«Scandale démocratique », «approche coloniale», «fuite en avant», «bavures»… Dans son ouvrage «Le Mirage sahélien», le journaliste Rémi Carayol décrypte, sans complaisance, neuf années d’opérations militaires françaises au Sahel.
Quand François Hollande débarque à Bamako, puis à Tombouctou, ce 2 février 2013, pour ce qu’il décrira comme «la journée la plus importante de [sa] vie politique», l’armée française, qui a déclenché l’opération Serval à peine trois semaines plus tôt, se félicite d’avoir remporté une victoire aussi éclatante que rapide.
Neuf années plus tard, et alors que la situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader, elle quitte le pays par la petite porte, poussée vers la sortie par les relations exécrables qu’entretiennent l’Élysée et les nouvelles autorités maliennes, arrivées au pouvoir à la faveur d’un double coup d’État.
Serval, Barkhane et le «bourbier malien»
La fin de l’opération extérieure française ne s’explique pourtant pas exclusivement par ce divorce politico-diplomatique. Près d’une décennie après avoir libéré les villes du Nord-Mali, l’armée française, déployée dans le cadre des opérations Serval (2013) puis Barkhane (2014), s’est progressivement enlisée dans le bourbier malien, jusqu’à voir une partie de l’opinion l’accuser de «mercenariat» et de «complicité avec les terroristes».
Image de la France
Si la résurgence de ce que l’on nomme «le sentiment anti-français» au Sahel, et la détérioration des relations entre Bamako et Paris n’y sont pas totalement étrangères, la dégradation de l’image de la France, à travers ses interventions, s’explique également par les erreurs stratégiques et les perceptions faussées de ses responsables.
C’est en tout cas la thèse que défend le journaliste Rémi Carayol, animateur du site Afrique XXI, collaborateur de Mediapart et ancien de Jeune Afrique, dans son ouvrage Le Mirage Sahélien – La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane, et après ? Fruit de neuf ans ans de travail de terrain, d’enquêtes et d’analyse, l’ouvrage décortique, sans ménagement, ce que fut, jusqu’au 15 août 2022, la plus grande opération extérieure de l’armée française.
«Ingérence néocoloniale»
«Un scandale démocratique», dénonce d’emblée le journaliste, pointant l’absence de débat public s’agissant de cette guerre. Surtout, il revient sur les erreurs d’appréciation françaises, tant sur les raisons qui ont poussé Paris à intervenir que sur celles qui l’ont amené à rester.
«Certes, Serval puis Barkhane ont permis dans un premier temps de repousser les jihadistes, puis de limiter leur expansion. Mais cette présence militaire a aussi été un frein à la recherche de solutions alternatives, [elle] a permis aux dirigeants sahéliens de masquer leur propre incurie et les a parfois confortés dans des choix contestables», écrit-il au sujet de la présence militaire française, vécue par une partie des Maliens, au fils des ans, comme une «ingérence néocoloniale».
Dans son ouvrage, Rémi Carayol s’applique à démonter le «mythe» des colonnes de jihadistes fonçant vers Bamako, motif invoqué par les autorités françaises pour justifier l’intervention, faite à la demande des Maliens. Il dénonce également la place de l’idéologie d’Hubert Lyautey, ministre de la Guerre à l’époque coloniale, dont l’héritage demeure, selon lui, encore très présent chez certains gradés français.
Bavures
Le journaliste revient également sur la mort d’un enfant de 8 ans, «enterré en catimini» et sur le «carnage de Bounti» (3 janvier 2021), au cours duquel dix-neuf civils sont morts dans des bombardements français alors qu’ils assistaient à un mariage, selon des sources locales et un rapport des Nations unies. Des bavures qui ont entaché l’image de l’opération et que la France n’a jamais reconnues.
«Jamais coupables, jamais responsables. Ils ne commettent jamais d’erreurs et ne se remettent jamais en cause, les Français», résume un officier malien cité dans le livre.... suite de l'article sur Jeune Afrique