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Togo: Exercice du droit de grève dans la Fonction publique, une pratique controversée et récurrente dans l’éducation et la santé

Publié le mardi 22 mars 2022  |  Societe civile Media
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© aLome.com par Parfait
La STT durcit le ton dans ses revendications et passe la barre de cinq jours de grève dans la Fonction publique.
Lomé, le 20 mars 2015. Centre communautaire de Tokoin. La STT brandit toujours ses revendications et annonce le ralliement de Centrales syndicales occidentales à sa cause au Togo.
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Au Togo, le droit de grève est mis à l’épreuve ces dernières années du fait des perturbations enregistrées dans le secteur de la santé, mais aussi dans l’enseignement où les fonctionnaires se mobilisent par solidarité syndicale et pour des revendications plus spécifiques.

Les grèves des fonctionnaires sont répétitives, fragilisant ainsi le droit d’accès à un service public de qualité. Les points soulevés par les organisations syndicales pour lancer leur mot d’ordre de grève, sont souvent des revendications classiques du service public. Ils sont relatifs notamment au niveau de rémunération, aux conditions de travail, ou encore à l’avancement dans le corps. Ainsi, ils mettent en avant la faiblesse de leur rémunération et prêt à remettre en cause les valeurs du service public.

Les multiples discussions ouvertes par le gouvernement avec les organisations syndicales des secteurs de l’éducation et de la santé au Togo, mais surtout les mesures prises pour apporter des solutions aux problèmes soulevés dans ces secteurs, n’ont visiblement pas suffit à rassurer les fonctionnaires au regard d’une nouvelle grève qui plane sur le secteur de l’éducation à quelques semaines du début des examens de fin d’année. Pas plus que le 23 février 2022, le gouvernement réuni en conseil des ministres à adopté le décret n°2022-022 relatif à la représentativité des syndicats professionnels et à l’exercice du droit de grève en République togolaise.

Un texte qui définit les modalités de préavis et de négociations préalables et organise aussi les conditions d’un service minimum obligatoire. A travers ce décret, le gouvernement affiche désormais sa volonté de promouvoir le dialogue social, en limitant ainsi les grèves récurrentes notamment dans la fonction publique par la recherche du compromis.

Le problème de la grève des fonctionnaires est délicat et complexe. La grève dans les services publics est devenue un fait banal. Philippe Terneyre écrivait à ce propos : « qu’il n’y a guère de mois, voire de semaine au cours d’une année civile sans grève dans les services publics. Le nombre de journées perdues est innombrable à tel point que la grève dans les services publics est devenue partie intégrante du paysage social ». Ces propos trouvent leur pertinence dans le contexte de notre pays le Togo où on assiste comme soulevé ci-haut à une recrudescence des grèves dans les secteurs de la santé et l’éducation.


Une reconnaissance et protection du droit de grève des fonctionnaires

Le fonctionnaire est toute personne placée à l’égard de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire, nommée et titularisée dans un grade de la hiérarchie des emplois publics, ayant vocation, par application des règles d’avancement de fonctionnaire à occuper des emplois publics permanents selon la loi n° 2013-002 du 21 janvier 2013 portant statut général de la fonction publique togolaise. Il se caractérise par trois éléments fondamentaux que sont la nomination dans un emploi permanent, la titularisation dans un grade de la hiérarchie des corps et la soumission à un statut particulier. Ces caractéristiques déterminent le régime juridique applicable aux fonctionnaires qui est souvent précisé dans le statut.

Ce texte apparait comme la somme des droits et des obligations, des prérogatives et des contraintes qui pèsent sur les fonctionnaires. Cette situation lui confère des droits et des obligations qui s’appliquent à tous les agents de sa catégorie. C’est ainsi que les fonctionnaires bénéficient des droits individuels et des droits collectifs au cœur desquels se trouve le droit de grève.

Le droit de grève tant aimé et sollicité par les organisations syndicales au Togo comme une arme de lutte pour obtenir des améliorations liées à leurs conditions de vie et de travail était absent de la liste des droits collectifs reconnus aux fonctionnaires. Historiquement, ce droit n’existait pas dans des pays comme la France. En 1922, Maurice Hauriou écrivait « qu’il est inadmissible que les fonctionnaires se mettent en grève parce que cela interrompt des services publics dont la continuité est indispensable à la vie nationale».

