Elle est née d'un buisson ardent. Il y a 21 ans - en avance sur son temps - Sena Alouka co- fonde Jeunes volontaires pour l'environnement, au Togo. Depuis, l'ONG a fait des émules dans une trentaine de pays d'Afrique et revendique être la plus grande association de jeunesse pour l'environnement en Afrique avec près de 50.000 adhérents.
Comment sont nés les Jeunes volontaires pour l’environnement et quel est votre parcours personnel?
C’est parti d’un événement fortuit : un petit feu de brousse à Kpélé Tsiko, à 200 km au nord de Lomé. On est en juin 1999, j’étais à l’université. C’est le début des vacances et comme à notre accoutumée, on était dehors à se raconter des histoires entre amis, autour du feu, juste en bas de la maison du chef. Ce soir-là, nous avons vu un feu se déclencher dans la forêt. Des cris de détresse ont retenti un peu partout dans le village. La population, mes parents, avaient l’habitude de stocker l’igname dans la forêt et ils étaient en train de partir en fumée. Le village s’est déplacé comme un seul homme vers la forêt pour essayer un tant soit peu d’éteindre les flammes, les hommes avec les palmes, les femmes transportant de l’eau, allaient et revenaient entre la rivière et la forêt. De façon brave, le village a éteint le feu qui hélas avait consumé la plupart des greniers. Comme jeunes, on s’est délecté des ignames calcinées. Mais quand même, de la discussion a rejailli le fait que ces feux devenaient récurrents et que la ceinture verte autour du village était grandement menacée. Cela a réveillé en nous une énergie de vouloir mettre en place un système plus juste, plus viable.
Ma mère dit que c’est de la marmite la plus noire que sort la bouillie la plus blanche. Voilà comment nous avons transformé un problème en opportunité. L’idée était de s’assurer que les jeunes du village puissent avoir la formation, comprendre quelles sont les techniques qu’on peut tirer des connaissances locales pour mieux gérer nos écosystèmes.
JVE est né le 23 novembre 2001. Et depuis, nous sommes reconnus, on a essayé de toucher les cœurs des jeunes dans près 30 pays en Afrique. On parle de 50 000 membres. C’est un mouvement de jeunes qui aujourd’hui impactent la société et devient une force de proposition.
On peut aussi y recevoir une formation complémentaire au cursus universitaire. Des centaines de gens sont passés chez nous et sont arrivés à créer des entreprises soit dans le domaine de l’entreprenariat vert, soit dans le domaine de l’associatif aussi. Beaucoup sont devenus consultants, au Fonds Vert pour le climat, au Fonds d’adaptation, dans des banques ou recrutés par l’État.
Parlez-nous de votre parcours…
Je suis littéraire et journaliste de formation. J’ai ensuite été formé à l’université de Rennes (Bretagne) sur le développement durable, à l’UICN pour le développement organisationnel et à Greenpeace pour tout ce qui a trait à la restauration des écosystèmes. J’ai animé comme journaliste des émissions sur l’environnement qui déjà parlaient de l’importance de garder nos savoirs, nos connaissances traditionnelles, parce que le monde qui vient est un monde incertain.
Quels sont vos principaux chantiers ?
Au Mali, JVE travaille sur la restauration d’une zone de biosphère protégée, la boucle de Baoulé, que l’État a délaissé pendant très longtemps. Cet écosystème abritait beaucoup d’espèces animales aujourd’hui dégradées. Notre action passe par l’éveil de l’attention des citoyens sur la nécessité de préserver les ressources animales et végétales, de restaurer les pratiques ancestrales qui se faisaient avant que nous perdons progressivement, d’appeler l’État à prendre ses responsabilités. Une aire protégée relève de la responsabilité première de l’État. Donc c’est surtout un travail de conscience politique et de plaidoyer avec l’État.
Le deuxième chantier sur lequel nous sommes très engagés, c’est la transition agroécologique. Au Togo, au Bénin, au Zimbabwe ou au Kenya, nous aidons les municipalités, les collectivités à amorcer une transition agroécologique. Il s’agit de repenser le modèle agricole productiviste vers un modèle contrôlé par les citoyens.
