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Art et Culture

Chronique de la montagne: L’étrange destin des livres ou l’impermanence des objets culturels…au Togo

Publié le mercredi 14 juillet 2021  |  Echiquier
Anonoe,
© Autre presse par L`Echiquier
Anonoe, paisible coin perdu dans la préfecture de Wawa, région des Plateaux (Togo).
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Jusqu’en 2006 existait un sobre cadre de culture dans un petit village nommé Anonoe, un paisible coin perdu loin quelque part dans la préfecture de Wawa, région des Plateaux, Togo. Ce cadre, constitué d’une salle polyvalente, d’une bibliothèque et d’un bureau, était l’œuvre d’un coopérant suisse qui visitait les lieux une fois par année pour y célébrer toutes sortes de fêtes.

Je suis en partie le produit de ce cadre où j’allais lire, découvrir des auteurs, toucher du doigt l’objet livre qui me fascinait. Le fonds de la bibliothèque n’était pas une montagne de livres, mais comptait des titres intéressants qui allaient d’Agatha Christie à Bernard Dadié.

Je parle aujourd’hui de ce cadre au passé parce que c’est cela l’étrange et triste destin des structures culturelles au Togo. Nous peinons à les inscrire dans la permanence. Nous peinons à les inscrire dans un projet durable qui pense entretien, renouvellement et lumière pour la postérité. Nous peinons, en un mot, à sortir ces cadres de culture des sautes d’humeur personnelles ou étatiques. Dès que l’envie, la bonne humeur ou le calcul politique passe, la culture retombe sévèrement sur ses fesses et les livres s’éparpillent, prennent des routes qu’ils peuvent pour survivre.

Quels sont donc les sentiers pris par les livres de mon adolescence? Qu’est devenu le fonds de cette bibliothèque dont je vous parle ?

Quand le coopérant suisse a cessé de venir pour des raisons que j’ignore, le cadre a été transformé en orphelinat et les livres y sont restés pour un temps. On les a plus tard déplacés vers…le centre de soins infirmiers du village; mis à l’abris, disait-on, dans la petite chambre qui servait de pharmacie. Quelle ironie que ce déplacement ! Les livres avaient besoin de soins, et les livres soignent aussi. En prenant la route de la guérison, au sens médical du terme, les livres en tant qu’infaillibles représentants de la culture, nous enseignent la résilience, l’art de se replacer au centre du village, l’art de créer d’autres chemins qui mènent au cœur des hommes quand les yeux ont du mal à voir la nécessité et la beauté des objets culturels.

En compilant les livres dans le cadre médical, les décideurs du village, sans le savoir, avaient créé une métaphore, une image de l’immortalité de la culture, cette chose qui nous est encore si confuse, cette chose pour laquelle il nous faut encore impérativement débusquer et travailler nos sensibilités, cette chose qui transcende le temps mais qui souffre terriblement dans notre espace.

En compilant les livres dans le cadre médical, les décideurs du village ont également créé ou plutôt esquissé un nouveau modèle de centre de soins : un cadre médical doté d’une bibliothèque qui servirait de salle d’attente où les visiteurs, les accompagnants, les soignants, les patients qui le peuvent emprunteraient des livres pour s’occuper le temps d’une attente, d’un repos ou d’une évasion.

Ce n’est un secret pour personne qu’une grande Nation est reconnaissable par les cadres qu’elle crée pour ses objets culturels, et le rapport qu’elle entretient avec ses cadres. Alors risquons le rêve qu’un jour nous saurons créer des cadres à la fois fonctionnels et esthétiques pour abriter les livres et autres objets culturels. Risquons le rêve qu’un jour ces cadres seront entretenus et inscrits dans la logique de la permanence, de la beauté et de l’efficacité. Risquons le rêve qu’un jour le Togo échappera à l’insalubrité culturelle, que le pays apprendra à construire et à se regarder fièrement dans les structures qui abritent toutes les formes de sa créativité, toutes les sources qui assurent le savoir et font naître dans le cœur et la tête des enfants le rêve d’être grand…qu’il soit à Lomé, à Dapaong ou dans un coin perdu quelque part dans la préfecture de Wawa.

Anas Atakora, poète-écrivain
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