Par conséquent, la grève des fonctionnaires était pendant longtemps considérée comme illicite dans plusieurs pays. Ce fut le cas en France jusqu’en 1946 lorsque la Constitution de la Ve République a inclus une disposition qui accorda le droit de grève aux fonctionnaires. Cette disposition sera complétée et interprétée par le Conseil d’Etat dans sa célèbre décision Dehaene qui a proposé la « nécessité d’une réglementation du droit de grève ». Cette restriction dans l’exercice du droit de grève se justifiait par le fait qu’il incarnait la puissance publique et avait la charge de gérer les secteurs essentiels de la vie. La grève a le même sens en droit de la fonction publique comme en droit du travail. Selon Marc Moreau, «la grève est une cessation collective et concertée de travail en vue de faire aboutir des revendications professionnelles».

Allant dans le même sens, le Conseil constitutionnel français dans sa décision du 25 juillet 1979 définira la grève comme une «cessation concertée du travail en vue de la défense d’intérêts professionnels». Au Togo, c’est la loi n°2021-012 du 18 juin 2021 portant code du travail qui définit la grève à travers l’alinéa 1 de l’article 322 en ces termes :« La grève est une cessation collective et concertée du travail décidée par les travailleurs en vue d’obtenir la satisfaction de leurs revendications d’ordre professionnel».

Dès lors, l’existence d’une grève est conditionnée par trois éléments que sont : un véritable arrêt du travail, le caractère collectif du mouvement ainsi que la poursuite de revendications professionnelles.

La grève présentant une importance capitale dans les sociétés démocratiques contemporaines notamment pour la plupart des pays africains dont le Togo ; c’est sans doute la raison pour laquelle le droit de grève est consacré par le droit international, le droit communautaire et le droit constitutionnel. Cette reconnaissance à différentes échelles a eu un écho au Togo.
La Constitution togolaise du 14 octobre 1992 modifiée le 15 mai 2019, reconnait le droit de grève et la loi n° 2021-012 du 18 juin 2021 portant code du travail et la loi n° 2013-002 du 21/01/2013 portant statut général de la fonction publique togolaise réglementent ce droit. L’alinéa 1 de l’article 39 de la constitution dispose que «Le droit de grève est reconnu aux travailleurs. Il s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent». Le texte constitutionnel laisse ainsi une place prépondérante au législateur pour fixer les modalités d’exercice du droit de grève au Togo.

La loi n° 2013-002 du 21 janvier 2013 portant statut général de la fonction publique togolaise dispose en son article 244 que «Le droit de grève est reconnu aux fonctionnaires qui l’exercent dans le cadre défini par les textes législatifs en vigueur en la matière, et dans la mesure compatible avec la continuité du service public. Certains statuts peuvent restreindre à leurs membres l’exercice du droit de grève».

Le législateur précise également que l’autorité administrative compétente peut, à tout moment, procéder à la réquisition des fonctionnaires qui occupent des fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens, au maintien de l’ordre public, à la continuité des services publics ou à la satisfaction des besoins essentiels de la nation. Poursuivant dans le même sens, la loi prévoit aussi que les fonctionnaires requis n’ayant pas déféré à l’ordre de réquisition sont passibles d’un emprisonnement de six (06) jours et d’une amende de vingt mille (20.000) à cent mille (100.000) francs CFA ou de l’une de ces deux (02) peines seulement. Il est prévu aussi dans la loi qu’en aucun cas, l’exercice du droit de grève ne peut s’accompagner de l’occupation des lieux du travail ou de leurs abords immédiats.

Le droit de grève est reconnu par le code du travail et les travailleurs ont le droit de recourir à la grève pour défendre leurs intérêts professionnels. L’article 322 stipule à partir de l’alinéa 2 que « Les travailleurs ont le droit de recourir à la grève pour défendre leurs droits et leurs intérêts professionnels soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale, dans les conditions prévues par les lois et règlements en vigueur.

