L’annonce du décès de Benoît XVI, le 31 décembre, a provoqué une pluie de réactions. Mais, dans ce concert d’hommages, ses relations avec l’Afrique ont été un peu occultées. Quoique discrètes, elles ont pourtant été intenses.
Par Max-Savi Carmel (Journaliste spécialiste du Catholicisme en Afrique).
Il est incontestable que Jean Paul-II a ouvert la curie, le gouvernement de l’Église, aux Africains en élevant au cardinalat de nombreux prélats du continent : 17 sur les 233 dignitaires ecclésiastiques durant son quart de siècle de règne. Un record. Si son successeur a été moins enthousiaste en ce qui concerne la nomination de cardinaux africains, il en a promu plusieurs à des postes stratégiques, notamment son vieil ami Robert Sarah, qui dirigera la très prestigieuse Congrégation pour la discipline des sacrements.
Parallèlement, Benoît XVI aura, pendant ses huit brèves années de pontificat, entretenu avec l’Afrique une relation portée par de solides amitiés et tournée vers l’appropriation des réalités africaines par la liturgie. L’ex-archevêque de Munich a non seulement, en tant que cardinal, soutenu l’approbation du rite zaïrois par le Vatican en 1988, mais il aura aussi ardemment encouragé Mgr Barthélémy Adoukonou, longtemps l’apôtre de l’inculturation, à conforter une forme d’africanisation de la célébration eucharistique.
Pré carré tropical
Pendant ses années de prêtre et d’évêque en Bavière, Joseph Ratzinger ne connaissait que trop peu l’Afrique, qu’il n’avait jamais visitée auparavant. Ses premiers contacts avec le continent remontent au début des années 1960 et auront lieu à Rome. En tant que consulteur et théologien de Vatican II, et dans l’effervescence de l’aggiornamento lancé par Jean XXIII en 1962, il se verra confier pour mission, deux ans plus tard par Paul VI, d’«intégrer les préoccupations des Églises africaines dans les conclusions du Concile».
Il se tourne sans hésiter vers Laurean Rugambwa. Le prélat tanzanien est le premier africain créé cardinal, en 1960. C’est lui qui suggère à celui qui deviendra Benoît XVI de se rapprocher de Bernardin Gantin, jeune archevêque de Cotonou avec qui il partage «une vision authentiquement africaine de la pastorale». À l’époque, le cardinal Ratzinger n’aurait jamais imaginé succéder au prélat béninois comme doyen du Sacré Collège des cardinaux… 40 ans plus tard, en novembre 2002.
Méfiant et prudent au début, le futur pape a vite considéré que l’avenir de l’Église se jouait en Afrique. Il crée rapidement, avec Gantin et Rugambwa, son pré carré tropical, auquel se joindront Francis Arinzé, influent cardinal nigérian et, plus tard, le guinéen Robert Sarah. Ce dernier co-signera plusieurs ouvrages avec Benoît XVI et, depuis l’abdication en 2013 du pape émérite, ils partagent la même aversion pour l’obsession moderniste et la souplesse théologique de son successeur François.
Gantin, Arinzé et Sarah forment le trio africain sur lequel Benoît XVI a su compter pendant son pontificat. Il s’est d’ailleurs rendu, trois ans après la mort de Gantin – fait exceptionnel pour un souverain pontife – sur la tombe du prélat béninois, à Ouidah, en 2011.
Quand, en 2002, Francis Arinzé prend la tête du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Joseph Ratzinger a su s’appuyer sur le Nigérian pour radicaliser encore un peu plus les positions, déjà assez rigides, de Jean-Paul II sur les questions éthiques. Pour ce faire, les deux prélats multiplient les dîners tardifs au Vatican. Mais c’est en Robert Sarah, arrivé en 2001 à la curie comme secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, que Joseph Ratzinger découvre son alter ego africain.
Si le prélat guinéen est beaucoup plus jeune, il partage avec l’Allemand une même opposition à la modernisation de l’Église. Une fois élu sur le trône pétrinien, Benoît XVI le fait cardinal et gardien de la liturgie, en le chargeant de la discipline des sacrements. Le défi de l’inculturation post Vatican II n’aurait jamais été un succès sans la proximité entre Benoît XVI et ses amis africains.
Rite zaïrois
Pendant le quart de siècle qu’il passe à la curie, le cardinal Ratzinger aura été l’icône de l’intransigeance dogmatique. Pourtant, sa souplesse à l’égard de l’Afrique dans le domaine de l’inculturation est une évidence flagrante. Au début des années 1980, le cardinal Joseph-Albert Malulu a besoin du soutien de Ratzinger pour convaincre Jean-Paul II d’approuver le rite zaïrois, une adaptation de la liturgie classique qui laisse une place importante aux chants et danses traditionnels africains. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi se fait, sans hésiter, l’interlocuteur privilégié sur ce dossier qui n’avançait pas.
Au milieu des années 1980, Joseph Ratzinger fera une autre rencontre déterminante : le cardinal Laurent Monsengwo. Le nouvel archevêque de Kinshasa mènera au bout, toujours avec son indéfectible soutien, le projet de l’approbation du rite zaïrois, qui aboutira enfin en 1988. C’est le plus important rite liturgique reconnu en Afrique, après ceux d’Éthiopie et d’Érythrée. Le rite zaïrois prévaut dans les messes de toutes les paroisses du Congo et sera au cœur des cérémonies lors de la visite du pape François, fin janvier à Kinshasa.... suite de l'article sur Jeune Afrique