Saibou Mikaïla Abass : « A l’égard de la presse, les autorités béninoises optent pour la chicotte et la carotte alors que leurs homologues du Togo ont choisi le gros bâton »
Togo - La presse béninoise a tenu ses états généraux les 19, 20 et 21 février 2014 à Cotonou en présence de plusieurs délégations venues de la sous-région. Le Togo était représenté à cette grande rencontre par trois responsables de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) et un membre du Patronat de la Presse Togolaise (PPT) en la personne de son Trésorier-Adjoint Saibou Mikaïla Abass. Comment les travaux se sont-ils déroulés, quelle est l’état des lieux de la presse béninoise, la presse togolaise pourrait-elle un jour tenir ses propres états généraux à l’instar de celle du Bénin ?
Voilà entre autres questions posées à Saibou Mikaïla Abass à son retour à Lomé.
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Afreepress : Bonjour M. Saibou Mikaïla Abass. Vous étiez à Cotonou en République du Bénin dans le cadre des états généraux de la presse béninoise. Dites-nous comment les travaux se sont déroulés ?
Saibou Mikaïla Abass : Il serait prétentieux de ma part de vouloir dire en quelques phrases comment les travaux se sont déroulés. Il faut tout simplement retenir que les deuxièmes états généraux sous le thème : « Enjeux et défis de la professionnalisation » ont eu lieu les 19, 20 et 21 février 2014 à la Tour administrative de Cotonou. Les travaux se sont déroulés dans une atmosphère empreinte de sérénité et de responsabilité. Il y a une sorte de synergie entre les autorités politiques et les acteurs de la presse tant du public que du privé en vue de rechercher des solutions appropriées aux problèmes qui minent la presse béninoise. Le président Yayi Boni était personnellement présent à l’ouverture et a longuement parlé à l’assistance. Dans l’ensemble, le Gouvernement, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication du Bénin et les acteurs des médias se sont engagés à faire en sorte que les nouveaux chantiers à amorcer au titre de la prochaine décennie soient réalisés. C’est l’essentiel.
Afreepress : Dans quel cadre y étiez-vous ? Comment ont été choisis les participants ?
Saibou Mikaïla Abass : J’ai été dépêché à Cotonou par le Patronat de la Presse Togolaise (PPT) pour assister à ces états généraux de la presse du pays voisin. Le PPT a estimé que nous pouvons nous inspirer des résultats de ces assises. Il a vu juste car, ayant participé à toutes les phases des travaux, (Panel, atelier et plénière) il m’est apparu que les problèmes de la presse béninoise et ceux du Togo sont de même nature mais de degré différent. Les journalistes béninois ont été sensibles à notre présence à ces assises exclusivement réservées aux nationaux et sont disposés à partager leurs expériences avec leurs confrères du Togo. Toute ma gratitude aux organisateurs, à la HAAC du Benin et en particulier son Vice-président Edourad Loko président du Comité d’organisation pour l’accueil chaleureux et fraternel dont le PPT à travers moi a été l’objet.
Ces assises ont regroupé aussi bien des acteurs politiques, de la société civile, des institutions de la République des personnes ressources et surtout des doyens et des célébrités de la presse béninoise tels que Issiaka Soulé, Fidèle Ayikoué, Jérôme Carlos, Brathier Leon, Charles Toko, Malick Gomina pour ne citer que ceux-là. Bien entendu les professionnels de médias venus de la capitale et de l’intérieur du pays ont constitué le gros lot des participants.
Afreepress : Pouvez-vous nous faire un exposé succinct de ces travaux ?
Saibou Mikaïla Abass : Retenez grosso-modo que le 19 février, les participants ont adopté un règlement intérieur aussi tôt après le retrait du président Yayi Boni. Ensuite il y a eu trois communications. « L’histoire de la presse béninoise des indépendances à nos jours » par Sylvain Anignikin, Professeur titulaire des universités. Ensuite, « l’Avènement du numérique : Quelles conséquences pour la presse béninoise ? » par Christian De Souza, Secrétaire permanent de la commission Nationale de Migration de l’Analogique vers le Numérique (CNMAN) et enfin : « Quel médias pour quel développement du Bénin » par Jacques Da-Matha, enseignant et ancien directeur de l’office de Radio -télévision du Benin. Ces communications ont fait l’objet de débats.
Il y a eu au Total six panels et six ateliers sur la pratique du journalisme, la déontologie de la profession, la gestion des entreprises de presse, l’accès aux médias de service public, la problématique de la régulation et de l’autorégulation, le leadership féminin dans la presse, l’assainissement de la profession, la convention collective, l’appui conséquent aux radios rurales, et l’aide de l’Etat à la presse. Les travaux ont abouti à des conclusions bien précises adoptées à la plénière par consensus. A l’issue des travaux six délégués ont été désignés pour siéger au sein du Comité de suivi des recommandations des assises.
Afreepress : Pensez-vous que ces états généraux de la presse pourraient changer la situation de la presse béninoise ?
Saibou Mikaïla Abass : Je ne suis pas fakir pour deviner ce qu’il en sera mais je pense qu’il revient aux acteurs de la presse et aux parties prenantes de ces états généraux de faire en sorte que ces recommandations soient mises en œuvre. Je signale que c’est l’Etat Béninois qui a financé ces états généraux à hauteur de 80 millions francs CFA. C’est vrai qu’il y a eu des critiques sur le délai trop court mais ces objections ont été minimisées par la bonne préparation de la HAAC en collaboration avec les organisations professionnelles de médias en amont. Les premières assises ont eu lieu en 2002 et certains problèmes non résolus sont revenus. C’est un chantier qui se poursuit et je pense que la mise en œuvre des recommandations dépendra de la volonté qui a marqué cette collaboration entre les autorités et les acteurs de la presse.