Le droit de grève s’exerce dans des conditions de durée et selon des modalités compatibles avec les exigences intrinsèques de l’activité de l’entreprise ou de l’établissement ». Plus loin, l’article 324 prévoit que «pour être licite, la grève fait l’objet de négociations préalables entre les parties et être précédée d’un préavis de dix (10) jours ouvrés notifié à l’employeur et à l’inspecteur du travail et des lois sociales du ressort par une ou des organisations syndicales régulièrement constituées et reconnues représentatives conformément aux lois et règlements en vigueur. Le préavis indique les noms et prénoms, la qualité, la profession et l’adresse de trois membres de la direction ou de l’administration de l’organisation syndicale et précise les motifs du recours à la grève, le site concerné, la date et l’heure du début ainsi que la durée de la grève envisagée…».

Le Code du travail a prévu également que l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires. Le contrat de travail des grévistes est suspendu pendant la période de grève et l’employeur n’est pas tenu de payer les salaires des grévistes au cours de cette période. Les travailleurs recouvrent leur emploi en fin de grève et ne peuvent être sanctionnés du seul fait de leur participation à la grève. Si la grève est illégale, les grévistes doivent reprendre le travail dans les quarante-huit (48) heures. Un travailleur qui, sans raison valable, ne se présente pas à son poste à la fin de cette période, est passible de sanctions disciplinaires.

A travers le décret n°2022-022 relatif à la représentativité des syndicats professionnels et à l’exercice du droit de grève en République togolaise, les autorités togolaises en application du code du travail ont pris des dispositions nécessaires pour assurer l’exercice du droit de grève à tout travailleur, qui peut défendre, dans les conditions prévues par les lois et règlements, ses droits et ses intérêts professionnels, soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale.

L’article 10 précise que «La cessation de travail ne peut intervenir qu’à la suite de l’échec total ou partiel des négociations». Ainsi, pour être légale, la grève doit faire l’objet de négociations préalables entre les parties et être précédée d’un préavis de dix (10) jours ouvrés notifié à l’employeur et à l’inspecteur du travail et des lois sociales du ressort par une ou des organisations syndicales régulièrement constituées et reconnues représentatives conformément aux lois et règlements en vigueur. Le décret poursuit en disposant que "est nul et de nul effet, tout préavis initié par une organisation syndicale dont l’existence légale ou la représentativité ne sont pas établies, ou sans que l’une des conditions relatives aux fonctions de direction ou d’administration de syndicats ne soient respectées".

Le texte fait obligation à toute organisation syndicale à l’origine du préavis de grève de collaborer avec l’employeur en vue d’assurer le service minimum obligatoire. Dans le décret, il est interdit toute grève à caractère général ou à durée illimitée ; toute grève déclenchée en violation des dispositions d’un accord de conciliation ou d’une sentence arbitrale ayant acquis force exécutoire ; toute grève qui s’exerce sur les lieux de travail, à leurs périmètres ou abords immédiats ; toute grève accompagnée de menaces ou d’actes de violence, d’intimidation ou d’occupation violente des lieux de travail ou de leurs abords immédiats.

Il est établi par ailleurs que lorsque la grève affecte un service essentiel, l’autorité administrative compétente peut, à tout moment, le cas échéant sur saisine du chef d’entreprise ou d’établissement, procéder à la réquisition de ceux des travailleurs grévistes qui occupent des emplois indispensables à la sécurité des personnes et des biens, au maintien de l’ordre public, ou à la satisfaction des besoins essentiels de la nation. Le texte précise que les services essentiels sont ceux relevant de la sécurité, de la santé, de l’éducation, de la justice, de l’administration pénitentiaire, de l’énergie, de l’eau, des régies financières de l’Etat, des banques et établissements financiers, des transports, des télécommunications, exception faite des radios et des télévisions privées.

Il est clair que le fonctionnaire ne peut user de son droit de grève sans respecter les conditions prévues par les textes. Toutefois, il convient de noter que cette réglementation peut s’analyser comme une restriction à l’exercice du droit de grève. C’est dans ce cadre que le juge est régulièrement saisi des cas de limitations du droit de grève.


Les restrictions à l’exercice du droit de grève

Le droit de grève dans la fonction publique n’est pas un droit absolu parce que se situant entre deux principes d’ordre constitutionnel à savoir une liberté d’aller en grève pour les fonctionnaires et une nécessité pour l’administration de faire fonctionner le service public.

