de m’avertir pour que je sache quelle orientation donner à mes propos. Heureusement que par nature je suis prudent et sur la base des rumeurs, des ragots, des procès d’intention faits par des gens très proches de toi sur moi dans ce dossier, j’étais déjà sur mes gardes. Dans tous les cas, si nous refusons de poser des actes, d’être concrets dans nos actions, au lieu de gérer les médisances, nous perdrons sur le terrain. C’est sur des faits et à partir d’une analyse concrète qu’on a choisi de développer «une stratégie de sauvegarde».
En tout cas, après Dosseh Anyron Gabriel, c’est le tour de Koffi Aganon qui vient d’être nommé Sec. Gal au Ministère de la ville.
Des présidents fédéraux seront dans le lot de ceux qui vont nous quitter dont Evedji (celui de Vo). Tsè-Tsè serait rentré avec des militants et travaillerait déjà avec Abi Tchessa. Mme Womas de R.Vo et femmes de Vo serait dans le lot. On parle de Oré Djimon et d’autres jeunes (ce n’est pas sûr). LES GENS ONT FAIM ET SONT FATIGUÉS DE GÉRER LE VERBE. C’est dans cette perspective entre autres, qu’on voulait s’organiser pour éviter une hémorragie.
Je t’envoie copie de Togo Presse de nominations et autres décrets. Il nous faut de la constance pour réorganiser le parti et revigorer les femmes, les cadres, les jeunes sur les renseignements fiables et non subjectifs. Je reste à ta disposition et je continuerai de prendre toutes les infos.
Bien à toi. Pé ».
A la lecture de cette lettre, on a des raisons d’être choqué et même révolté par les scènes de jet de pierres contre Gilchrist Olympio à la plage ou encore au refus de Jean-Pierre Fabre et ses amis de lui serrer la main à l’occasion des funérailles de Rosita Amerding-Olympio, la défunte sœur aînée du « Maréchal ». Même si Gilchrist Olympio dit avoir connu beaucoup d’actes de trahison tout au long de son abondante carrière d’opposant au régime RPT, on comprend mieux son amertume et même sa colère, lorsqu’il dénonce dans le dernier mémorandum de l’UFC, « l’intoxication du peuple togolais sur cette base calomnieuse sous la responsabilité ouvertement assumée des leaders de l’ANC relève incontestablement selon nous du reniement d’engagements moraux et juridiques dûment consignés par écrit, du parjure, de la trahison, du coup d’Etat, de l’ingratitude et du parricide. Il s’agit indéniablement d’ambitions personnelles au moyen de la manipulation et du mensonge, d’usage abusif et immoral des moyens modernes de communication, de la fausse rumeur et de la désinformation, de la confusion entre l’opinion et la vérité, la sincérité et la vérité, la fausseté et la vérité ».
En politique, tant qu’on est physiquement vivant, on n’est jamais politiquement mort. La décision de Gilchrist Olympio de mettre sur la place publique le rôle et l’implication forte des responsables actuels de l’ANC dans le long processus qui a abouti à la signature de l’Accord RPT-UFC aura sans aucun doute, un effet de clarification sur l’échiquier politique nationale et va permettre à chacun d’assumer publiquement et sans complexe, ses positions.
Depuis sa création, selon ses dirigeants que nous avons approchés, la Coalition Arc-en-ciel a souvent déclaré vouloir faire de l’exemple de réconciliation réussie en Afrique du Sud par Mandela, sa ligne politique pour sortir le Togo de l’impasse démocratique et jeter des bases consensuelles du développement économique et social du pays. Ces dernières semaines, le parti politique de l’ancien Premier Ministre Agbéyomé Kodjo qui a annoncé avec fracas, sa rupture avec le CST, a opéré une réorientation stratégique pour rejoindre la ligne politique de la Coalition Arc-en-ciel.
Près de quatre ans après la signature de son Accord de gouvernement avec la mouvance au pouvoir, l’Union des Forces Changent (UFC) de Gilchrist Olympio déclare ouvertement et officiellement son adhésion au principe d’une alternance politique pacifique négociée au Togo en 2015, s’inspirant du modèle sud-africain.
De sources proches de la Coalition Arc-en-ciel, on se prépare à «clarifier les choses» en ce qui concerne la conduite à tenir face aux échéances cruciales de 2015. Aussi, tout le monde attend-il avec impatience et curiosité, la conférence de presse annoncée pour ce début de semaine, pour lever le voile sur le contenu précis de cette ligne politique qui commence visiblement à obtenir les faveurs d’un grand nombre d’acteurs politiques.
Mais, que l’on ne s’y méprenne pas. Le modèle sud-africain a bien fonctionné parce qu’il y avait Nelson Mandela et Fréderick Deklerck. Faure Gnassingbé sera-t-il le Fréderick Deklerck togolais ? Si oui, qui sera le Mandela en face de lui ? Et puis, il se posera le problème du camp que choisiront les partis tels que l’UFC et la CPP qui participent actuellement au gouvernement dans le cadre d’un accord formel ou informel mais qui continuent de se réclamer de l’Opposition. Seront-ils les Butelezi togolais ou choisiront-ils de rejoindre l’un des deux camps en présence ?
L’ANC qui va se trouver de plus en plus isolée et fragilisée auprès d’une opinion publique désorientée par les révélations sur le faux radicalisme des leaders de ce parti et leur attrait pour l’argent facile, autant de faiblesses qu’ils n’ont pas cessé de dénoncer chez les autres, cette ANC pourra-t-elle continuer longtemps son cavalier seul sans se marginaliser et en payer lourdement le prix sur le plan électoral ?
Ce dilemme cornélien ne sera pas facile à gérer pour Jean-Pierre Fabre et les siens. Désormais sous les coups de boutoirs de leur ancien mentor, ils vont devoir tomber le masquer du faux radicalisme pour ne pas courir le risque de se marginaliser sur un échiquier politique de plus en plus dominé par le réalisme et la primauté de l’intérêt général sur les petits intérêts particuliers.