Après plusieurs reports, la Cour d’appel de Lomé a rendu son arrêt ce 12 mai 2022 dans l’affaire ‘Pétrolegate’ (‘’présumé détournement de 500 milliards de fcfa dans le cadre du fonctionnement du CSFPPP -Comité de suivi des fluctuations des Prix des Produits Pétroliers au Togo-), du nom d’une série de révélations sur l’importation des produits pétroliers au Togo faite le confrère ‘Alternative’. Le collège des juges du second degré a suivi le raisonnement du Tribunal de première instance de première classe du Lomé et a donc rejeté l’appel du journal ‘Alternative’.
Le 4 novembre 2020, le Tribunal Lomé, suite à une plainte des Adjakly pour diffamation, avait condamné ‘Alternative’ et son Directeur de publication au paiement de 2 millions de fcfa chacun à titre de dommages et intérêts à Fabrice Affatsawo Adjakly (le Directeur Financier du CSFPPP). ‘L’Alternative’ avait interjeté appel le même jour (le 4 novembre 2020). Réaffirmant «sa sérénité durant cette procédure judiciaire et sa détermination à aller jusqu’au bout pour la manifestation de la vérité». «Nous ne payerons pas un seul franc à ces voleurs. Leur fortune illicite de plus de 500 milliards de fcfa ne va pas augmenter de nos pauvres 4 millions, ce sera un double vol. Nous partons pour une longue bataille judiciaire, un feuilleton palpitant qui permettra à tous les Togolais de découvrir les tenants et aboutissants de ce dossier», s’était défendu le Directeur de Publication de ‘L’Alternative’, Ferdinand M. Ayité.
Une nouvelle étape de la procédure judiciaire s’était donc ouverte depuis cette période, marquée par plusieurs reports de certaines audiences pour diverses raisons. C’est cette longue étape qui vient de prendre fin au stade de la Cour d’appel ce 12 mai. Pour le Conseil des Adjakly, c’est le soulagement. «Aujourd’hui, je suis satisfait sur le plan du droit, j’estime que la Cour d’appel a respecté la loi et a fait respecter la loi», a laissé entendre Me Edem Julien Kokou, un des avocats de Francis et Fabrice Adjakly. Le Conseil de ‘l’Alternative’ n’était pas à la Cour d’appel ce matin du 12 mai.
Les juges de la Cour d’appel ont estimé que le journal ‘Alternative’ n’a pas pu apporter les «preuves suffisantes des allégations publiées» dans le cadre de l’affaire ‘Pétrolegate’. Auprès de la juridiction du premier degré, la partie Adjakly avait fondé sa plainte sur une diffamation par voie de presse. La Cour d’appel dans son approche a rappelé les limites dans lesquelles la liberté journalistique doit s’exercer. Expressément dans cette affaire, les juges d’appel ont estimé que «ces limites ont été dépassées».
Le Conseil du confrère ‘Alternative’ dispose encore d’une voie de recours, notamment un pourvoi devant la Cour suprême du Togo. Avant l’entame de la procédure judiciaire auprès de la Cour d’appel, le Conseil de l’’Alternative’ avait fondé son optimisme sur la collégialité des juges de la juridiction du second degré: «Nous faisons toujours confiance à la Justice, pas celle incarnée par les hommes. Nous attendons de la Cour d’appel un travail scientifique pour nous dire ce qui s’est réellement passé dans ce ‘pétrolegate’. Les débats seront rouverts auprès de la juridiction du second degré, ce ne sera plus un juge unique, mais une composition à trois juges. Si l’un se trompe, peut-être les autres vont le ramener à la raison pour que la vérité soit dite», avait projeté Me E Kpade. Une projection judiciaire et juridique à laquelle n’adhère pas la décision de ce 12 mai 2022 de la Cour d’appel.
Résumé du ‘pétrolegate’ devant la juridiction du premier degré
C’est en septembre 2020 que la procédure judiciaire qui oppose les Adjakly au bi-hebdomadaire ‘L’Alternative’ a été enclenchée auprès du Tribunal de Lomé.
Le fils Adjakly a porté plainte contre le journal ‘L’Alternative’ et son Directeur de publication, F. Ayité, pour publication d’une série d’articles incriminant la famille Adjakly dans une vaste affaire de «délits d’initiés au ministère du Commerce». Une affaire qui aurait fait «volatiliser entre 400 et 500 milliards de fcfa», selon l’Alternative, dans le processus d’approvisionnement de l’Etat togolais en produits pétroliers sur plusieurs années, via «une solide chaine de corruption et de sociétés écran».
Au terme de 4 audiences, le délibéré du Tribunal de Lomé a été vidé le 04 novembre 2020. Une décision qui a condamné le journal «Alternative» à au moins 4 millions de fcfa d’amende sans véritablement éclairer la lanterne des citoyens togolais sur les tenants et les aboutissants de cette affaire.
Face au camp Adjakly qui campe stricto sensu sa plainte dans ce procès sur la «pure diffamation de Fabrice Adjakly par un journal», la partie défenderesse exige la plus grande lumière autour du circuit d’approvisionnement de produits pétroliers au Togo. En fondant entre autres ses arguments sur le rapport d’audit étatique sur ce circuit précité, le tout soutenu par une partie de l’opinion togolaise.
Une affaire médiatique, une position permanente du confrère ‘Alternative’
«Je suis déçu devant le jugement du Tribunal du 04 novembre, et en même temps, cette décision m’arrache des rires, car j’ai l’impression que nous sommes en train d’assister à un cirque au Tribunal de Lomé. Nous sommes dans une affaire de détournement de deniers publics qui a suscité la commande d’un audit par l’Etat. Le rapport provisoire de cet audit épingle essentiellement MM. Fabrice et Francis Adjakly, ainsi que plusieurs autres personnes mêlées à cette affaire ! Nous nous étonnons donc pour le fait que le Tribunal ne veut pas prendre en compte ce rapport d’audit dans le procès ‘Adjakly-Alternative’, et veut toujours courir avant le ballon. C’est tout de même décevant. Nous avons l’impression que le Tribunal de Lomé veut court-circuiter les choses !
C’est un piège que le Conseil de ‘l’Alternative’ a tendu au juge durant ses plaidoiries, le juge est tombé dedans. Les jours à venir seront beaucoup plus édifiants», avait relaté et expliqué Me Kpade Koffi Elom (membre du Conseil de ‘l’Alternative’, au sortir du jugement du 4 novembre 2020).
«La précipitation avec laquelle on a voulu traiter ce dossier en est l’élément remarquable. Parler du pétrole est un domaine purement technique et réservé aux initiés. Le juge qui a rendu le jugement du 04 novembre ne s’y connaît pas non plus, tout particulièrement la manière dont les commandes sont passées en la matière. Même le Procureur a dit durant le procès qu’il faut arriver scientifiquement à prouver les faits reprochés à Ferdinand Ayité.
Dans ces conditions, il nous faut une instruction dans le dossier, un juge d’instruction pour le prendre à bras le corps pour mettre en lumière ses zones d’ombre. Malheureusement, le juge a voulu s’en tenir uniquement aux déclarations faites à la barre ! Une attitude hyper décevante. D’où le terme ‘cirque’ que j’ai utilisé pour qualifier cette décision. J’ai l’impression qu’on ne veut pas dire la vérité au peuple togolais via ce procès», avait encore ajouté davantage cet avocat du journal bi-hebdomadaire togolais.
Un pourvoi auprès de la Cour suprême devrait ainsi rallonger le bras de fer judiciaire entre les deux parties.