Au Togo, la lutte contre la contrefaçon est souvent concentrée sur les cigarettes, les produits alimentaires et pharmaceutiques. Bref, des produits qui touchent directement l’organisme humain. Pourtant, le marché togolais regorge de matériels électriques contrefaits qui menacent constamment la sécurité des personnes et des biens. Mieux, l’utilisation de ces matériels « made in China » et « made in Nigeria » tend à être institutionnalisée.
Vente de matériels électriques contrefaits : Etat des lieux
Depuis plusieurs années, les matériels électriques issus de la contrefaçon ont envahi les marchés togolais. Ils sont vendus par Monsieur et Madame tout le monde soit à la sauvette, soit dans des boutiques. L’essentiel est que celui qui est dans le besoin, soit servi. « C’est au grand marché de Lomé que je reçois mes produits. De lundi à samedi, je me promène pour pouvoir les écouler rapidement. Nous n’avons pas un prix fixe. Tout dépend des négociations. Mais en général, nos prix sont moins chers », raconte Dramane, de nationalité nigérienne, qui traîne son pousse-pousse débordant de matériels électriques contrefaits. A la question de savoir où ces produits ont été fabriqués, il répond tout court qu’il ne sait pas.
Mais il existe principalement deux circuits d’importation : la Chine et le Nigeria. « Mais le plus grand lot vient de la Chine, affirme Amgnon, enseignant dans une école de BTS. Il arrive aussi que des hommes d’affaires togolais prennent un échantillon de l’original pour aller en faire des copies en Chine. C’est un commerce très florissant dans notre pays. Pour les câbles imités, qu’est-ce que les Chinois font le plus souvent ? Ils prennent de l’acier qu’ils peignent en couleur cuivre ou aluminium. Ce sont des produits qu’ils vendent moins cher.
Mais le danger pour le consommateur, c’est que l’acier n’a pas la même conductibilité que le cuivre. Résultante, il y a surconsommation de l’énergie électrique puisqu’il y a beaucoup de perte le long du câble ».
Par exemple, si le climatiseur doit pomper 10A pour fonctionner normalement, les pertes dans le câble acier peint peuvent faire augmenter la consommation de 20 à 30% avec le risque d’incendie, car l’acier traversé par un courtant important s’échauffe et entraîne la fonte de l’isolant, nous renseigne-t-on.
« Ce qui est cocasse, rappelle Mensah, électricien-bâtiment, c’est qu’on met sur ces produits le drapeau français pour faire croire qu’ils ont été fabriqués en France. Pour que le consommateur distingue le vrai du faux, il lui suffit d’approcher une masse d’aimant des fils électriques. Si celui-ci est attiré par les fils électriques, cela veut dire qu’il y a de l’acier à l’intérieur au lieu du cuivre ».
En outre, une prise simple encastrée originale coûte 1000 FCFA (2 dollars US) alors que celle issue de la contrefaçon est vendue entre 350 et 500 FCFA (0,7 et 1 dollar). Dans son pousse-pousse, Dramane vend l’ampoule néon 1,20m à 1000 FCFA alors que le prix de l’originale est de 3500F (7 dollars).
« Ces matériels électriques contrefaits ne répondent à aucune norme. Non seulement ils font consommer de l’énergie, mais aussi ils peuvent se griller à tout moment ou causer des courts-circuits. Pour l’ampoule néon par exemple, le gaz qu’il contient n’est pas assez important. Ce qui fait qu’ils se grillent quelques jours après leur installation », explique Mensah.
La floraison de matériels électriques contrefaits au Togo constitue une menace pour les sociétés qui commercialisent les produits originaux et qui sont astreintes à plusieurs taxes douanières et fiscales. Comme l’exprime ce propriétaire de boutique qui importe ses produits de la France : « Le marché togolais n’est pas assaini. Il est truffé de produits contrefaits importés par des gens bien introduits dans le sérail.
Même les officiels et des structures étatiques se plaisent à utiliser ces matériels issus de la contrefaçon. Vous comprenez que cette concurrence déloyale ne peut émouvoir personne ».
La CEET non épargnée par le phénomène
La distribution et la commercialisation de l’électricité sont assurées au Togo par la Compagnie énergie électrique du Togo (CEET). Mais cette société étatique est moins regardante sur la consommation et les matériels que ses clients utilisent.
Elle semble dépassée par les demandes des populations qui, lassées d’attendre, recourent souvent aux matériels contrefaits qu’elles branchent de façon anarchique sur le réseau. Ces extensions électriques surnommées « Araignée » sont observables dans les quartiers périphériques de Lomé comme Kégué, Yokoé, Ségbé, Togblékopé, etc. Un phénomène contre lequel s’insurge une organisation de la société civile dans un communiqué rendu public le 24 février dernier :
« Le Mouvement Martin Luther King (MMLK) – La Voix des Sans Voix s’indigne de la généralisation et de la banalisation du phénomène du bricolage de l’extension électrique communément appelée « Araignée » et lance un appel pressant à la CEET de procéder à la suppression de ce système qui comporte des dangers énormes aux consommateurs. Car jadis considéré comme un phénomène clandestin, l’Araignée se propage et se multiplie sur toute l’étendue du territoire national comme si la CEET l’a finalement adoptée et légalisée : ce qui serait un scandale professionnel et une atteinte flagrante aux droits des consommateurs. […]
Ces installations augmentent exagérément en KW au grand profit de la CEET et ses alliés parce que les fils trop petits et la distance trop longue entre le point de fourniture et les consommateurs font tourner plus vite les compteurs. Les courts-circuits surtout pendant la saison des pluies sont monnaies courantes dans ces zones ».