Un troisième élément de notre engagement, c’est la transition énergétique. Tant qu’on ne règlera pas la question de la biomasse, on va être confrontés à la dégradation de nos terres. Dans nos pays, les terres se dégradent à cause de l’agriculture, mais aussi à cause de la production de charbon et de bois de chauffe. C’est important d’aller vers une promotion des foyers améliorés qui permettent de capitaliser sur le quotient énergétique du bois. Dans la production de charbon de bois, nous perdons énormément. Chez moi au Togo, la cuisine tue plus que le sida et le paludisme réunis, à cause de la fumée.
Comment tout cela est mis en œuvre ?
Dans les pays, nous avons des branches locales ou des clubs de jeunes. Ces clubs sont engagés dans des actions de terrains. Par exemple, attirer l’attention du maire sur l’importance de déplacer tel dépotoir, de donner la place à un jeune dans le comité de gestion de la ville. Beaucoup d’actions également sur l’assainissement, la cosntruction de toilettes écologique. Il y a enfin, nous avons beaucoup d’action d’éducation par le théâtre et par le plaidoyer. Ces jeunes-là vont dans les établissements, vont sensibiliser leurs camarades, vont organiser des séances de théâtre, des visites dans les forêts, sur les sites traditionnels. Nous organisons enfin des évènements culturels pour reconnecter la jeunesse avec notre passé que nous sommes en train de perdre. Nous dansons, nous chantons, nous raconter des histoires. Nous écrivons cette Afrique nouvelle à laquelle nous rêvons tous.
M. Alouka ministre de l’Environnement demain, quelles seraient ses premières décisions ?
Alors Sena Alouka ministre de l’Environnement, de vous à moi, cela ne risque pas d’arriver ! Pas au Togo en tout cas (rires). Je commencerais par l’éducation, avec un programme systématique d’éducation à l’environnement avec une formation de remise à niveau de tous les enseignants. Une formation depuis le bas-âge
Le ministère de l’Environnement est le ministère le plus riche, parce que l’économie de notre pays est basée sur la capital naturel. Donc il y a nécessité d’accompagner notre pays à s’engager vers cette transformation de l’économie vers un capital vert. Autre chose de très important : les ressources humaines. Il y a beaucoup d’opportunités aujourd’hui, mais nous n’avons pas les moyens ni les compétences. Nos jeunes ne sont pas formés. Combien de Togolais sont capables d’élaborer des projets banquables auprès du Fonds vert pour le Climat ? Combien sont à même de postuler à de grands appels à projets ? Le dernier point serait plus politique. Il s’agirait de mettre en place un gouvernement vert. Arriver à faire une gestion cohérente des affaires de l’État dans une sobriété énergétique et environnementale.
Ce qui caractérise la jeunesse aujourd’hui, c’est la spontanéité. Cette jeunesse qu’on n’arrive pas à comprendre, elle créé, elle innove, elle bouscule aussi. La plupart des revendications partent des universités. Cette jeunesse là est prête à changer de paradigme. Au Burkina Faso, au Mali, dans quelques pays où il y a eu des révolutions politiques, les jeunes sont là. Ils ont compris que le modèle de développement qu’on nous a vendu pendant des années, on ne peut pas continuer à vivre avec.
Les jeunes quittent leur village : je comprends, l’État a démissionné, il n’y a pas de financement, les entreprises meurent, les initiatives ne sont pas soutenues. Mais il n’y a de résultats que dans la détermination. Ne croyez pas que vous pouvez créer une ONG, une entreprise et en deux trois ans, récupérer vos fonds. A JVE nous avons pu faire ce que nous avons fait parce que nous sommes constants. 21 ans à faire la même chose, il faut être fou !
Quelles sont vos attentes de la COP27 comme organisation de jeunesse?
Des attentes d’action et de décisions d’une manière générale. Et la jeunesse a un rôle à jouer. On dit souvent qu’on n’attend pas l’avenir comme un train, on le fait. C’est important que les jeunes comprennent que c’est leur monde. Moi quand j’ai commencé à assister aux COP en 2001, j’étais le seul francophone à aller à la COP11 à Montréal. J’ai dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Aujourd’hui, je me réjouis, après avoir créé l’Initiative de la jeunesse africaine sur le climat, de voir un mouvement extraordinaire de jeunes qui prend un peu part aux négociations aujourd’hui. Quand on a commencé, on criait « invitez-nous, on veut participer ! » Ce discours, c’est terminé. Il y a aujourd’hui suffisamment d’espaces. Occupez les espaces ! Allez aux réunions, créez des associations, allez poser des questions aux élus locaux.... suite de l'article sur RFI