Ces derniers jours, Jean-Pierre Fabre a pris des galons dans la démarche pratique. Il a un mérite particulier, celui de faire marcher Faure Gnassingbé sur la question des réformes institutionnelles et constitutionnelles prescrites par l’APG de 2006.
Habitué à tout promettre sans jamais rien faire réellement, le fils d’Eyadema se voit ainsi contraint de s’activer face à l’empressement de l’opposition à le pousser vers l’action, vers des actes concrets.
Ainsi donc, après sa première lettre-réponse à Fabre qui l’a ensuite rétorqué par une sollicitation d’audience, le Chef de l’Etat a compris qu’il doit impérativement éviter le piège de l’opposition qui consisterait à refuser la main tendue de celle-ci et donc à s’exposer au courroux de la communauté internationale qui serait ainsi prise à témoin de son refus d’initier des réformes.
Le patron du palais de la Marina s’est ainsi résolu à rencontrer Fabre et ses amis de l’opposition ce mercredi au palais de la Présidence. Mieux, il s’est aussi vu obligé de joindre l’acte à sa parole qui affirmait que le PM était déjà instruit d’initier le débat sur ces réformes.
Ainsi donc, non seulement Faure rencontrera Fabre ce mercredi, mais mieux, le PM aura aussi une séance de travail avec les leaders de l’opposition dès jeudi suite à l’instruction qu’il est supposé avoir reçue de son patron.
Pour une fois donc, les choses semblent bouger à la vitesse supersonique au Togo sous Faure Gnassingbé et c’est à mettre à l’actif de l’opposition qui a su allumer la flamme de l’action chez Faure Gnassingbé.
Qu’à cela ne tienne, l’on est juste à la phase des calculs politiques qui ne vont en rien gommer les dribbles habituels du pouvoir, son faux-fuyant coutumier ou encore moins ses vœux pieux dont les togolais se sont finalement habitués.
Mais, tout compte fait, il demeure que l’héritier d’Eyadema n’a d’autres choix que d’engager impérativement les réformes préconisées par l’APG avant la présidentielle de 2015. Cet impératif tient d’au moins quatre raisons essentielles.
La première est relative au principe même de la parole donnée. Le chef de l’Etat, acculé dès sa rocambolesque arrivée au pouvoir en 2005 par les intenses pressions internationales, s’était vu obligé de rechercher sa légitimité à travers l’APG signée en 2006 où il a donné sa parole d’initier et de conduire de façon consensuelle, les réformes tant demandées par le peuple togolais.
Si huit ans après, ces réformes ne sont ni initiées, ni matérialisées, il est clair que c’est une faillite impardonnable de la part de Faure Gnassingbé dont la ruse et les dribbles ne pourront plus résister longtemps face à la détermination de l’opposition mais surtout aussi, aux injonctions lancées par les partenaires du Togo qui étaient d’ailleurs témoins oculaires et auditifs de ces engagements de 2006.
Refuser encore d’engager ces réformes, reviendrait pour Faure à s’exposer dangereusement au courroux des forces vives de la nation qui disposeraient ainsi de tous les arguments pour prendre la Communauté internationale à témoin sur la lâcheté et l’irresponsabilité de celui-là qui a hérité du fauteuil de son père dans un bain de sang en 2005. Ce serait trop flagrant et trop risqué pour ce dernier et son régime.
La deuxième raison qui enjoint à Faure d’agir sur le volet des réformes vient du caractère héréditaire de son pouvoir.
De fait, le Togo qui est une République, se retrouve dans la posture de royaume où la dynastie des Gnassingbé s’est imposée. C’est une anomalie qui arrange certes cette famille, mais qu’il faut impérativement corriger pour arrimer le Togo aux normes et standards exigés de toute République.
Qu’une famille régente une République pendant cinquante ans, sans ouvrir de vannes sur des perspectives heureuses d’alternance pacifique, est une forfaiture et une offense contre la démocratie et l’Etat de droit que personne au monde ne saurait pardonner.