La première limite apportée à l’exercice du droit de grève est relative à la mesure de réquisition applicable à certains fonctionnaires. C’est un acte de la puissance publique par lequel, dans des conditions strictement déterminées, une autorité administrative ou militaire impose à une personne physique ou morale l’accomplissement de certaines prestations dans un but d’intérêt général. Le code du travail à travers ces articles 327 et 328 prévoit les conditions dans lesquelles la réquisition peut être mise en œuvre. L’alinéa 1 de l’article 327 dispose que « en cas d’urgence ou de nécessité impérieuse avérée, ou en cas de refus des travailleurs à l’organisation du service minimum obligatoire, l’autorité administrative compétente peut procéder à la réquisition selon les conditions et modalités prévues par voie réglementaire».

Les catégories de fonctionnaires susceptibles d’être réquisitionnées sont précisées par le décret relatif à la représentativité des syndicats professionnels et à l’exercice du droit de grève en République togolaise. L’article 20 prévoit que « lorsque la grève affecte un service essentiel, l’autorité administrative compétente peut, à tout moment, le cas échéant sur saisine du chef de l’entreprise ou d’établissement, procéder à la réquisition de ceux des travailleurs grévistes qui occupent des emplois indispensables à la sécurité des personnes et des biens, au maintien de l’ordre public, ou à la satisfaction des besoins essentiels de la nation».

Il s’agit des services essentiels relevant de la sécurité, de la santé, de l’éducation, de la justice, de l’administration pénitentiaire, de l’énergie, de l’eau, des régies financières de l’Etat, des banques et établissements financiers, des transports, des télécommunications, exception faite des radios et des télévisions privées. Il s’agit donc des services dont l’interruption partielle ou totale est de nature à porter de graves préjudices à la paix, à la sécurité, à l’ordre public ou aux finances publiques ou à mettre en danger la vie et la santé des personnes dans tout ou partie de la population. Cette interdiction affecte naturellement tous les corps dont l’activité se rattache directement aux fonctions régaliennes de l’Etat.

Cette limitation du droit de grève à certains fonctionnaires se fonde sur deux justifications. Il s’agit d’abord un fondement juridique et ensuite un fondement pratique qui s’explique par la nature même du service public. Le refus de déférer à la réquisition est passible de sanctions. En dehors des sanctions disciplinaires, le législateur togolais à prévu des sanctions pénales allant d’un emprisonnement de 6 jours et d’une amende de 20.000 francs à 100.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement.

La deuxième restriction tient à l’exigence du préavis de grève. Ainsi s’agissant du caractère légal de la grève, le code du travail et son décret d’application ont unanimement admis que toute grève de fonctionnaires sans préavis est illégale. L’obligation est faite aux fonctionnaires de respecter les formalités exigées dans le préavis pour être en conformité avec la légalité administrative puisque toute grève qui ne respecte pas le dépôt du préavis est «illégale».

L’alinéa 1 de l’article 324 du code du travail prévoit que «pour être licite, la grève fait l’objet de négociations préalables entre les parties et être précédée d’un préavis de dix (10) jours ouvrés notifié à l’employeur et à l’inspecteur du travail et des lois sociales du ressort par une ou des organisations syndicales régulièrement constituées et reconnues représentatives conformément aux lois et règlements en vigueur ». Dans le même ordre d’idées, le décret précise en son article 11 que pour être légale, la grève doit faire l’objet de négociations préalable entre les parties et être précédée d’un préavis de dix (10) jours ouvrés, notifié à l’employeur et à l’inspecteur du travail et des lois sociales du ressort par une ou des organisations syndicales régulièrement constituées et reconnues représentatives conformément aux lois et règlements en vigueur. Ainsi, la grève ne peut être déclenchée qu’à l’expiration du délai de préavis.

Le délai de préavis est destiné à permettre à l’administration, d’une part, d’engager les négociations pour éviter éventuellement la grève et d’autre part, si la grève ne peut être évitée, de prendre les mesures indispensables destinées à préserver la sécurité des personnes et des biens. Le fait d’imposer aux fonctionnaires l’expiration du délai pour entamer toute action liée à la grève pourrait être soulevée comme un piège dans les modalités d’exercice puisque pendant cette période, l’administration peut ouvrir des négociations repoussant ainsi la grève, et même pousser les fonctionnaires à surseoir au mot d’ordre de grève.

