L’Afrique de l’Ouest, notamment la Guinée-Bissau, fait figure de plaque tournante du trafic de drogue entre les Amériques, l’Europe et le Moyen-Orient, mais ne représente qu’un poids modeste dans le commerce mondial des stupéfiants les plus lucratifs.
– Quelle place pour l’Afrique dans le transit?
Entre 2015 et 2019, la quantité de cocaïne saisie en Afrique a été multipliée par 10, pour atteindre 12,9 tonnes, mais cela ne constitue que 0,9 % du total mondial, selon le rapport annuel de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) publié en juin dernier.
En l’absence du «renforcement significatif» des capacités de lutte des Etats contre le narcotrafic, l’ONUDC estime que cette multiplication reflète l’augmentation effective des «flux de trafic de cocaïne vers et à partir de l’Afrique».
Ces saisies, essentiellement destinées à l’Europe, ont été réalisées sur cette période à 54% en Afrique de l’Ouest et du Centre et à 39 % en Afrique du Nord.
– La cocaïne est-elle la principale drogue circulant en Afrique de l’Ouest?
Outre «le transit accru du trafic de cocaïne et d’héroïne par le continent», l’ONUDC cite «l’usage de cannabis, l’usage non médical du tramadol», un antidouleur détourné comme stupéfiant.
«Au cours de la période 2015-2019, les plus grosses saisies de tramadol, qui représentaient 86 % du total mondial, ont été signalées en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale», selon le rapport.
En mars dernier, une quantité record de 17 tonnes de résine de cannabis, d’une valeur estimée à plus de 30 millions d’euros, arrivée via le port togolais de Lomé, a été saisie au Niger.
Mais la cocaïne rapporte bien plus. Les 2,9 tonnes découvertes en janvier en Gambie dans un chargement de sel ont été estimées à plus de 72 millions d’euros.
«Bien que toute une série de drogues fassent l’objet de trafics dans les deux sens à travers le Sahara, dont le haschich et les médicaments comme le tramadol, la cocaïne est de loin la plus lucrative», affirme dans un rapport publié en avril dernier par l’ONG Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC).
– La Guinée-Bissau, cas particulier?
Les spécialistes soulignent qu’en Guinée-Bissau, les premiers contacts avec les narcotrafiquants ont été établis par les dirigeants politiques en mal de financements. Ces trafics « continuent à être protégés par les élites militaires, avec l’autorisation des élites politiques », affirme à l’AFP un expert international des économies illégales basé à Bissau.
Même lorsque les trafiquants sont arrêtés et jugés, comme après la saisie record de 1,869 tonne de cocaïne en septembre 2019, la faiblesse, voire la corruption des institutions leur permet souvent de passer entre les mailles du filet.
En mars 2020, la justice a condamné 12 personnes à quatre à seize ans de prison, les peines plus lourdes jamais prononcées dans une affaire de ce type en Guinée-Bissau. Mais les deux principaux prévenus, un Colombien et un Bissau-Guinéen, Braima Seidi Ba, condamnés par contumace, n’ont pas été incarcérés, alors que ce dernier a été vu depuis à Bissau, selon Global Initiative.
Les peines ont été réduites en appel en octobre 2020 de près de la moitié, sur des bases juridiques contestables. Braima Seidi Ba, désormais sous le coup d’une peine de six ans, est visé par un mandat d’arrêt d’Interpol, « mais se déplace librement entre Banjul et Conakry », les capitales de la Gambie et de la Guinée, selon l’expert basé à Bissau.
– L’instabilité, aubaine pour trafiquants?
Les trafiquants recherchent pour s’implanter «des zones où l’Etat de droit est faible mais pas complètement absent», explique Global Initiative dans son rapport. « La perte potentielle d’une cargaison aux mains de bandits ou de groupes armés, comme l’on en trouve fréquemment dans les Etats faillis, représente un risque inacceptable» pour eux.
Mais les trafiquants adaptent en permanence leurs routes, en fonction de très nombreux facteurs.
Ainsi, le fait que l’aéroport de Cotonou soit resté ouvert en 2020 malgré la pandémie, contrairement à bien d’autres dans la région, a contribué à transformer le Bénin en « pays de transit et de départ significatif pour les cargaisons de cocaïne en Afrique», selon l’ONUDC.