Vente des biens, détournement des vivres et des médicaments, extorsion de fonds aux prisonniers par le Régisseur et le Commandant de Détachement
5.000 FCFA payés comme « frais de sortie » par tout détenu libéré
altLa Justice d’un pays reflète son degré de développement, et les conditions d’incarcération des détenus lèvent un pan du voile sur son avancée. Au Togo il a toujours été dénoncé les traitements réservés aux détenus. Mais lorsque des investigations mettent au grand jour les agissements des responsables en charge de l’administration pénitentiaire et dont les buts principaux sont d’arnaquer des prisonniers, de les spolier de leurs biens et de harceler sexuellement leurs femmes venues leur rendre visite, il n’est pas exagéré de dire que le Togo est malade de septicémie et que seule une cure drastique peut lui être salutaire. Le Régisseur de la prison civile de Notsé ainsi que le chef détachement des Gardiens de préfecture sont les premiers à inaugurer la série de dénonciations que Liberté se fait le point d’honneur d’initier.
Situé à 90 km au nord de la capitale, Notsé est un gros village, pas une ville comme beaucoup le pensent à tort. Des services chargés d’assurer l’ordre et la sécurité, seul celui de la Police est clôturé. La Gendarmerie et le camp des Gardiens de Préfecture (GP) situés au bord de la route N°1 sont « à ciel ouvert ». La prison, tel un minaret, a les murs les plus hauts bien que dépourvus d’éclairage. On s’est demandé comment les gardes peuvent surveiller ses abords les nuits.
Toute prison dispose d’un Régisseur, et celui de Notsé se nomme Kondi Djori, affecté dans la localité depuis 2007 suite aux interventions de son cousin Garba Koudjo, Procureur Général, précédemment Directeur général de l’Administration pénitentiaire grâce à la politique de « bras longs » qui prévaut dans le pays depuis des décennies. Très vite le sieur Kondi Djori tisse sa toile autour de la prison civile de Notsé et fait de ses pensionnaires « ses prisonniers personnels ». Il s’y dégage une odeur insupportable et la plupart des prisonniers cherchent à fumer pour évacuer les effets de cette odeur. Et le régisseur le sait.
En plus d’être régisseur, il est devenu commerçant. Le bâton de cigarette au sein de la prison coûte 50 ou 75 FCFA, et en association avec un prisonnier, M. Kondi Djori introduit des paquets de cigarettes dissimulés dans ses chaussures. Son « contact » dans la prison, sous prétexte de cirer les chaussures du régisseur, déleste celles-ci de la « cargaison » et se charge de la revente. C’est ainsi que chaque deux semaines, le « contact » lui fait des recettes de près de 75.000 FCFA, soit plus de 150.000 FCFA mensuel, hormis son salaire de fonctionnaire.
Le flair des « vaches grasses »
Dans le jargon médical, les Anglais disent « you can’t conceal your disease » (vous ne pouvez pas cacher votre maladie [vous risquez d’en mourir]). Toute personne privée de liberté cherche à voir son dossier traité avec célérité. Dans ce domaine, le régisseur a l’art de « sentir » les détenus « fortunés » auxquels il propose « ses services ». Les exemples sont légion. Il y a le cas de Hoetognon Komlan à qui le régisseur aurait pris 40.000 F sur les 100.000 F exigés comme avance pour accélérer son dossier auprès du juge, mais qui est toujours en détention à ce jour. Les parents réclament aujourd’hui le remboursement de cette somme.
Les frères Lodonou Rodrigue et Lodonou Dodji, accusés du vol de quatre poules, ont été condamnés à 40 mois de prison. Le régisseur leur aurait soutiré 150.000 FCFA pour obtenir leur libération provisoire. Mais depuis, plus rien, et les parents exigent le remboursement de cette somme. L’affaire est portée devant le Procureur de la République près le Tribunal de Première instance de Notsé.
Il arrive que de l’argent des détenus soit déposé auprès de l’administration. Mais lorsque ceux-ci réclament leur dû, c’est par des menaces que le régisseur leur répond. MM Havi Komi et le Nigérian Djibe en ont fait les frais. Le premier lui réclame 100.000 F, et le second, 90.000 F. Certaines fois, c’est avec des vivres qu’il rembourse à petits coups la somme aux détenus ; il leur sert du haricot, de l’huile de palme, des poissons frits, du maïs en contrepartie de la dette. De même, la vente des biens de prisonniers n’aurait jamais fait froid aux yeux du régisseur. Celui-ci se fait remettre par les parents des détenus des postes téléviseurs, des portables, des valises, etc. qu’il vend à des coûts supérieurs et après avoir déduit sa part, remet des sommes dérisoires aux ayants-droit. Exemples de MM. Gadji et Havi. Le 9 août dernier M. Havi aurait été menacé de représailles par le régisseur après que celui-ci, sur ordre du Procureur, a remis les 50.000 F qu’il lui devait.
