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Art et Culture

Autocrates, essayez donc la culture !

Publié le lundi 13 fevrier 2023  |  Jeune Afrique
Menottes
© Autre presse
Menottes
Outils des forces de l`ordre pour neutraliser les personnes arrêtées
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Par Nicolas Michel (Romancier et journaliste, il est responsable des pages consacrées à la culture et auteur d'une dizaine de romans et albums illustrés).


Le cinéaste iranien multiprimé Jafar Panahi a été libéré sous caution le 3 février, après sept mois de détention et une grève de la faim. De nombreux autres intellectuels restent en prison.


Il faut se rendre à l’évidence, votre méthode n’est ni bonne ni efficace. Ne détournez pas le regard, je parle de la censure, de l’intimidation, de la menace. Prenez un peu de recul. Un exemple devrait vous y aider. Il s’appelle Jafar Panahi, il est né en 1960 à Mianeh, dans votre beau pays qui a aujourd’hui pour nom République Islamique d’Iran. Fils d’un peintre en bâtiment, il est devenu réalisateur de films pour la télévision, puis assistant d’Abbas Kiarostami, un autre réalisateur que vous connaissez peut-être, avant de connaître un succès international avec un premier long métrage, Le Ballon blanc, caméra d’Or au festival de Cannes en 1995.

Drôle d’idée

En toute logique, vous auriez dû être fier de lui, vous auriez dû l’encourager à poursuivre dans cette voie, perpétuant la grande tradition des créateurs iraniens et la colportant au-delà des frontières du pays. Mais non. Vous avez plutôt décidé d’interdire ses deux films suivants, Le Cercle (Lion d’or à Venise en 2000) et Sang et or (prix du jury en 2003). Il faut dire qu’ils évoquaient tous les deux des sujets plombants, les inégalités et le manque de libertés. Et puis, pour faire bonne mesure, vous avez aussi interdit Hors jeu, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir l’Ours d’Argent à Berlin en 2006. Quelle drôle d’idée que de vouloir tourner un film sur des supportrices de foot qui ne peuvent pas assister à des matches d’hommes ! Vous vous êtes sans doute demandé pourquoi ce Jafar Panahi continuait de filmer alors même qu’on lui disait de ne pas le faire et vous avez illico réfléchi à une solution plus radicale. Surtout que le film circulait allègrement sous le manteau !

En 2009, prenant prétexte de manifestations contre votre élection controversée auxquelles il aurait participé, vous l’avez fait arrêter. Souvenez-vous, il revenait d’une cérémonie à la mémoire d’une jeune femme, Neda Aghan-Soltan, tuée par balle. Là, vous êtes entré dans une spirale étonnante : vous avez dû le libérer, mais vous l’avez quand même empêché de se rendre à la Berlinale de 2010, alors qu’il en était l’invité d’honneur. Puis vous l’avez arrêté de nouveau, avec sa femme et sa fille, le maintenant dans la prison d’Evin alors qu’il devait participer au Festival de Cannes. C’était peut-être une stratégie pour qu’on parle de vous sur ce tapis rouge où vous n’étiez pas invité. Une petite frustration, non? J’y reviendrai.

Il a vraiment dû beaucoup occuper votre esprit et votre temps, Jafar Panahi, puisqu’après une grève de la faim, vous avez encore dû le libérer – partiellement puisqu’il n’était pas question qu’il se rende à la Mostra de Venise afin d’y défendre son film, L’Accordéon. Énervé par ce gosse récalcitrant, vous avez opté pour une punition que vous pensiez sans doute plus efficace : six ans de prison, interdiction de filmer et de quitter le pays pendant vingt ans ! Bigre, c’est à croire qu’il vous fiche vraiment les jetons, ce Jafar Panahi!

Mais rien ne marche avec lui, il est habité par cet esprit de contradiction qui caractérise tant d’artistes (et tant d’autocrates). Propagande contre le régime et participation à des manifestations, ce sont vos principales accusations. Mais le rebelle insiste, comme s’il avait ça dans la peau, la création et la contestation. Il tourne Ceci n’est pas un film, avec une caméra numérique et un téléphone, et raconte l’histoire d’un cinéaste qui n’a pas le droit de tourner. À croire qu’il se moque de vous personnellement.

Et encore une fois, le monde entier le soutient, enfin surtout ces diables d’Occidentaux qui lui donnent le prix Sakharov, en 2012, en partage avec cette autre enfant terrible que vous essayez de faire taire, Nasrin Sotoudeh, avocate spécialiste des droits de l’homme – que vous avez condamnée à onze ans de prison en 2010 pour «conspiration mettant en danger la sécurité de l’État » et que vous condamnerez de nouveau en juin 2018 à dix ans de prison et 148 coups de fouet pour « incitation à la débauche». Elle a quand même osé défendre des femmes qui ne souhaitent pas porter le voile !

Obsession totalitaire

Mais revenons à cet incontrôlable Jafar Panahi qui malgré sa condamnation continue de tourner, on ne sait pas trop comment, et obtient le prix du scénario au festival de Cannes en 2018 pour Trois visages. Sans doute pensez-vous avoir été trop laxiste et ne pas avoir appliqué suffisamment durement la peine à laquelle il était condamné. Cette fois, il vous faut frapper dur, ce qui n’a jamais fonctionné finira peut-être par marcher. Surtout que bon, il n’est pas le seul récalcitrant dans le pays. Rebelote, nouvelle arrestation le 11 juillet 2022, retour à la case prison d’Evin, en compagnie de Mohammad Rasoulof et Mostafa Aleahmad, deux réalisateurs qui eux aussi ne comprennent rien à vos lois. Inquiétant, cette tendance des artistes à faire des petits quand on leur tape dessus, non ? Mais voilà que Panahi se met de nouveau en grève de la faim et déclare à qui veut l’entendre: «Je resterai dans cet état jusqu’à ce que, peut-être, mon corps sans vie soit libéré de prison».


Avouez que c’est pénible, cette détermination ! Mais elle ressemble à votre obsessionnelle opiniâtreté, à votre maladif besoin de contrôle. Soyez réaliste, soyez pragmatique : votre méthode ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que les artistes – cinéastes, romanciers, peintres, poètes, musiciens, etc. – sont habités par la même obsession totalitaire que vous. Ils veulent faire entrer le monde dans une boîte et contrôler le moindre fait, le moindre geste des personnages qui s’y agitent. Pour vous, une boîte dispose de quatre murs bien épais et éventuellement, de barreaux.
Pour eux, ce sont des images sur une pellicule (façon de parler), des pages couvertes de mots, un tableau, les cases d’une bande dessinée, les rimes de leurs vers… Avec une différence que vous remarquerez peut-être : dans leur entreprise délirante pour remodeler le monde à leur façon, ils ne blessent personne, n’emprisonnent que les créations de leur imaginaire, ne tuent que des gens qui n’existent pas. Votre méthode ne marche pas, la leur est souvent saluée. Votre méthode est vouée à un éternel recommencement, la leur aussi. Réfléchissez.
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