Auteur-compositeur à succès et figure majeure de la musique africaine, Ekambi Brillant a quitté la scène ce 12 décembre à l’hôpital Laquintinie de Douala. Il avait 74 ans.
Par Abdelaziz Mounde Njimbam (Journaliste et consultant-chercheur en géopolitique et relations internationales)
C’était l’une des figures de la musique camerounaise. C’était aussi un timonier du makossa. Ekambi Brillant est décédé ce lundi 12 décembre à Douala, au Cameroun. En véritable gardien du temple, il répondait à tous ceux qui prononçaient l’oraison funèbre du makossa par l’éloquence de ses initiatives.
Un exemple ? Ce moment de grâce artistique organisé en octobre 2020 au Palais des Congrès de Yaoundé, entre vertige des arpèges de son complice et compatriote, le musicien Toto Guillaume, et son jeu de scène à la James Brown. Quand un Bertrand Lavaine, journaliste musical à RFI, se demandait si «l’esprit du Makossa soufflait encore», il revenait avec des trouvailles de son cru : des événements originaux, à l’instar de cette soirée inédite, en juin 2012, où le peintre Elie Walter Ngambi et la styliste Esterella déclinaient en peinture (14 toiles), défilé de mode et show, la vie, la jeunesse, les succès et les tenues de scène élégantissimes de l’artiste.
Alchimiste des sons et des styles
Singulier, original, une figure d’exception, tels étaient les traits de caractère de ce natif de Douala venu au monde en 1948, en ces temps où la rumba congolaise – un ingrédient du makossa des débuts – débarquait dans les bagages de marins. Pour Kaissa Doumbé, figure de la scène afro-jazz, Ekambi Brillant était un alchimiste des sons, des styles et des rythmes. Aux yeux du prince de la guitare basse Richard Bona, Ekambi savait mieux que personne « mélanger avec brio les genres».
Guitariste de Claude François, producteur et arrangeur de renom, Slim Pezin lui tresse des lauriers. Tout comme le soliste anglais John Etheridge, friand de reprises de compositeurs africains, qui salua la remise, par la société de droits d’auteurs en France (Sacem), d’un disque de diamant à l’auteur à succès, en 2013.
Au fil des décennies, Ekambi Brillant était devenu un des « Hommes-histoire » du Cameroun dont l’inspiration, la flamboyance du talent, le génie des compositions et l’esprit d’innovation produisent des pépites. Dans cette œuvre sertie d’or cohabitent des titres tels : Elongui, Mussoloki, Musungedi, Sena, Ayo Mba, Muna Muto, Aboki, Tao Tao Abidjan.
Des ballades reprises au pied de l’Acropole, en Grèce, par le grand Demi Roussos. Des compositions gospel exécutées en symphonie dans le dédale de Séoul, en Corée du Sud, ou par des chorales dans des églises de l’Alabama aux États-Unis. Des sérénades fredonnées à Cocody ou Marcory à Abidjan du temps d’Ernesto Djédjé. Des perles de Makossa, aux accents soul et funky, dansées à Douala, Djébalé, la contrée d’origine de sa mère, ou à Dibombari, chez son père.
Ces évocations sont un résumé de près de 25 albums, en un demi-siècle de carrière, pour cet homme de belles histoires. L’une des plus merveilleuses étant le Prix du jeune artiste, que lui a décerné l’ORTF, l’ancêtre de Radio France, en 1971. Manu Dibango et Francis Bebey, alors co-présidents du jury, dénichèrent ainsi l’un de ces oiseaux rares qui allait contribuer à construire la légende du makossa, rythme venu des côtes du Cameroun, ouvert à une exposition planétaire par le célèbre Soul Makossa du même Manu Dibango.
Floraison des ventes
Dès lors, ce fut l’envol pour Ekambi Brillant qui avait déserté les bancs du Lycée général Leclerc à Yaoundé dès la fin des années 1960. Son professeur de guitare et de solfège, le Français Daniel Zane, l’y avait nourri de mille techniques, lesquelles serviront de levain à sa musique après la parenthèse du groupe de jeunes – Les Cracks – et des cabarets, style Domino. Ekambi empruntait à l’énergie d’un Gilbert Bécaud, au coffre vocal d’un Barry White, à l’art de scène d’un James Brown, aux patrimoines des pères du makossa, et enchainait succès et tubes.
Cornaqué par un pionnier de la basse camerounaise, Jean Dikoto Mandengué, sideman de Claude François et sociétaire du célèbre groupe Osibisa, il signa des contrats fructueux. Ainsi, après le succès retentissant de Djongèlè la N’dolo (Pensées pour mon amour), il s’engagea, au début des années 1970, avec Philips/Phonogram. Encouragé par la floraison des ventes (plus de 25 000 copies), il étoffa ses compositions, introduisant violons et section cuivre dans plusieurs titres.
Ekambi Brillant innova également dans l’organisation des concerts au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Gabon. C’est au cours d’un de ces spectacles à Douala, au milieu des années 1970, qu’il acquit, au terme d’une prestation épique et d’une histoire cocasse avec son orchestre, le surnom de "Mot’a Muenya" (homme important, en langue douala).
Angélique Kidjo
Avec Slim Pezin, il s’affranchit de Philips/Phonogram, se lançant dans de nouvelles aventures, avec, à la clé, le fameux Africa Oumba, et une expérience de producteur, de mentor et de chef d’orchestre. Ce qui lui permit de repérer, former, mettre le pied à l’étrier et lancer mille carrières.... suite de l'article sur Jeune Afrique