À quoi sert-il pour les dirigeants africains de magnifier les qualités de la défunte souveraine si, de par leurs propres pratiques, ils se situent aux antipodes des valeurs qu'incarnait la Reine d'Angleterre?
A la quasi-unanimité, l’Afrique a salué, et de manière plutôt vibrante, la mémoire d’Elizabeth II, dont le pays était, de tous les empires coloniaux, celui qui comptait le plus grand nombre de possessions en Afrique. Toutes ont acquis l’indépendance après l’accession de la jeune reine au trône, en 1952. Comment expliquer, alors, ces critiques virulentes dirigées contre elle, alors que tous lui reconnaissent d’avoir travaillé sans relâche pour instaurer des rapports apaisés avec l’Afrique?
De nombreux peuples africains ont, enfouies dans leur mémoire collective, des blessures de répressions et autres brutalités infligées par la colonisation, britannique ou autre. En dépit du temps, ce passé peut encore raviver des rancœurs, et lorsque surgit la rancœur, le sens de la nuance s'estompe.
Or, lorsque l’on aborde une vie comme celle d’Elizabeth II, toute analyse est faussée, dès lors que l’on s’entête à englober dans un tout indissociable la personnalité, sa vie et ses origines. Être née princesse, et même finir reine, ne rend pas, ipso facto, coupable de tous les crimes de la colonisation ou même de ses ancêtres.
Durant son très long règne, son sens moral l’a souvent poussée à se démarquer de l’exécutif, voire à contrarier un Premier ministre sur certaines questions majeures. Dans cette monarchie constitutionnelle, elle semble avoir toujours veillé à ne pas se situer du mauvais côté de l’Histoire. Ainsi, était-elle pour les sanctions contre l’Afrique du Sud raciste ; contre la confiscation du pouvoir par une arrogante minorité ségrégationniste en Rhodésie du Sud, et finalement pour l’indépendance du Zimbabwe. Elle a même refusé de mépriser un Kwame Nkrumah ostracisé par le gouvernement britannique.
Sa vie, plus que jamais, est un livre ouvert, que l’on feuillette en mondovision, et les Africains, plutôt que d’y rechercher d’improbables violences délibérées contre leurs peuples, seraient mieux inspirés de s’interroger sur la cohérence et la sincérité de l’admiration que semblent lui vouer nombre de leurs dirigeants.
Pourquoi donc ? Ces dirigeants n’auraient-ils pas le droit de l’admirer, eux aussi?
Ils ont tous les droits. Mais, certains peuples peuvent être troublés d’entendre leurs dirigeants magnifier des vertus prêtées à la défunte reine, alors que dans leurs propres pratiques du pouvoir, ils sont aux antipodes desdites valeurs. Avant d’être aimée du monde, Elizabeth II a su se faire aimer de son peuple. Notamment par son dévouement, son souci des autres et sa capacité à rester dans les limites de ses prérogatives constitutionnelles. Car, il y a des limites, même au pouvoir d’une reine ! Et c’est sur l’observation scrupuleuse de ces limites que se fonde, de manière durable, la liberté et la démocratie.
Les populations attendent donc de leurs dirigeants davantage que de les voir rudoyer, au pays, les textes, raboter les lois, et tricher pour confisquer tous les leviers du pouvoir, en s’attribuant, au besoin, les prérogatives dévolues aux contre-pouvoirs puis, ensuite, se présenter à la face du monde, pour chanter les louanges d’Elizabeth II.
L’Afrique a tout de même eu, pendant près d’un quart de siècle, un modèle propre, ami, du reste, de la défunte reine : Nelson Mandela !...