Afreepress : Pensez-vous que la presse togolaise a-t-elle également besoin des états généraux ?
Saibou Mikaïla Abass : Demander si le Togo a besoin de ces états généraux, c’est demander à un malade alité s’il a besoin de médecin. La presse togolaise a plus que besoin des assises de ce genre. Les états généraux ont eu lieu en 1992 au Togo et très peu s’en souviennent. Les recommandations ont été reléguées aux oubliettes dans la foulée des coups de force contre les organes de la transition. La presse togolaise est confrontée à une crise à la fois conjoncturelle et structurelle. Le journalisme fait place à l’affairisme. Patrons de presse et journalistes employés vivotent dans une précarité qui les incite à poser des actes de nature à décrédibiliser toute la presse. A cela viennent s’ajouter des manœuvres visant à dresser une partie de la presse aux ordres contre une autre jugée indésirable. A mon sens, il s’agit moins de savoir si la presse a besoin des états généraux que de se demander si les autorités sont favorables à de telles assises. Attendons de voir. Comme le dit un proverbe bariba, « on ne jauge pas la profondeur du marigot avec les deux pieds ». Il semble qu’une idée de ce genre a germé. Osons croire que le miracle est possible.
Afreepress : Que faudrait-il alors faire pour y parvenir plus vite ?
Saibou Mikaïla Abass : Les autorités si elles le veulent pourraient y adhérer et consentir à mettre les moyens à cette fin. Ensuite il faudra une approche inclusive en associant toutes les organisations des professionnels de médias tant du public que du privé. Si l’on veut organiser les états généraux de la presse et non d’une partie de celle-ci , il faut surtout cesser de donner l’impression que l’on tire profit à vouloir fonder une exclusion sur la base de la ligne éditoriale en utilisant les moyens de l’Etat pour dresser une partie de la presse en mission contre une autre jugée indésirable et soumise à l’ostracisme. Il faut une concordance entre les discours et les actes et une atmosphère qui puissent éloigner la méfiance entre les acteurs de médias.
Afreepress : Vos appréciations de la presse béninoise par rapport à sa consœur du Togo
Saibou Mikaïla Abass : Comme je le disais plus haut, nous avons les mêmes problèmes que nous vivons à des degrés divers. Il y a un foisonnement de médias audio-visuels au Bénin et au Togo. Mais s’agissant de la presse écrite le Benin compte une soixantaine de quotidien contre une dizaine d’hebdomadaire alors qu’au Togo il y a au moins deux quotidiens, une quarantaine d’hebdomadaire et 2 bihebdomadaires. Naturellement nos confrères béninois ont l’avantage de la relative indépendance des institutions de leur pays et de la limitation du mandat présidentiel. L’irréversibilité de l’alternance est un adjuvant. Un chef qui sait qu’il va quitter le pouvoir un jour libère les énergies et les initiatives. Il cherche à marquer positivement son temps et à faire en sorte qu’à son départ les gouvernés disent du bien de lui. En revanche un dirigeant qui envisage de s’éterniser promeut l’immobilisme. Il est plutôt préoccupé par les voies et moyens d’y demeurer et s’il le faut en clochardisant les médias. Dans ce cas les gouvernés sont tous en liberté provisoire. Cela dit, mon impression est que l’ensemble des acteurs des médias béninois ont une oreille attentive du côté du gouvernement alors que chez nous cette attention est plutôt sélective.
Nos confrères béninois ont émis le vœu que non seulement l’aide de l’Etat qui est de 350 millions soit revue à la hausse mais ils demandent également que sa gestion soit revue. Au Togo, en 2009 le chef de l’Etat avait porté l’aide à 350 millions, l’année suivante cette aide a été ramenée à 75 millions parce que semble-t-il, toute la presse n’a pas fait ce qu’on attendait d’elle. Et je veux bien considérer comme une plaisanterie, la confidence selon laquelle la différence, soit 275 millions servent de financement occulte au bénéfice des propagandistes du parti au pouvoir.
Nos confrères béninois demandent que les peines privatives de liberté soient supprimées. Un nouveau code de la communication est en chantier pour tenir compte des mutations de l’heure. Chez nous, tout porte à croire que l’on regrette la soi-disant dépénalisation des délits de presse rendu possible par les engagement du Togo devant l’Union Européenne en 2004 et l’on s’emploie à travers l’institution de régulation et des méthodes subreptices à reprendre de la main droite ce qu’on a donné de la main gauche.
En ce qui concerne les médias de service publics le fonctionnement des radios (Parakou et Cotonou) et du quotidien national « La Nation » a été salué. En revanche, l’ORTB la télévision nationale a été unanimement décriée pour son entière dévotion au Président et son parti. Une recommandation a été émise en vue d’y remédier. Mais chez nous, l’utilisation des organes de presse de service public à des fins de propagande exclusive du chef et de son parti est un fait banal. En définitive je dirai qu’à l’égard de la presse, les autorités béninoises optent pour la chicotte et la carotte alors que leurs homologues du Togo ont choisi le gros bâton. Il faut de part et d’autre une dose de courage pour construire une presse responsable et crédible indispensable à une démocratie vivante dans notre pays.