Voici la transcription d'un entretien réalisé par Daphné Benoit de l'AFP avec le général Laurent Michon, le commandant de l'opération Barkhane. L'armée française compte changer de mode d'action au Sahel après son retrait du Mali, offrant désormais d'intervenir "en soutien" et non plus en substitution des armées locales, selon le commandant de la force française Barkhane. Les militaires français ne seront plus que 2 500 environ au Sahel à l'issue de ce repli, qui ouvre une phase de coopération renforcée avec les autres pays de la région, en fonction de leurs besoins.
Près de cinq mois après la décision de la France de retirer ses troupes du Mali, où en est-on de ce désengagement hors norme?
Nous estimons que nous serons capables de quitter le Mali d'ici la fin de l'été comme demandé par la président de la République. Nous avons démonté les camps de Gossi et Ménaka et sommes passés en-dessous de 2 000 hommes au Mali. Et nous sommes maintenant en train de désengager la base de Gao. Au total, 4 000 containers et un peu moins d'un millier de véhicules doivent partir du Mali. Le dispositif de recueil au Niger est en place. Il ne s'agit pas de redéployer Barkhane au Niger, mais sur le plan logistique, on a besoin de passer par ce pays.
La menace terroriste n'est pas si importante sur l'axe Gao-Niamey. Les groupes armés reprennent du poil de la bête, notamment l'EIGS (Etat islamique au Grand Sahara) car nous n'agissons plus contre sa colonne vertébrale. Donc la menace existe toujours, mais elle est plus maîtrisable car ce corridor est très fréquemment utilisé par la Minusma, l'armée malienne et (la force française antijihadiste) Barkhane. Pour moi, ce désengagement n'est pas un échec. Repartons des missions confiées: mettre l'ennemi à la portée des forces maliennes. L'armée malienne est passée de 7 000 à 40 000 hommes et Barkhane a participé à cette montée en gamme, tout en aidant à ce que les garnisons (...) cessent d'être submergées par les groupes terroristes, à qui nous avons fait baisser la tête.
Comment va évoluer la présence militaire française au Sahel et en Afrique de l'Ouest?
Après le retrait du Mali, il devait rester environ 2 500 soldats français au Sahel à la fin de l'été. Mais cela dépendra avant tout des souhaits des Etats africains (...). Des échanges sont en cours entre les capitales africaines, Paris et les capitales européennes. Nous et les Européens allons vers davantage d'opérations de coopération, conditionnées de façon plus stricte aux demandes des pays africains, et qui viendront +en soutien de+ et non pas +à la place de+. Le Mali est un bon exemple: nous avons certes fait monter en puissance l'armée malienne (...) mais nous avons parfois agi à sa place. On a créé en mars un PC de partenariat à Niamey, qui a pour but de travailler avec des officiers africains insérés. C'est une forme de continuité, en réalité. Au Niger, cela fait plus d'un an qu'il y a un groupement français (à la frontière malo-nigérienne, ndlr) sous les ordres du général nigérien qui commande cette zone d'opération.
S'agit-il de moins prêter le flanc à des critiques contre l'ancienne puissance coloniale?
La manipulation des populations existe, des mensonges énormes sont répandus selon lesquels nous armerions les groupes terroristes, nous kidnapperions des enfants, nous laisserions des charniers. Il est facile d'agiter un bouc émissaire auprès de personnes qui vivent des situations extrêmement difficiles sur le plan sécuritaire et humanitaire. Il y a eu une manoeuvre de désinformation sur les réseaux, avec des mercenaires de Wagner qui ont enfoui des cadavres à Gossi (pour accuser les militaires français, ndlr). Pour la première fois, l'armée française a décidé d'expliquer comment les choses se passent en vrai, en déclassifiant et en montrant des images de drone. Ils vivent sur le pays, pillent, commettent des exactions, ont mis la main sur l'appareil de commandement de l'armée malienne et font des choses dans le dos des chefs. La meilleure réaction (...), c'est le respect de nos propres valeurs, c'est être clairs sur ce qu'on fait et laisser les journalistes africains et européens venir voir, faire du fact-check. La meilleure arme, c'est l'information vérifiée, recoupée.