Le 26e congrès de l’Internationale socialiste s’est tenu du 25 au 27 novembre à Madrid dans une quasi indifférence des politiques européens eux-mêmes. Ce qui pousse à s’interroger sur l’ancrage idéologique des formations politiques africaines.
Par Eric Topona Mocnga (Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn).
C’est la grand-messe, presque centenaire, des lointains héritiers de Marx, Lénine et Blum. Si elle fut longtemps courue, en 2022 évoquer les grandes batailles idéologiques et sociétales du Front populaire en France suscite de légitimes interrogations. En effet, si dans les heures les plus ardentes de la bataille idéologique qui, au XXe siècle, opposa l’Est et l’Ouest autour des deux pôles de puissance planétaires que furent l’URSS et les États-Unis d’Amérique, la légitimité historique de l’Internationale socialiste – fille de l’Internationale ouvrière – n’était guère contestable, il est en revanche légitime de questionner celle-ci dans ce premier quart du XXIe siècle.
Dogme libéral
Dès la dernière décennie du XXe siècle, le monde a connu des mutations profondes avec, notamment, l’effondrement du communisme, la conversion de la quasi-totalité des États au dogme libéral du Consensus de Washington, et la mue de nombreuses formations autrefois socialistes vers la social-démocratie. Une mue qui dissimule quelquefois une réelle adhésion à des politiques libérales, à l’instar des travaillistes en Angleterre sous la primature de Tony Blair.
De nombreuses formations politiques africaines sont membres de l’Internationale socialiste. Certains de leurs dirigeants ont d’ailleurs accédé à d’éminentes fonctions dans leur pays, voire à la magistrature suprême. C’est le cas de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf au Sénégal, Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, Mahamadou Issoufou au Niger, Alpha Condé en Guinée ou, récemment, Saleh Kebzabo au Tchad. Au-delà de la rencontre de Madrid, il y a lieu de s’interroger sur le positionnement idéologique des partis politiques en Afrique depuis la vague des processus de démocratisation, à l’aube des années 1990.
Confusion et désintérêt
Dans l’arène politique de la plupart des États africains, on dénombre près d’une centaine de formations politiques qui justifient d’une existence légale. À leur création, elles mettent un point d’honneur à faire de leurs dénominations la vitrine de leurs ambitions programmatiques. Dans la réalité de l’exercice du pouvoir – pour celles qui parviennent à le conquérir -, force est de constater que les politiques publiques élaborées par ces partis au pouvoir ou leurs choix diplomatiques obéissent davantage aux contraintes ou aux opportunités de la scène internationale qu’à une doctrine politique.
Certes, nous pouvons convenir, avec Jean Jaurès, qu’il « faut aller à l’idéal en passant par le réel ». Au demeurant, pour le citoyen qui doit faire un choix face à l’offre politique, ce hiatus entre la philosophie politique affichée et la pratique du pouvoir d’État ne peut que susciter confusion ou désintérêt. Leurs dénominations sont en majorité des coquilles vides, bien loin de traduire un réel projet de transformation sociale.
En Afrique, la création de nombreux partis politiques est rarement précédée d’un travail d’analyse critique et de réflexion prospective. En lieu et place d’un corpus idéologique, plusieurs formations ont pour socle le culte du chef, ce «père fondateur» dont la longévité à leur tête sera celle de la durée de son existence, rétif en interne à l’idée d’une alternance qu’il réclame pourtant à la tête de l’État. Dès lors, l’ancrage sociologique du parti, au-delà d’un carré de fidèles de la première heure, n’a guère de densité autre que celle de son ethnie.
Projet figé
Ce dévoiement de l’offre politique tient également à la structuration même de nombreux partis politiques en Afrique. En effet, il existe rarement en leur sein une dynamique constante de production d’idées novatrices. À l’inverse des formations politiques en Occident ou en Asie, les partis africains ne sont guère adossés à des think tanks qui les abreuvent en savoirs féconds sur les grandes problématiques du moment ou de l’avenir. Leur projet de société est demeuré figé dans le manifeste idéologique qui figure dans leur dossier de légalisation. Ils n’auront de cesse, pour certains, de le rabâcher comme un mantra, alors que la société est le théâtre de mutations constantes.... suite de l'article sur Jeune Afrique