Réconciliation nationale. C’est
l’un des plus vieux chantiers ouverts par Faure Gnassingbé à son
avènement au pouvoir. Si ce vœu (pieu) a été formalisé par la mise en
place en 2009 de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation,
l’exécution des recommandations faites par Mgr Nicodème Barrigah et les
siens après trois ans de travaux, est malheureusement en grande
souffrance. Mais l’étau semble se resserrer de plus en plus autour du
régime. Le dernier appel en date pour l’application des recommandations
vient de l’instance onusienne des droits de l’Homme, le Hcdh.
Mme Flavia Pansieri, le nième appel
En séjour au Togo depuis le 17 février
dernier, la Haut commissaire adjointe des Nations unies aux droits de
l’Homme est arrivée le 20 février en fin de mission consacrée aux
questions des droits de l’Homme, et a animé une conférence de presse.
Tout en saluant des « avancées considérables » – on cite ici
l’abolition de la peine de mort, la tenue des législatives du 25 juillet
2013 sans violences, la révision du Code des personnes et de la
famille…-, Mme Flavia Pansieri souligne qu’il y a tout de même beaucoup
d’effort à faire.
Entre autres sujets de préoccupation
majeure dont la question des conditions carcérales dans notre pays, la
Haut commissaire adjointe des Nations unies aux droits de l’Homme a
abordé la problématique de la réconciliation nationale. Et comme on
devrait le redouter, elle a appelé le pouvoir Faure Gnassingbé à prendre
les dispositions nécessaires pour la mise en œuvre, dans un délai assez
court, des recommandations de la Commission Vérité, Justice et
Réconciliation (Cvjr), convaincue que « l’avenir serein et pacifique du Togo dépend en grande partie de la finalisation de ce processus de justice transitionnelle ».
Elle juge prioritaire l’opérationnalisation du Haut commissariat pour
la réconciliation et le renforcement de l’unité nationale (Hcrrun) créé
sur le papier depuis mai 2013 et l’élaboration du programme des
réparations. Et Mme Flavia Pansieri a réitéré la disponibilité du Hcdh à
accompagner le Togo dans cette voie. « Le gouvernement peut compter sur le soutien du Hcdh dans la finalisation du Libre blanc qui doit fixer les prochaines étapes », a-t-elle déclaré.
L’UE, le PNUD…pour l’application des recommandations
La Haut-commissaire des Nations unies
aux droits de l’homme n’est pas la toute première voix étrangère à
requérir l’application des recommandations de la Cvjr. Elle n’est que la
dernière d’une série de personnalités ayant brisé le silence sur cette
question. Le chef de la Délégation de l’Union européenne au Togo,
Nicolas Berlanga-Martinez abordait déjà le sujet le 13 décembre 2013, à
l’occasion d’une réception offerte dans le cadre de la célébration de la
65e journée mondiale de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Dans son allocution de circonstance, le patron de la Délégation de l’Ue au Togo a en effet souhaité que « la mise en œuvre des recommandations », « de toutes les recommandations » s’accélère. « En
mettant en œuvre les recommandations de la Cvjr, vous êtes, nous sommes
tous en train de pousser en faveur de la croissance économique, de
l’égalité des opportunités, d’un avenir plus prospère », avait-il
lancé à l’assistance, réitérant à l’occasion l’appui de l’Union
européenne. Monsieur Berlanga-Martinez ne manque pas de renouveler cet
appel, à chaque fois que l’occasion s’offre. Comme lors du forum
organisé les 13, 14 et 15 février derniers par la Plateforme citoyenne
Justice et Vérité qui a rassemblé les acteurs de la société civile et
les partenaires au développement pour faire le bilan du chemin parcouru
et réfléchir sur les voies et moyens pour booster la réconciliation. Il a
insisté sur « la publication des trois (03) autres volumes complémentaires », « la lutte contre les inégalités [étant] centrale pour éviter la répétition des violences, conformément à la recommandation 26 ».
Même son de cloche chez la Représentante résidente du Hcdh, Mme Olatokunbo Ige, qui insiste sur « la nécessité de la mise en place effective du Haut-commissariat et de la publication du livre blanc ». Mme Khardiata Lo du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), quant à elle, a mis plutôt l’accent sur «
la notion d’infrastructures durables pour asseoir la non-répétition des
violences politiques. Cela concerne les mécanismes d’alerte précoce,
les élections et les dispositifs de suivi de mise en œuvre des 68
recommandations ». Et pour couronner le tout, le délégué de
l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) qui était
également présent à la cérémonie d’ouverture du forum sus-mentionné, a
relevé « la mise en œuvre rapide des actes symboliques qui ont une influence profonde sur le vivre ensemble des Togolais ».
La contribution du PASCRENA
Le Projet d’appui à la société civile et
à la réconciliation nationale (Pascréna) est un projet mis en place par
l’Union européenne spécialement pour booster la réconciliation au Togo.