Et Faurevi le sait ou du moins sent cette menace venir, surtout que depuis neuf ans qu’il est dans le trône de son père, il a toujours fait semblant d’être un Président ouvert et disposé à opérer la rupture avec les réflexes monarchiques même si dans les faits, il sert littéralement autre chose au peuple.
La troisième raison qui dicte les réformes à l’héritier du feu général, est liée au contexte international de plus en plus austère aux régimes inamovibles.
Le printemps arabe qui a systématiquement emporté les trois régimes les plus puissants du Maghreb, le séisme politique burkinabè, l’engagement de Macky Sall à instaurer un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois…imposent de fait un climat peu favorable au projet éternisant de Faure Gnassingbé au pouvoir. En tant que jeune qui est supposé être connecté aux exigences des Etats modernes, il se doit, impérativement de se donner l’image d’un Chef d’Etat qui vit au rythme des impératifs de son temps.
Voilà donc un élément essentiel qui nous projette sur la quatrième raison qui, elle, tient des permanentes divagations et errances du pouvoir de Faure Gnassingbé.
Le fait même que depuis neuf ans, Faure Gnassingbé n’ait réussi aucune réforme ou aucune prouesse au sommet de l’Etat, est une faiblesse qui a littéralement alité son pouvoir et qui l’expose aujourd’hui à tous les dangers.
Les incessants ratés judiciaires, l’incohérence flagrante et systématique que l’on note dans la conduite des affaires de l’Etat, la corruption érigée en mode de gouvernance, l’accaparement des biens de l’Etat par une minorité au sommet de l’Etat et les différents coup-bas politiques dont ce régime s’est montré spécialiste ont fini par lui donner l’image d’une bande qui n’a d’autres préoccupations que la jouissance pure et simple.
Ce qui explique que Faure Gnassingbé ait perdu autant le terrain avec une marge qui, si l’on s’en tient aux données du dernier scrutin législatif, est réduite à moins de 30% du suffrage populaire.
Il se doit donc de mouvoir pour au moins oblitérer cette image avilissante et salissante qui le décrédibilise et fait de lui un homme sans aura ni présence.
Mais, même si Faure Gnassingbé a à la conscience les quatre facteurs dont nous devons de faire état, cela n’entame en rien son désir dévorant et inextinguible de s’accrocher au pouvoir et d’en jouir autant que possible.
Au contraire et en bon félin, il entend lancer effectivement ces réformes institutionnelles et constitutionnelles mais taillées sur mesure.
Le débat malhonnête entretenu ces jours sur l’opportunité ou non d’engager directement les réformes à partir de l’Assemblée Nationale ne sort pas du néant.
Il tient d’un fil conducteur qui veut que cette Assemblée, entièrement acquise à Faure Gnassingbé, lui accorde toute la marge de manœuvre qui lui permette de rempiler en 2015, quitte à forger de nouveaux concepts juridiques aussi délirants qu’absconds.
Mais comme toute œuvre malsaine et malhonnête laisse toujours des traces, le Chef de l’Etat a eu deux maladresses dans son courrier-réponse à Fabre que l’opposition et les leaders d’opinion se doivent d’utiliser pour le coincer autant que faire se peut.
Il s’agit du fait qu’il soutienne que les réformes seront faites conformément à l’esprit de l’APG et qu’il ajoute que le PM prendrait attache avec Jean-Pierre Fabre non pas en sa qualité de député mais en tant que leader de l’opposition.
Ce qui signifie clairement que, Faure Gnassingbé se doit, s’il tient à rester conforme à l’esprit de l’APG, de privilégier le consensus politique plutôt que de faire valoir sa majorité mécanique à l’Assemblée pour imposer ces réformes.
Et au pire des cas, il se doit de formaliser en lois, les conclusions du CPDC rénové sur ces réformes, lesquelles conclusions retenaient deux éléments majeurs, la limitation du mandat présidentiel à 5 ans renouvelable une seule fois avec effet immédiat et le mode de scrutin à deux tours…..
Il appartient alors à l’opposition togolaise de se montrer pour organisée, plus exigeante et plus tenace pour obtenir ces deux réformes indispensables à une alternance pacifique au Togo.