« Selon une méthode dont elles sont coutumières, les deux juges vont relâcher Gilbert Miara avant de le reprendre à nouveau quelques jours plus tard. L’objectif est bien évidemment de mettre le gibier en confiance, de le faire suivre par la police et de le mettre sur écoute, pour démasquer ses éventuels complices et glaner toutes les informations utiles. A ce petit jeu, les truands ne se laissent pas prendre, mais les demi-sels et les délinquants financiers, parfois. En prison, Gilbert Miara n’a pas mis longtemps à parler, persuadé qu’Eva Joly sait déjà tout. Les deux juges veulent plus. Aussi va-t-il subir, lui aussi, les extractions de sa cellule au petit matin, les attentes interminables pour s’entendre poser la même question : « Qu’avez-vous à dire sur Roland Dumas ? Rien ? Eh bien, vous reviendrez pour dire la vérité ». Mais les juges ont d’autres moyens, heureusement, d’approcher la vérité. Elles ont désormais l’intitulé et les numéros de plusieurs comptes en Suisse, qui ont été alimentés par Elf, via une succursale de Crédit Lyonnais au Luxembourg. Il ne leur reste qu’à tirer la pelote, avec le soutien du juge génevois Perraudin. Très vite, on apprendra que Christine Deviers-Joncour n’a pas reçu que 45 millions de francs d’Elf. Elles retrouvent la trace de 14 millions. Et d’autres encore. Soit 66 millions au total, estiment les juges. Au terme d’un véritable jeu de piste, elles découvrent des comptes par lesquels l’argent a transité, avant de repartir ailleurs. Il y a notamment un compte Nersiv anagramme de Sirven. Mais deux autres retiennent l’attention et entretiennent le mystère : un compte Nitram, ce qui est l’anagramme de Mitran. Et un autre, intitulé Oror. Comme horreur ou plutôt comme Roro. Roland Dumas est dans l’œil du cyclone. Son nom est cité avec insistance dans la presse. Les deux juges reçoivent des dizaines de lettres anonymes qui attirent leur attention sur les avoirs personnels et sur les méthodes cavalières de cet homme jusque-là si sûr de sa bonne étoile et de son impunité. Le 25 janvier 1998, le Monde publie sur deux pages une enquête qui révèle qu’un mois plus tôt, les deux juges ont envisagé de faire une perquisition chez Roland Dumas. Cette fois-ci, face à un personnage de la stature du président du Conseil Constitutionnel, la bataille s’annonce rude. Mieux vaut préparer le terrain ».
C’est par ce passage assez saillant de la sulfureuse affaire Elf racontée par Valérie Lecasble et Airy Routier dans leur bouquin « Forages en eau profonde ; les secrets de l’affaire Elf » que nous faisons une plongée marine pour découvrir les mystères de ce qui se passe sur nos côtes en matières de prospection pétrolière. L’or noir est associé à la malédiction, mais aussi à toutes les magouilles, comme cela a été le cas de l’affaire Elf et tant bien d’autres. L’aventure pour la découverte du pétrole, le Togo en a connu de nombreuses expériences. Mais la dernière remonte à 2010.
Le 21 octobre plus précisément, le gouvernement togolais à travers deux contrats, confia l’exploration et la production d’hydrocarbures au groupe italien ENI qui vogue dans ce domaine dans plus de 85 pays au monde. Autrefois connu au Togo sous le nom d’AGIP, ce groupe à la réputation un peu sulfureuse, comme tous ceux qui opèrent dans le monde de l’or noir, pointé du doigt par l’administration américaine pour d’obscurs contrats en Lybie et ailleurs, s’est lancé avec enthousiasme à l’assaut des 100% des deux blocs 1 et 2 situés dans la zone dite Bassin du Dahomey. Faut-il le rappeler, depuis 1960, les travaux de sismique et de forage relatifs au pétrole offshore du Togo menés par une demi douzaine de compagnies internationales ont abouti à des indices de l’oir noir sans parvenir à la confirmation de véritables réserves. Ce que confirme après quelques années de recherche le groupe ENI qui déclare à l’Agence Ecofin après sa première phase d’exploration des deux blocs : « Les études géologiques ont révélé l’existence d’or noir dans les blocs Oti 1 et Kara 1 ». Un optimisme relayé par le représentant au Togo de la compagnie italienne, Andrea Marsanich en ces termes : « Il y a lieu d’être optimiste dans la mesure où les pays voisins, le Benin et le Ghana disposent de réserves substantielles dans la même zone ».