Son chef, Christophe Courtin est allé jusqu’à faire des prescriptions
aux partenaires du Togo dans ce sens lors du forum organisé par la
Plateforme citoyenne Justice et Vérité.
Le Pascréna leur propose de mieux travailler en « mode harmonisé »,
comme le leur recommande la Déclaration de Paris, la mise en œuvre des
recommandations à partir des engagements que le gouvernement prendra
dans son livre blanc. L’objectif serait, a indiqué M. Courtin, «
conformément au processus d’amélioration de l’aide auquel toutes ces
institutions ont adhéré, d’identifier dans leurs aides multiformes
celles qui ont un impact sur l’une ou l’autre recommandation ». «
La coopération militaire de quelques chancelleries qui a une influence
sur les recommandations 11 à 16. L’appui à la décentralisation impacte
les recommandations 4 et 5. Les financements de la BM ou du FIDA dans le
développement rural concernent les recommandations 26 et 28 »,
donne-t-il en exemples. La seconde piste s’adresse particulièrement aux
partenaires qui font de l’appui institutionnel à l’Etat togolais et
suggère « la mobilisation des pouvoirs publics à suivre la mise en
œuvre des recommandations à travers toutes les missions des ministères
concernés par l’une ou l’autre recommandation. Une lecture budgétaire de
la mise en œuvre des recommandations pourrait être faite. Ce travail de
traçabilité gouvernemental des recommandations de la CVJR pourrait être
confié au ministère des droits de l’Homme comme mission de l’une de ses
directions. Le ministère des droits de l’Homme ne serait pas le seul à
se préoccuper de la réconciliation, mais il serait le point focal de
suivi des recommandations dans chaque ministère ou dans les grandes
institutions ».
Point n’est besoin de rappeler ici les
nombreux appels de la société civile togolaise lancés à l’endroit du
gouvernement depuis avril 2012, pour l’application des recommandations
de la Cvjr. Des appels auxquels le pouvoir est malheureusement resté
sourd.
Un processus manifestement bloqué par le pouvoir
Si Faure Gnassingbé a simulé une
certaine volonté de favoriser la réconciliation nationale au Togo en
créant la Cvjr et ordonnant l’enclenchement travaux, le processus est
manifestement bloqué depuis bientôt deux ans.
La remise officielle du rapport devrait
ouvrir sans tarder la phase de la mise en œuvre des recommandations,
toute chose devant favoriser la réconciliation. Mais ces prescriptions
dorment depuis le 3 avril 2012 où elles ont été officiellement remises à
Faure Gnassingbé. Les trois autres volumes du rapport respectivement
relatifs aux circonstances historiques des faits, aux détails des
investigations de la Commission avec mention des identités des auteurs
et à l’approfondissement de la problématique de la réparation avec la
liste des victimes ne sont pas publiés jusqu’à ce jour. Mieux, c’est un
embargo qui est décrété par le pouvoir sur ces documents. Mgr Nicodème
Barrigah et les siens avaient proposé l’élaboration d’un Livre blanc
devant indiquer la façon dont le gouvernement compte mettre en œuvre les
soixante-huit (68) recommandations. Ce document aussi se fait désirer.
En décembre 2012, lors des échanges de
vœux avec le corps diplomatique, Faure Gnassingbé annonçait la création
d’un Haut commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité
nationale, de même qu’un Fonds spécial de réparation et de
réhabilitation des victimes. Le Haut commissariat à la réconciliation et
au renforcement de l’unité nationale était censé se charger de la
rédaction du Livre Blanc de la réconciliation et de la « mise en œuvre progressive et intégrale » des
conclusions, avait indiqué Faure Gnassingbé. Il a fallu cinq (05) mois
après pour que le décret formalisant sa mise en place ne soit pris en
conseil des ministres. C’était le 24 mai 2013. Mais depuis, les membres
devant le composer ne sont pas encore nommés. De fait, les
recommandations formulées par la Cvjr sont restées en l’état. Toutes
choses qui justifient les appels tous azimuts lancés pour leur mise en
œuvre.
Le pouvoir Faure Gnassingbé va-t-il s’exécuter ?
La société civile et l’opposition
togolaises, les partenaires du processus dont le Hcdh, le Pnud, l’Union
européenne…qui demandent unanimement que les recommandations de la Cvjr
soient mises en œuvre. Il faut avouer que l’étau se resserre davantage
autour du pouvoir Faure Gnassingbé, car la problématique devient un
sujet de sérieuse préoccupation. Surtout à l’approche de la
présidentielle de 2015 – les élections présidentielles sont souvent des
occasions de violences. Le régime Faure Gnassingbé est visiblement seul
contre tous dans cette voie. La sortie de la Haut-commissaire des
Nations unies aux droits de l’homme n’est que la nième exhortation dans
ce sens. Il ne reste peut-être que l’appel de Dieu en personne à
l’endroit de Faure Gnassingbé et les siens. Mais la question est de
savoir si le régime en place va s’exécuter, malgré toutes ces pressions.
Tino Kossi
LIBERTE HEBDO