Homme de convictions, humble et volontairement effacé, l’ancien argentier du Togo, Dr Victor K. Alipui, décédé le 12 avril dernier dans sa 86è année, sera inhumé ce 23 avril après une veillée funèbre ce 22 avril à Lomé (sur la Paroisse du Collège Protestant). Il laisse derrière lui un imposant legs intellectuel aux prochaines générations.
«La monnaie est plus qu’un instrument d’échange»: telle est restée la ligne défendue par Dr Victor Komla Alipui dans ses deux et derniers livres présentés au public togolais le 25 mai 2021, à la faveur d’une soirée-dédicace dans la grande salle de l’Agora Senghor à Lomé. C’était à la veille du ‘Colloque international sur l’Eco’ de Lomé.
‘Genèse des institutions monétaires et bancaires du Ghana’, ‘Le rôle de la monnaie dans le développement économique et social de l’Ouest-Africain’ étaient les deux ouvrages dédicacés par feu Alipui en mai 2021. Lui qui appartient à la première génération d’économistes togolais post-indépendance. Deux œuvres publiées en 2020 aux éditions «L’Harmattan».
Dans ses deux dernières productions littéraires, V. Alipui a défendu la thèse fondamentale qui réfute la neutralité de la monnaie. Singulièrement, dans l’ouvrage ‘Le rôle de la monnaie dans le développement économique et social de l’Ouest-Africain’, il s’est appesanti sur la thèse de la neutralité de la monnaie dans quatre pays ouest-africains. A savoir: Ghana, Guinée, Côte d’Ivoire et Sénégal.
L’auteur y a démontré que la prétendue neutralité de la monnaie n’est pas prouvée. C’est à partir de ce constat qu’il s’est posé une question pertinente sur le développement des pays ayant gardé des relations étroites avec l’ancienne métropole: «Si la monnaie n’est pas neutre, peut-elle contribuer au développement des pays de l’Afrique de l’ouest»? Une interrogation qui devrait interpeller tous les acteurs de l’écosystème du processus de développement en Afrique. En mai 2021, juristes, économistes, acteurs de la Société civile et politiques présents à la soirée-dédicace se sont emparés de cette interrogation. Ce fut le cas de Pr Kako Nubukpo, ancien ministre de la Prospective économique au Togo. In fine, tous ont convenu que pour tout pays africain, la souveraineté monétaire est une condition sine qua non de son développement.
«On fait recours habituellement à l’aide internationale. On ne peut compter sur l’aide étrangère pour créer le bien-être dans nos pays. C’est une thèse qui est vielle en ce sens qu’on a commencé en 1960. Il y a eu des étapes et on a fait des études post-universitaires.
Le message, il est clair dans ces thèses. Méfiez-vous de l’aide internationale. Pour avoir une monnaie épanouie, il faut faire travailler les gens. Nous avons des matières premières. L’Afrique est immensément riche. Il faut un travail pour renouveler la production. En tout cas, beaucoup de choses sont dites dans ces deux livres pour une Afrique forte et que vous pourrez découvrir», résumait feu Alipui au terme de la présentation des deux ouvrages précités.
Une vie, une passion pour le Togo et pour l’Afrique
Ancien Ministre de l’Economie et des Finances et président-fondateur du GRADD (Groupe de Réflexion et d’Action pour la Démocratie et le Développement), Victor Komla Alipui «incarnait l’une des rares figures politiques togolaises de la génération Eyadèma Gnassingbé qui osait dire publiquement la vérité à la génération Faure et Fabre, sans prendre parti», décrit un analyste togolais sous anonymat.
«Si les membres de l’actuelle génération de la classe politique togolaise mettaient en pratique une infime partie des conseils des personnalités comme Edem K. Kodjo et Victor Alipui, beaucoup de mutations seraient déjà intervenues sur l’échiquier politique national ces dix dernières années. Malheureusement, des personnalités de la trempe de Kodjo, Alipui et bien d’autres passent de vie à trépas sans voir leur patrie se lancer durablement sur la voie de l’industrialisation et de la modernité politique. Ce sont des pertes intellectuelles sèches pour un petit pays comme le Togo», confie un sémioticien local sur le même sujet.
Né en 1936 à Atakpamé au Togo, Komla Victor Alipui fit ses études supérieures à la Faculté de Droit et Sciences économiques de l’Université de Dakar (aujourd’hui Université Cheikh Anta Diop) et à l’Université de Rennes en France. Il fut également haut fonctionnaire à la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et du FMI (Fonds monétaire international). Il avait occupé par ailleurs le poste de Président du Conseil d’Administration de la Banque Internationale d’Afrique pour le Togo.