Pour le plasticien togolais, Lomé est une source d’inspiration, parfois même une œuvre d’art. Il nous emmène à la découverte de "sa" capitale natale.
«Je vais, je reviens… Je suis moulé dans cette ville». Lomé, le plasticien Camille Tété Azankpo y est né, y a grandi. Il aurait pu habiter en Allemagne où il a étudié, ou bien en France, où il expose régulièrement. Mais il n’a jamais voulu quitter sa ville natale. Chaque jour, ce Loméen contemporain coud avec des fils de fer des bouts de bassines métalliques découpées, leur donnant une nouvelle vie, tel un docteur Frankenstein. Le temps d’une journée, il nous a emmenés faire un tour de «aésa» ville.
Nous partons du nord de la capitale. L’atelier de Camille Tété Azankpo est situé à Forever, un quartier résidentiel, d’où il peut facilement se déplacer dans tout Lomé. Premier stop à l’aéroport, «là où les étrangers ont leurs premières impressions de Lomé».
Dès leur arrivée, les voyageurs ne peuvent pas manquer les fresques qui, depuis 2017, courent sur les murs de l’aérogare, puis sur des centaines de mètres, tout au long de l’avenue de la Paix, jusqu’au centre-ville. Patchwork de couleurs et de formes, représentant la paix et l’amour de la patrie, l’œuvre a été réalisée par huit artistes. Camille Tété Azankpo n’y a pas participé, mais tient à rendre hommage à ses confrères et à saluer la récente volonté des pouvoirs publics d’embellir la ville en faisant la part belle aux artistes nationaux.
Colombe et légendes urbaines
Bifurcation vers le sud-ouest, direction le rond-point de la Colombe-de-la-Paix, dans le quartier de Tokoin. Posé sur une sphère, au sommet d’un vaste socle évasé, l’oiseau immaculé, un rameau dans le bec, surplombe le centre-ville situé en contrebas. Le monument est érigé sur le rond-point le plus emblématique de la capitale, passage obligé entre le sud et le nord de la capitale, entièrement réaménagé ces dernières années (chaussée de deux fois trois voies bitumées, larges trottoirs…).
L’artiste pose fièrement aux côtés de « la Colombe », qu’il compare à une tour Eiffel, tant elle est connue au Togo. Son seul regret : qu’elle ne soit pas l’œuvre d’un Togolais, mais d’un sculpteur italien, Franco Adami. Symbole de sérénité, le monument donne aussi lieu à quelques légendes urbaines. « Il paraît que sous la Colombe existe un passage qui mène directement au camp militaire…
Ou encore que des corps humains auraient été ensevelis pour créer la Colombe ! explique l’artiste. Du temps du président Eyadema père, je me souviens que, lorsque le cortège présidentiel passait par ce carrefour, on bloquait les artères, on fermait les boutiques et tout le monde devait se tourner dos à la route. Cela pouvait durer une heure ou plus. Tout le monde avait peur de simplement regarder les hommes armés postés près de la Colombe».
Aujourd’hui encore, l’endroit est bien gardé : un camp de la Garde républicaine jouxte le monument. Il représente décidément bien la ville, souligne Camille Tété Azankpo : «Oui, il y a la paix à Lomé, mais c’est une paix sécuritaire».
Le marché dans son ADN
Direction le sud, au Grand-Marché d’Assigamé, le plus important de la capitale. Par sa position centrale, avec son littoral et son port en eau profonde, ses commerçants expérimentés et ses produits vendus moins cher qu’ailleurs, la métropole togolaise est une plateforme commerciale majeure dans la sous-région – et même pour l’Afrique centrale. Ivoiriens, Burkinabè, Maliens, mais aussi Gabonais viennent s’y approvisionner en pagnes et en produits de toutes sortes. Lomé est un grand marché et Assigamé, son cœur. Chaque pas de chaland, chaque clameur de commerçant est comme un battement de ville. Même si, Covid-19 oblige, nombre de clients ne peuvent plus aussi facilement se rendre au Togo, les frontières terrestres étant fermées pour les particuliers depuis mars 2020.
C’est là que Camille Tété Azankpo est né et a vécu jusqu’à ses 12 ans. « Le marché est dans mon ADN », dit-il, en racontant qu’il y voyait sa grand-mère vendre du pétrole liquide (pour les lampes) qu’elle achetait au Ghana voisin. Le dimanche, il l’accompagnait parfois à la cathédrale du Sacré-Cœur. Un édifice que l’enfant admirait, non pour son caractère religieux, mais fasciné par sa structure imposante, ses formes, ses couleurs… Aujourd’hui, les œuvres de l’artiste sont découpées, comme des vitraux.
«J’étais toujours content d’aller au marché, car on achetait plein de choses avec ma maman !», se souvient-il avec une pointe de nostalgie. Assigamé, c’est sa madeleine de Proust.
C’est aussi là que le plasticien trouve sa « matière ». Depuis 1999, Camille Tété Azankpo récolte des bassines émaillées – si possible anciennes. Symboliques dans toute l’Afrique : elles sont souvent offertes lors d’un mariage, transmises de génération en génération… «Je leur redonne une autre vie». C’est donc auprès des femmes, et en particulier celles du marché, que l’artiste trouve son bonheur. Aujourd’hui, il a repéré quelques modèles intéressants et promet à la vendeuse de repasser.... suite de l'article sur Jeune Afrique