L’année littéraire 2021 aura été riche de récompenses pour les auteurs africains. Une juste – mais tardive – reconnaissance.
Mohamed Mbougar Sarr : le Goncourt
Avec La Plus secrète mémoire des hommes, le jeune Sénégalais est devenu le premier auteur d’Afrique subsaharienne à obtenir le prestigieux prix Goncourt. Un livre dans lequel, sur près de 450 pages, le héros, Diégane, part à la recherche de T.C. Elimane. Ce dernier, auteur du Labyrinthe de l’inhumain, s’est évanoui dans la nature après avoir été accusé de plagiat. L’intrigue est une référence à l’histoire de Yambo Ouologuem, auteur malien des années 1960 qui s’est muré dans le silence à la suite de griefs identiques portés à l’encontre de son livre, Le devoir de violence, Prix Renaudot en 1968.
Le Goncourt n’est pas la seule récompense française pour laquelle l’écrivain de 31 ans – plus jeune lauréat de l’histoire du célèbre prix – , était en lice cette année. Il figurait également parmi les auteurs sélectionnés pour le Renaudot, le Médicis, le prix des Inrocks ou encore le Grand prix du roman de l’Académie française.
Abdulrazak Gurnah : le Nobel
Depuis sa création en 1901, le Prix Nobel de littérature a largement oublié les auteurs africains. Abdulrazak Gurnah, qui s’est vu récompensé cette année, n’est que le cinquième d’une bien courte liste. L’auteur tanzanien de 72 ans a été distingué pour l’ensemble d’une œuvre qu’il a entamée en 1987 avec Memory of departure. Né en 1948 à Zanzibar, il a fui la Tanzanie en 1968, pour fuir les persécutions qui ciblait la minorité musulmane.
S’il vit depuis un demi-siècle au Royaume-Uni, l’auteur, également de nationalité britannique, revendique haut et fort ses racines africaines. «Si vous me réveillez à 3 heures du matin en me demandant d’où je suis, je sais ce que je vous répondrai : “I am from Zanzibar.” Peut-être même que je vous le dirai en swahili si vous le comprenez, et ce malgré plus de cinquante ans en Angleterre !», glissait-il au journal français Le Monde, dans l’un des rares entretiens qu’il a accordés à la presse depuis qu’il a formellement reçu son prix – c’était le 10 décembre dernier et, pandémie oblige, lors d’une cérémonie en petit comité organisée à Londres.
Salué pour son approche «empathique et sans compromis des effets du colonialisme ainsi que du destin des réfugiés écartelés entre les cultures et les continents», il est surtout connu pour son roman Paradise (1994). Il est l’auteur de nombreux livres – Près de la mer (2006), et Adieu Zanzibar (2017) – dont la plupart ont été récompensés par des prix internationaux prestigieux.
Damon Galgut : le Booker
Lorsqu’il a reçu son prix, début novembre, Damon Galgut a insisté sur le fait qu’il l’acceptait pour «toutes les histoires qui ont été racontées et celles qui ne l’ont pas été», et a voulu le dédier aux écrivains, reconnus ou non, «de ce remarquable continent». Dans The Promise, le roman qui lui a valu de se voir décerner le Booker Prize, le Sud-Africain raconte la lente dislocation d’une famille de fermiers blancs, de la fin de l’apartheid à la présidence de Jacob Zuma. «Un livre dense, avec une signification historique et métaphorique», a salué l’historienne Maya Jasanoff, présidente du jury du Booker.
Seul ombre au tableau, selon l’auteur, le peu de cas fait par les autorités sud-africaine de cette reconnaissance internationale. «Il n’y a pas eu un mot, même pas un mini-tweet du ministère des Arts et de la Culture», regrettait-il quelques semaines après avoir reçu son prix. "Au mieux c’est le signe qu’ils n’ont pas aimé le livre. Mais c’est probablement plutôt le fait qu’ils ne sont pas au courant".
David Diop : (l’autre) Booker
L’écrivain franco-sénégalais s’est pour sa part vu décerner le Booker Prize international. C’est la première fois, depuis sa création en 2005, qu’un francophone reçoit ce prix qui, à la différence du Booker Prize classique, est ouvert aux auteurs non anglophones. David Diop l’a reçu pour le très poignant Frère d’âmes, traduit dans la langue de Shakespeare en 2018, qui raconte le combat intérieur et la dérive meurtrière d’Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais confronté aux horreurs indicibles de la guerre des tranchées.
Spécialiste de la littérature française du XVIIIe siècle, l’auteur enseigne aussi la littérature d’expression française d’Afrique noire. Pour Frère d’âmes, il avait fait le choix, assumé, de la subjectivité. «Je suis tombé sur un passage d’Amkoullel, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ, selon lequel certains effets des tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale seraient conservés quelque part à Bamako, expliquait-il. Je n’y suis pas allé, j’ai préféré imaginer le récit de la guerre vu comme par effraction à travers les yeux d’un soldat. Je souhaitais aller vers la plus grande intimité possible à travers le flux de conscience du personnage».
Dans un entretien accordé en novembre dernier à Jeune Afrique, l’auteur – qui a publié cette année La porte du voyage sans retour – expliquait également comment ce prix a été un tournant dans sa carrière. «Je ne mesurais pas, avant d’arriver parmi les finalistes, l’importance de ce prix. (..) Je me suis rendu compte qu’il m’ouvrait, grâce à l’excellente traduction de la poétesse Anna Moschovakis avec qui je le partage, les portes du Commonwealth. J’ai maintenant des lecteurs de l’ancien empire colonial britannique, notamment indiens, qui m’en parlent».
Boubacar Boris Diop : le Neustadt
L’écrivain sénégalais a reçu le Neustadt le 27 octobre dernier. Un prix international de littérature souvent qualifié de «Nobel américain», que Boubacar Boris Diop s’est vu décerner pour l’ensemble de son œuvre et qui lui a valu les félicitations personnelles du président sénégalais Macky Sall.
Écrivain, professeur de lettres, journaliste, éditeurs, scénariste, et même conseiller technique auprès du ministère de la Culture, Boubacar Boris Diop est sur tous les fronts. Outre ses propres œuvres – Murambi, les derniers ossements (2001), L’Impossible Innocence (2004), Les petits de la guenon (2009)… – Boubacar Boris Diop est également engagé dans le combat de la défense des langues nationales africaines.
En 2013, en collaboration avec Felwine Sarr et Nafissatou Dia Diouf, il a lancé Jimsaan, maison d’édition qui s’est donné pour mission d’inciter les auteurs africains à se faire publier en Afrique par un éditeur africain… Et parmi les dernières parutions – en coédition avec l’éditeur français Phillipe Rey – La Plus secrète mémoire des hommes, qui a valu à Mbougar Sarr son Prix Goncourt.
Khalil Diallo : prix Ahmed Baba
L’année littéraire aura décidément été marquée par les auteurs ouest-africains. Khalil Diallo, jeune écrivain mauritanien installé au Sénégal, a remporté le prix Ahmed Baba, décerné en mars dernier dans le cadre de La Rentrée littéraire du Mali, événement organisé à Bamako. Primé pour son roman L’Odyssée des oubliés, une fresque qui suit le dangereux périple des migrants ouest-africains candidats à l’exil en Europe, l’auteur de 28 ans l’affirme avec force : «la littérature est politique».... suite de l'article sur Jeune Afrique