Par James K. Boyce (Professeur émérite à l’Institut de recherche en économie politique de l’Université du Massachusetts Amherst)
Par Léonce Ndikumana (Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l’Afrique. Comment l’endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent).
Angola, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud… Leur richesse en ressources naturelles est aussi une «malédiction» qui sape le contrat fiscal entre l’État et la population. Un fléau qu’il est urgent d’éradiquer au niveau régional, et même mondial.
Alpha, bêta, gamma, delta, omicron… Combien de lettres de l’alphabet grec, symbolisant les variants du Covid-19, le monde devra-t-il encore endurer ? Alors que l’Afrique australe a été une fois de plus victime de la fermeture de ses frontières – finalement aussi inutile qu’injuste –, une poignée de pays riches continuent de s’opposer à la demande de levée des brevets sur les vaccins et les traitements contre le virus.
Une perte de plus de 2 000 milliards de dollars
Bien sûr, cet égoïsme vaccinal fait des ravages dans les pays pauvres, mais il revient de surcroît comme un boomerang chez les plus favorisés, avec de nouvelles vagues de virus, qui devient plus mortel et plus résistant.
Ce cynisme et cet aveuglement, on les retrouve au niveau des grands flux financiers entre le Nord et le Sud. Sur le papier, les pays riches multiplient les aides au développement et les investissements directs en Afrique. En réalité, ils ferment les yeux sur un système international qui pille systématiquement le continent au profit d’une élite et de grandes entreprises.
Au cours des cinq dernières décennies, l’Afrique subsaharienne a perdu plus de 2 000 milliards de dollars en raison de la fuite des capitaux. L’hémorragie s’est accélérée depuis le début du siècle, atteignant en moyenne 65 milliards de dollars par an, bien plus que les apports annuels d’aide publique au développement.
Dans le monde imaginaire d’une économie de marchés parfaite, les ressources naturelles seraient une bénédiction et les capitaux iraient vers les pays où ils sont les plus rares. Le peuple angolais prospérerait grâce aux recettes de l’extraction pétrolière, les Ivoiriens profiteraient du statut de premier exportateur mondial de cacao de leur pays et les Sud-Africains jouiraient de l’abondance des minéraux.
Dans les faits, les ressources naturelles sont un terrain de chasse pour l’extraction rapide de richesses et l’accumulation offshore. Les flux de capitaux transfrontaliers ne sont pas motivés par les moindres rendements au capital en Afrique, mais par le secret des paradis fiscaux. Les prêts étrangers sont souvent dilapidés et peu rentables, quand ils ne s’évaporent pas dans la nature.
Dans le scandale de la «dette cachée» du Mozambique, par exemple, un prêt de 2 milliards de dollars (équivalant à 12 % du PIB), structuré par des fonctionnaires, des banquiers européens et des hommes d’affaires du Moyen-Orient, n’est jamais arrivé dans le pays, qui doit pourtant le rembourser, avec les intérêts.
Des réseaux clandestins de profiteurs et de facilitateurs
En Angola, qui a connu une hémorragie de 103 milliards de dollars entre 1986 et 2018 – l’équivalent de son PIB en 2018, l’extraction pétrolière n’a servi qu’à enrichir l’élite et les multinationales pétrolières. En attendant, près de la moitié de la population n’a pas accès à l’eau potable et aux services d’assainissement de base.
En Côte d’Ivoire, la majorité des producteurs de cacao vit sous le seuil de pauvreté, alors que la fuite des capitaux a été estimée à 55 milliards de dollars entre 1970 à 2018. Dans ce même laps de temps, quelque 329 milliards de dollars se sont volatilisés en Afrique du Sud, notamment du fait de la sous-facturation systématique des exportations de minerais, expliquant en bonne partie les performances médiocres en matière de croissance, d’épargne, d’investissement intérieur et de réduction de la pauvreté, dans ce qu’on appelle le «pays le plus inégalitaire du monde».
Ces montants, nous les révélons dans notre dernier ouvrage, On the Trail of Capital Flight from Africa : The Takers and the Enablers, qui sera publié par Oxford University Press fin janvier 2022, à travers trois exemples : l’Angola, la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud, des pays riches en ressources naturelles mais où les résultats en matière de développement sont décevants.
Au-delà des chiffres, nous montrons comment les élites nationales sont aidées et encouragées par des banques, des comptables et des sociétés de conseil externes pour orchestrer la fuite des capitaux des pays africains. La politique de la « malédiction des ressources » sape le contrat fiscal entre l’État et la population. Lorsque l’État tire l’essentiel de ses revenus de monopoles paraétatiques, complétés par des prêts extérieurs, ses principaux électeurs deviennent ses collaborateurs étrangers plutôt que ses propres citoyens.... suite de l'article sur Jeune Afrique