La dernière restriction à l’exercice du droit de grève tient aux retenues de rémunération. La grève correspond à une cessation concertée du travail par les salariés ou les agents publics, dans le but de faire prévaloir des revendications à caractère professionnel. La grève se traduit alors par une volonté clairement affichée de ne pas exercer les obligations de service. Or, cette cessation du travail est synonyme en droit public d’absence de service fait. L’exercice du droit de grève doit alors se concilier avec la règle du service fait constitutive d’un des principes les plus importants en finances publiques et notamment en comptabilité publique. La grève possède donc un enjeu financier majeur que le législateur n’a pas négligé.

Il prévoit ainsi que toute grève entraîne une réduction proportionnelle du traitement ou salaire et des accessoires à l’exception des allocations familiales. On peut retrouver cette mesure à travers les alinéas 1 et 2 de l’article 330 du code du travail qui dispose que « …. toute grève entraîne une réduction ou une privation du salaire et des accessoires pour toute la durée de la grève, à l’exception des allocations familiales, sans préjudice des sanctions disciplinaires ou des poursuites judiciaires pour les fautes personnelles commises à l’occasion de l’exercice du droit de grève».
Intervenant dans le même sens, l’article 27 du décret n°2022-022 du 23 février 2022 précise que «toute grève entraine une réduction proportionnelle du traitement ou salaire et des accessoires à l’exception des allocations familiales». L’article 30 du même décret dispose également que l’absence de service fait donne lieu, sans autre formalité, a une réduction proportionnelle, du traitement ou salaire et des accessoires à l’exception des allocations familiales.

Est considéré comme service non fait selon le décret lorsque, l’agent ou le travailleur gréviste s’abstient d’effectuer tout ou parties de ses heures de service, ou bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à sa fonction. Cette mesure de prélèvement sur salaires des jours grevés a été appliquée récemment aux enseignants grévistes de l’Université de Lomé, aux agents de la santé et surtout aux enseignants du primaire et secondaire des écoles du Togo.

La règle du service fait implique deux éléments. D’un point de vue quantitatif, elle implique que l’agent effectue l’intégralité de ses heures de service, et d’un point de vue qualitatif, elle suppose que l’agent exécute l’ensemble des obligations de service qui s’attachent à sa fonction. L’absence de service fait due à la grève est ainsi caractérisée selon que l’agent ait réalisé partiellement ses heures ou obligations de service. L’administration n’a aucune difficulté à constater le non-respect de la règle du service fait. L’agent étant absent, elle applique simplement la règle comptable : pas de service fait, pas de rémunération. Dans ce cas, la retenue sur la rémunération est pratiquée sans qu’il soit nécessaire de la motiver et plus généralement sans que l’agent bénéficie des garanties de protection liées à une procédure disciplinaire.

L’administration et la nécessité de la protection de l’intérêt général

La grève des agents publics a un impact considérable sur le fonctionnement du service public qui fonctionne sur la base des règles clairement définies comme la mutabilité, la continuité et l’égalité. Dans le cas précis, c’est le principe de continuité qui est mis à l’épreuve. L’administration publique a ainsi la lourde responsabilité de faire cohabiter l’exercice du droit de grève aux principes constitutionnels énoncés plus haut afin de préserver l’ordre public. Ainsi, elle doit assurer la satisfaction de l’intérêt général. Dans cette mission elle veille au maintien du service public en utilisant divers moyens mis à sa disposition par le législateur. Parmi ces moyens figure l’institution du service minimum pour la satisfaction des besoins des usagers.

La grève des fonctionnaires constitue souvent une menace dans la continuité du service public d’une part et sur l’efficacité de l’action administrative d’autre part. En effet, la première entrave au service public lors d’une grève c’est l’interruption des activités du service public qui de par leur nature sont des activités d’intérêt général. Le service public doit fonctionner de manière continue et régulière. Le bon fonctionnement du service public est un indicateur de la qualité des rapports entre l’administration et les usagers. Cette exigence du service minimum surtout pour les fonctionnaires intervenants dans les secteurs essentiels de la vie nationale atténue les atteintes que la grève peut avoir sur les droits des usagers. Le fait que l’activité ait le caractère de service public ou réponde à la satisfaction de besoins essentiels de la société confère à l’État un certain pouvoir d’action pour éviter les grèves excessivement nocives pour le public.

