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Hommage/Soumaïla Cissé, un défenseur acharné de l’intégration africaine

Publié le mercredi 13 janvier 2021  |  Jeune Afrique
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© Autre presse par TV5
Le candidat de l`opposition au Mali, Soumaïla Cissé, ancien ministre des Finances dans son pays.
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Par Gilles Dufrénot, Professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, ancien conseiller technique à la Commission de l’UEMOA et chercheur au CEPII.

Par Kako Nubukpo, Professeur d’économie à l’université de Lomé, ancien ministre de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques du Togo, et ancien conseiller technique à la Commission de l’UEMOA.



Avec la disparition de Soumaïla Cissé, l’intégration régionale africaine perd l’un des ses plus fervents partisans, qui en fut également l’un des artisans, en tant que président de la Commission de l’UEMOA.

Soumaïla Cissé nous a quittés trop tôt. Au-delà de son engagement politique pour le Mali, il était un partisan infatigable de l’intégration régionale africaine. Nul n’oubliera sa contribution à l’émergence d’une zone économiquement intégrée en Afrique de l’Ouest, dont il fut l’un des pilotes en tant que président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) de 2004 à 2011.

Son obsession était la jeunesse africaine, qu’il souhaitait voir délivrée de ce qu’il appelait ses « maux » : le chômage massif, les taux de scolarisation encore trop faibles des jeunes filles, les obstacles rencontrés par les femmes dans l’accès à des emplois décents, les situations de détresse poussant nombre de jeunes à tenter l’aventure risquée des routes de l’immigration, les sorties précoces du système éducatif.

Son point de vue était que, pour améliorer leur sort, les responsables politiques devaient actionner les leviers des politiques communes définies à l’échelle régionale.

À ses collaborateurs et à ses visiteurs, il exprimait fréquemment son souhait que les institutions régionales soient d’abord un instrument au service des populations. Au-delà des rouages administratifs, de son fonctionnariat, de la bureaucratie, il souhaitait qu’elles puissent répondre aux préoccupations quotidiennes des personnes : mobiliser les leviers de financement pour la construction de puits dans les villages afin d’accélérer l’accès à l’eau potable, soutenir l’émergence de champions industriels régionaux par la délivrance de labels de qualité aux entreprises, fluidifier les flux de marchandises en simplifiant les procédures douanières, favoriser l’accès à une éducation d’excellence par la construction d’écoles africaines régionales… Sous son leadership, la Commission de l’UEMOA fonctionnait sur deux «jambes» : les politiques sectorielles et macroéconomiques.

Pragmatisme

Les premières, pensait-il, sont cruciales pour l’amélioration socioéconomique de la sous-région ainsi que son développement durable.

À une époque où les préoccupations environnementales n’étaient pas encore au cœur des débats politiques, Soumaïla Cissé poussa pour l’adoption en 2008 de la PCAE (Politique commune d’amélioration de l’environnement) dans la zone UEMOA. Il voulait prendre sa part dans la bataille liée à la globalisation des échanges en couplant la compétitivité des économies africaines à la solidarité envers les plus démunis et à la préservation des ressources naturelles, de la biodiversité, des forêts.

Sur les politiques macroéconomiques, son approche fut pragmatique. À des collaborateurs qui lui présentaient les chiffres des prévisions de croissance, il rétorquait parfois que « la croissance ne se mange pas». Une façon d’exprimer le fait que les chiffres, même encourageants des modèles, n’ont de sens que si la croissance est pro-pauvre et que si la richesse globale ruisselle vers les plus démunis.

Le PER (Programme économique régional) mobilisa toute son énergie de 2004 à 2008. Une cellule dédiée au suivi de l’exécution des programmes fut créée au sein de la Commission de l’UEMOA, des équipes furent activées sur le terrain pour accompagner leur réalisation. Car, l’enjeu était de taille, celle de l’amélioration des indicateurs de bien-être, le PER se voulant une déclinaison du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) à l’échelle de la sous-région.

Le « panel de haut niveau » qu’il mit en place à partir de 2008 pour élaborer une vision stratégique à l’horizon 2020 pour l’espace UEMOA fut, sans nul doute, la concrétisation de l’esprit de prospective dont il était animé. Ironie du destin, le scénario le plus pessimiste de ce travail, « Les seigneurs de la guerre : le temps des hyènes », se matérialisa quelques années plus tard dans son propre pays le Mali, avec les attaques jihadistes et le morcellement du territoire malien. Soumaïla Cissé pouvait-il également imaginer, en impulsant cette vision 2020, que cette année serait sa dernière passée sur terre ? Certainement pas, mais en voulant se projeter sur le moyen terme, il voulait dépasser « la dictature des urgences » qui est malheureusement le lot de la gouvernance quotidienne africaine.

Vision panafricaine

Soumaïla Cissé préférait le style simple, direct et dépouillé de tout artifice lorsqu’il s’agissait de discuter d’intégration régionale. Ce qui explique sans doute pourquoi la Commission de l’UEMOA fut un lieu propice pour prendre le pouls de la situation socioéconomique dans la sous-région, notamment pendant les périodes de crise.

Ainsi, en pleine envolée des prix des denrées alimentaires, en 2008, le président de la Commission reçut le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, à Ouagadougou pour discuter des mesures à mettre en œuvre pour endiguer la crise.

De même, en juillet 2011, autorisa-t-il les économistes de l’Unité de prospective stratégique de l’UEMOA à organiser le colloque international « dynamiques de croissance au sein de l’UEMOA », au cours duquel furent discutés sans tabou les avantages et inconvénients du Franc CFA.

Ainsi en fut-il de la « note monétaire confidentielle » qu’il fit rédiger et distribuer à l’ensemble des chefs d’États de l’UEMOA, dont le contenu entrait en résonance avec sa décision de ne jamais siéger au Comité de politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) tant qu’il ne serait pas autorisé à y prendre part au vote, au même titre que le représentant de la France…
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