La Compagnie ENI a-t-elle finalement découvert le pétrole au Togo ?
Entre la rumeur des puits fantômes et la réalité, la question de la découverte ou non du pétrole offshore sur les côtes togolaises a toujours été une source de polémique. Une polémique relancée ces derniers temps par le rapport d’une société américaine qui a récemment indiqué que le Togo a exporté vers les USA du pétrole brut sans que l’on ne sache exactement si c’est une production du Togo ou du carburant de contrebande ou encore des dons des pays amis que certains individus véreux au sein du système ont détournés à leur profit.
Selon certains spécialistes et ingénieurs bien introduits dans les labyrinthes de ce que ENI fait dans notre pays, un important gisement de pétrole a été découvert aux larges de nos côtes par le groupe italien. Tout en gardant l’anonymat, ces experts estiment, vu les réserves découvertes, que la production togolaise en baril/ jour pourrait rivaliser celle du Ghana voire de la Côte d’Ivoire. Enfin, pour ces experts, la précipitation avec laquelle le pouvoir togolais a récemment commandé à coups de milliards deux patrouilleurs en France n’était pas seulement destinée aux bandits des mers, les « pirates » qui écument la côte, mais bien à une mission plus hautement stratégique. Seulement selon les informations, l’ambiance festive du 21 octobre 2010 lors de la signature du contrat avec ENI à Kara en présence de Faure Gnassingbé et du président du groupe italien, Paolo Scaroni, a cédé la place depuis quelques mois à une brouille voire un différend qui oblige les Italiens et leurs ingénieurs à fermer boutique et plier bagages du Togo.
Une histoire de commissions à l’origine de la brouille
En quatre années de travaux sur nos côtes, le groupe italien aurait investi plusieurs milliards pour en arriver au résultat que nous avons décrit plus haut. Depuis, une brouille s’est installée entre les explorateurs et les autorités togolaises au point que le groupe italien dont le siège au Togo se trouve à la cité OUA, commence par plier bagages, si ce n’est déjà fait. Certains ingénieurs ont déjà quitté le pays, d’autres simplement remerciés. Pour certains observateurs, la rupture du contrat serait consécutive à des travaux non concluants ; mais pour des sources plus autorisées bien introduites dans les arcanes d’ENI, il s’agit d’une affaire de royalties que certaines autorités togolaises veulent immédiatement empocher, ce à quoi s’opposent les Italiens.
A Lomé, le groupe italien communique peu; assez curieux pour une compagnie cotée en bourse et dont les activités dans tous les pays doivent se conformer aux règles élémentaires de la transparence. Quant aux autorités togolaises, elles ont toujours entouré cette histoire de pétrole d’un secret d’Etat, à l’image des formules qui ont servi à fabriquer la bombe atomique. Le contrat d’exploration signé le 21 octobre 2010 a été public, même si les dessous ne sont pas accessibles à tout le monde. Partant de là, la rupture ne devrait pas en principe faire l’objet de secret, à moins que les deux partenaires veuillent dissimuler certaines réalités aux Togolais.
Il urge donc que le groupe ENI communique sur ses déboires actuels. Les députés à l’Assemblée nationale devront chercher à en savoir plus sur ce qui se passe sur les côtes en matière d’exploration pour la annoncées comme découverte du pétrole. Les organisations de la société civile et surtout l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) doivent aussi se saisir de ce dossier assez obscur, au nom de la transparence. Il faudra un jour, à l’image du scandale Elf raconté dans les moindres détails dans le livre « Forage en eau profonde », que les responsabilités soient situées et que les Togolais aient une idée sur ceux qui, à un moment donné, ont transformé le pays en leur propriété privée et font de juteuses affaires avec.
A suivre …