Avec la corruption active et le laisser-aller qui sévissent au Togo, la CEET et ses fournisseurs ont succombé au phénomène de ces « made in China » qui ne répondent à aucune norme. Depuis quelques années, les nouveaux compteurs électromécaniques monophasés fabriqués par « ZHEJIANG TEPSUNG ELECTRIC METER CO. LTD » et qu’elle vend à ses clients laissent à désirer. « Ces compteurs venus de la Chine ne sont pas fiables.
Leur kilométrage est très mal fait, ce qui augmente la consommation. Il y a quelques mois, la CEET a installé un de ces compteurs dans une maison à Avédji. Bien que personne n’ait utilisé le courant, le compteur a marqué un nombre de kilowattheure consommé. Quand j’ai interpellé des techniciens de la CEET, ils m’ont fait savoir que c’est le vent qui a fait tourner le compteur et que c’est un phénomène normal. Mais durant toute ma formation, on ne m’a jamais appris que le vent fait bouger un compteur électrique », relate Mensah.
Approché, un cadre de la CEET qui a requis l’anonymat, a reconnu l’utilisation de ces produits issus de la contrefaçon, mais fait remarquer que ce sont les fournisseurs de la CEET dont la plupart sont des pontes du régime avec leurs sociétés écrans, qui se livrent à ce commerce.
« Ce sont de grandes personnalités de la République qui sont derrière l’importation des produits contrefaits par le biais de leurs sociétés, révèle-t-il. Effectivement, les nouveaux compteurs qui sont servis aux clients depuis quelques temps, ne sont pas de bonne qualité. Beaucoup de consommateurs se plaignent d’ailleurs de leur fonctionnement. L’année dernière, un de nos agents s’est fait abîmer la main en tentant de manipuler un de ces compteurs ».
L’usage sur toute la ligne de ces produits contrefaits est à l’origine des pannes techniques qui engendrent des coupures de courant. De même, les matériels utilisés pour l’éclairage public sont de mauvaise qualité. Dans la plupart des villages, les lampadaires qui éclairent les rues et pour lesquelles les populations ont dansé, ne fonctionnent plus. « Parfois, ces lampadaires prennent feu d’eux-mêmes et ne se rallument plus », confie un habitant d’Amouzou-Kopé.
Que faut-il faire ?
Le Togo est membre de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) créée par l’Accord de Bangui (1977), notamment ses annexes I à X qui prévoient, outre les réparations civiles, des peines d’emprisonnement et des amendes. Il a également ratifié l’Accord de Bangui révisé (1999) le 29 novembre 2001 qui est entré en vigueur le 28 février 2002. En dehors de ces textes internationaux, le Togo a adopté la loi portant création de l’Institut National de la Propriété Industrielle et de la Technologie (INPIT).
C’est au nom de ces dispositions que s’organise la lutte contre la contrefaçon au Togo. Mais pour l’heure, les autorités togolaises ne concentrent leur lutte que sur les médicaments, les cigarettes et les produits alimentaires, même s’il reste encore des efforts à faire dans ces domaines. Par contre, elles ne font pas assez contre les produits électriques contrefaits qui écument les marchés et constituent un danger permanent pour tout le pays.
« La contrefaçon est une pandémie qu’on aura de la peine à éradiquer au Togo. Le commerce des produits issus de la contrefaçon est développé et entretenu par des hauts placés. Au moins 70% de produits commercialisés dans notre pays viennent de la contrefaçon», darde un inspecteur des douanes. Que faire dans ces conditions ? « C’est une question de volonté politique et c’est aux premières autorités d’indiquer la voie à suivre, répond-il. En plus, le code de la douane togolaise date de 1966 et il va falloir adopter un nouveau plus adapté au contexte actuel ».
Par ailleurs, il revient aux sociétés qui veulent sécuriser leurs produits de signer des accords de partenariat avec la douane togolaise et de déposer des échantillons auprès de celle-ci afin de minimiser les effets dévastateurs de la contrefaçon. « C’est une approche de solution. Je crois que certaines sociétés l’ont déjà fait », ajoute l’inspecteur des douanes.
Il convient également de renforcer les prérogatives de la Division Contrôle de la concurrence et de la prévention des fraudes du ministère du Commerce et de la Promotion du Secteur privé. Malgré ses efforts, cette structure rencontre les mêmes problèmes que la douane.
Comme on le voit, la contrefaçon des produits matériels constitue une menace permanente et des actes courageux doivent être posés par les plus hautes autorités afin de la minimiser.