Le service minimum est prévu dans la fonction publique togolaise. Le législateur togolais l’a évoqué à travers plusieurs textes. Cette mesure apparait à travers l’alinéa 1 de l’article 244 du statut général de la fonction publique togolaise, lorsque le législateur dispose que «…. dans la mesure compatible avec la continuité du service public ». L’article 326 du code du travail aborde dans le même sens en stipulant à son alinéa 1 que « A l’expiration du préavis et en cas d’échec des négociations, les travailleurs peuvent cesser le travail sous réserve : · a) d’organiser en concertation avec l’employeur, un service minimum dans l’entreprise ou l’établissement afin d’éviter les accidents et d’assurer la sécurité et la protection des installations et des équipements ainsi que la continuité de l’activité ; … ». Même son de cloche dans son décret d’application « A l’expiration du préavis et en cas d’échec des négociations, le personnel peut cesser le travail sous réserve d’organiser en concertation avec l’employeur, un service minimum obligatoire dans l’entreprise ou l’établissement afin d’éviter des accidents et d’assurer la sécurité et la protection des installations et des équipements ainsi que la continuité de l’activité…».

C’est en cas de non-organisation par les travailleurs que les autorités procèdent à la réquisition. Les services considérés comme essentiels sont ceux relevant de la santé, de la sécurité, de l’énergie, de l’eau, des transports aériens et des télécommunications, exception faite des radios et des télévisions comme nous l’avons souligné plus haut. Mais la notion de services essentiels semble imprécise et risque une extension à «l’allure où vont les choses, tous les secteurs de la fonction publique finiront un jour par devenir des secteurs essentiels et donc soumis à l’interdiction du droit de grève».

L’administration utilise également d’autres moyens comme le dialogue pour atténuer la pratique du droit de grève. Dans la pratique, les fonctionnaires sont amenés à négocier avec l’administration. Cette dernière peut définir les contours de la négociation, proposer des réponses aux doléances dans une perspective de dissuader au maximum les fonctionnaires grévistes. Dans ce rapport de forces, les pouvoirs de l’administration semblent être plus importants puisqu’elle détient la « liberté » d’apprécier les préavis, d’ouvrir des négociations afin d’aboutir à des accords entre les parties. Pour anticiper sur la grève, l’autorité administrative compétente utilise des modes alternatifs de règlement des conflits. Le code du travail dispose à travers l’alinéa 1 l’article 259 que « Le dialogue social est le processus d’échange d’informations et de communication par lequel les acteurs du monde du travail s’entendent pour gérer au mieux leurs intérêts».

Le même article précise que Le cadre national du dialogue social est le Conseil National du Dialogue (CNDS). Composé des représentants des organisations professionnelles des travailleurs, des employeurs et de l’Etat, ce cadre a pour attributions entre autres d’animer le dialogue social ; promouvoir une culture de prévention des conflits de travail ; ou encore participer à la résolution des conflits majeurs du monde du travail. A côté de ce cadre d’action, le gouvernement à travers un décret crée le Conseil national du travail (CNT) en vue de mettre l’accent sur les discussions entre les différentes parties prenantes, en cas de litige ou de revendications liées au Travail. A la différence du CNDS, le CNT est un organe consultatif tripartite réunissant l’Etat, les représentants des salariés (syndicats) et les professionnels.

Le CNDS est créé afin d’assurer une médiation entre le gouvernement et les centrales syndicales dans la fonction publique pour trouver ou faire respecter des accords. En procédant ainsi, le gouvernement semble détenir les cartes de l’exercice du droit de grève des agents publics. Elle peut anticiper sur de possibles grèves des fonctionnaires. Mais les syndicats optent souvent pour un rapport de forces en lieu et place des négociations. Cette situation installe un climat tendu qui met en péril l’objet même du droit de grève au regard au vent des crises sociales constatées en fin d’année dernière au Togo. C’est la raison pour laquelle, l’intervention du juge est importante, surtout le juge des référés qui comme on le sait rend des décisions dans des délais très brefs.