Il nous revient d’autre part que des dons en pagnes offerts par l’Ong Fraternité des Prisons auraient été détournés par le même régisseur, et des nattes en provenance de la Direction de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion (DAPR) ont pris des chemins inconnus.
65.000 FCFA par voyage pour transférer un prisonnier vers la Cour d’Appel de Lomé
La décentralisation des services publics concerne aussi le secteur de l’administration pénitentiaire du Togo, et aussi longtemps que ce vœu demeurera pieux, ce sont les parents des détenus qui payeront la facture de cette absence. Une facture légale ou illégale ?
M. Kondi Djori, pour donner le feu vert au transfèrement d’un prisonnier, perçoit… 65.000 FCFA, réparti selon le bon vouloir du régisseur comme suit : 30.000 comme frais de carburant, 20.000 pour les per diem des gardiens de préfecture au nombre de quatre, et 15.000 pour la location du véhicule bâché RTG double cabine. L’homme affirme que sur les 15.000, le Chef Détachement (CD) des gardiens de préfecture percevrait 5.000. En cas de doute sur cette information, l’exemple du sieur Folly Tsévi est plus qu’édifiant. Par deux fois, ce détenu a versé 65.000, soit 130.000F en tout, pour être amené à la Cour d’Appel de Lomé les 13 et 20 juin 2013. Ses avocats sont Mes Dovetsu et Tchekpi.
5.000 FCFA comme « droit de sortie », des vivres et des médicaments partagés avec le CD
Dans son scandaleux périple contre les détenus, le régisseur s’est accoquiné avec le responsable des gardiens de préfecture, le Chef Détachement (CD). Mis à part les 5.000 F que le régisseur lui remettrait systématiquement pour le transfèrement de chaque détenu vers la Cour d’Appel de Lomé, le CD percevrait 1.500 F sur chaque libération de détenu. En effet, M. Kondi Djori a institué des « droits de sortie » à la prison civile de Notsé et tout détenu libéré doit verser 5.000 F dont 1.500 F seraient reversés au CD. A titre d’exemple, le 25 juin dernier lors de la libération de cinq « morguiers », quatre se sont acquittés des 20.000 F, mais le dernier dut passer un jour supplémentaire avant de recouvrer sa liberté. D’autres y demeurent 4 à 5 jours en plus.
Pour contacter des parents de détenus, M. Kondi Djori prend 4.500 F au motif que son téléphone n’accepte que ce type de recharge. Les vivres que les parents et les médicaments que des samaritains rapportent aux détenus aussi passent à la trappe. C’est ainsi que le régisseur raconte à qui veut l’entendre qu’il donne du haricot, du maïs, de l’huile de palme et des produits pharmaceutiques destinés aux détenus, au CD. Ceci n’expliquerait-il pas sa liberté d’action ?
Comme si cela ne suffisait pas, l’homme jette aussi son dévolu sur les femmes des détenus. Celles-ci se plaignent de harcèlement sexuel lorsqu’elles viennent rendre visite à leurs maris. Fort de sa toute puissance, le régisseur influence les femmes dans l’optique d’intercéder pour leurs maris. Le grand hôtel de la « ville » est sa base. En cas de refus, la femme qui vit dans un village avoisinant peut témoigner.
Le samedi 10 août dernier vers 15 heures, le régisseur, dans le but de mystifier des détenus, a visité l’enceinte de la prison en compagnie du Procureur général près la Cour d’Appel, Kodjo Gnambi Garba. Officiellement pour « saluer » les prisonniers. Beaucoup se sont demandé ce que cachait une visite officielle un samedi. Le Procureur général en a-t-il le droit, même s’il a été directeur de l’Administration pénitentiaire ? De là à dire que la visite été faite pour intimider, puisque ces deux personnalités sont frères, le pas est vite franchi, l’un voulant couvrir l’autre.
A la prison civile de Kévé et dans d’autres dont nous taisons pour l’instant les noms, cette pratique a aussi cours. Les recoupements se poursuivent et très bientôt, d’autres noms et pratiques seront mis à jour. Reste à savoir si le ministère de la Justice se saisira de ces révélations datant d’une autre époque. Des informations font état de ce que le ministère de la Justice, la Direction de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion et l’Inspection Générale des Affaires Judiciaires ont été mises au courant de tout depuis la semaine dernière à travers des correspondances des détenus. On attend alors leurs réactions.