A côté de la question du dialogue social, il y a celle de l’application des accords signés avec les syndicats de fonctionnaires. Le respect des accords demeure la pomme de discorde entre les syndicats et le gouvernement au cours de ces dernières années au Togo. L’effectivité des accords signés se pose de façon générale dans le secteur public. Souvent, on revient l’année suivante pour réclamer l’application des accords signés sous l’effet de la «contrainte».
En général, la grève prend fin par la négociation d’accords de fin de grève. Les syndicats réussissent à faire signer au gouvernement un accord pour sauver une année ou pour baisser la tension sociale. Ces pratiques expliquent quelque part la difficulté de respecter les accords signés. Face à ces situations, les fonctionnaires utilisent le droit de grève pour défendre leurs intérêts. C’est ce à quoi nous assistons ces derniers temps avec l’annonce par le syndicat des enseignants du Togo (SET) d’une nouvelle grève dans le secteur de l’éducation pour les 24 et 25 mars 2022.


La grève, un moyen malgré tout de défense des intérêts des fonctionnaires

La grève reste malgré tout une arme efficace pour les travailleurs. Son existence est la satisfaction, par le jeu des pressions exercées sur le pouvoir public, d’un corps de revendications librement exprimées. Cette efficacité de la grève est comprise par les fonctionnaires qui utilisent ce moyen pour faire progresser leurs conditions de travail. En effet, les nombreuses et récurrentes grèves dans la fonction publique ont conduit à souligner l’usage fréquent du droit de grève par les fonctionnaires. Au Togo, entre 2017 et 2021, les grèves se sont multipliées essentiellement au sein des secteurs de la santé et de l’éducation. Cette situation montre que le recours au droit de grève est l’expression de la défense des droits des fonctionnaires.

L’importance des missions du service public et la place du fonctionnaire dans le dispositif administratif justifie les relations étroites entre l’exercice du droit de grève et le fonctionnement du service public. Les fonctionnaires dans l’exercice de leur droit de grève portent un préjudice à l’administration dans sa mission de service public. Ainsi, ils contribuent à la crise du secteur public. Cette situation s’explique par le fait que les fonctionnaires sont placés au cœur de l’action publique et leur absence pour motif de grève ralentit l’action de l’administration. Les grèves répétitives ont un impact dans la crise du service public et sur les droits des usagers des services publics.

L’usage du droit de grève n’est pas sans conséquence. Le premier effet est la menace sur l’ordre public. En effet, les grèves sont souvent accompagnées de manifestations, ou encore les marches à l’image des scènes auxquelles nous avons assisté ces dernières années au Togo, qui ne respectent pas souvent les critères de l’ordre public comme la salubrité, la tranquillité et la sécurité. L’exercice du droit de grève ne doit pas remettre en cause le respect d’autres principes constitutionnels en relation avec l’intérêt général. Ces grèves répétitives dans la fonction publique poussent les pouvoirs publics à retirer ce droit aux fonctionnaires ou à restreindre son exercice. A titre illustratif, on peut évoquer l’exemple du Bénin ou le pourvoir a tenté à plusieurs reprises, par la voie législative, de retirer le droit de grève à certains fonctionnaires ; ce qui n’est heureusement pas le cas pour le moment au Togo.

En définitive, les fonctionnaires des différents secteurs notamment l’éducation et la santé doivent user de façon efficiente le droit de grève en gardant «l’esprit du service public» qui appelle au respect des obligations légales et statutaires. C’est en gardant cette posture de « serviteur » de l’Etat que les agents publics pourront assurer à la fonction publique une «stabilité» en lieu et place de remous constants liés à l’effervescence du front social.
Quant au gouvernement, il doit assurer ses missions tout en respectant le caractère légal du droit de grève d’autant plus que ces mouvements continus de grève des fonctionnaires ne s’adressent plus à la seule administration, mais interpellent tous les décideurs publics et leaders d’opinion. S’il est vrai que le droit de grève est un droit relatif, il revient à gouvernement de veiller au respect des limites imposées par les textes constitutionnels et législatifs ainsi que des principes dégagés par la jurisprudence. C’est par le respect de l’équilibre droits et devoirs que les fonctionnaires togolais pourront contribuer au renouveau du service public gage d’une administration publique efficace qui connais depuis quelques années un début de modernisation grâce à diverses mesures adoptées par les autorités togolaises.


Samiroudine OURO SAMA

Juriste, Acteur de la Société Civile, Président de l’association ICJ-VE
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