En séjour à Lomé pour participer aux universités du patronat togolais, organisées par l’Association des Grandes Entreprises du Togo (AGET), Olivier Buyoya, directeur régional pour l'Afrique de l'Ouest de l’International Finance Corporation (IFC), depuis le 1er novembre 2022, s’est prêté aux questions de Togo First. Les nouvelles stratégies de l’organisation, branche de la Banque mondiale dévolue au secteur privé, les orientations axées sur les partenaires locaux, tels que des banques, des assureurs et des entreprises de toutes tailles, sont passées en revue. Entretien !
Togo First Quelles ambitions souhaitez-vous réaliser en tant que responsable de la région depuis quelques mois ?
OB : Je me nomme Olivier Buyoya, et je suis honoré d'occuper le poste de directeur régional en charge de l'Afrique de l'Ouest au sein de la Société Financière Internationale. Depuis le 1er novembre, j'ai le privilège de contribuer à l'édification d'une économie florissante et résiliente, en œuvrant pour le développement du secteur privé dans les pays membres du groupe de la Banque mondiale.
En tant que filiale de cette institution prestigieuse, notre mission consiste à financer les projets et les entreprises du secteur privé, dans tous les domaines d'activité. Nous collaborons avec des partenaires locaux, qu'il s'agisse de banques, d'assureurs, ou d'entreprises de toutes tailles et de toutes industries, pour promouvoir le développement économique et social de chaque pays.
Notre ambition est claire : créer des emplois pour les jeunes et les femmes, favoriser l'innovation et l'entrepreneuriat, et stimuler la croissance économique dans chaque pays que nous soutenons. Nous sommes convaincus que le secteur privé est le moteur principal de cette évolution, et nous travaillons sans relâche pour favoriser un environnement propice aux investissements, à la production et à la création de richesse.
Nous collaborons étroitement avec les gouvernements et les organisations internationales pour améliorer le climat des affaires dans chaque pays, en vue d'attirer des investisseurs locaux et internationaux, et de créer des opportunités pour les auto-entrepreneurs, les PME-PMI et les grandes entreprises. Nous sommes persuadés que cet engagement est crucial pour l'avenir de l'Afrique de l'Ouest, et nous mettons tout en œuvre pour que chaque projet financé par la Société Financière Internationale ait un impact positif et durable sur les communautés locales.
Togo First : Quels sont les moyens mis en place pour concrétiser cette ambition ? Nous avons remarqué que la SFI a cherché à mettre en place sa stratégie, notamment en Afrique de l'Ouest où des représentants de pays ont été nommés, ce qui n'était pas courant auparavant. Comment pouvez-vous expliquer cette stratégie de déploiement ?
OB : Je viens tout juste d'exposer la portée globale de notre mission et de nos ambitions, à l'échelle continentale et dans chaque pays où nous intervenons. Pour concrétiser et déployer notre stratégie sur le terrain, nous avons estimé primordial d'étoffer notre équipe et de nous rapprocher au maximum de nos clients et partenaires. Si l'on souhaite investir dans le secteur privé de manière efficace, il est indispensable de connaître les acteurs en présence ainsi que leurs besoins.
Cela implique une présence physique sur les lieux concernés. Voilà pourquoi, il y a trois années de cela, nous avons ouvert un bureau local, confié à un représentant national et ses équipes, qui ont pour tâche quotidienne de se tenir aux côtés du secteur privé.
La pleine compréhension des besoins des PME, des banques, des sociétés d'assurance, des industriels et de tous ces acteurs est primordiale pour nous permettre d'adapter nos produits et services en fonction de leurs attentes. Nous constatons déjà les fruits de nos efforts, avec l'augmentation considérable de notre portefeuille d'activités au Togo, qui s'élève désormais à plus de 300 millions de dollars. Il est difficile d'imaginer que nous n'en étions qu'à 5 ou 10 millions il y a cinq ans à peine. Aujourd'hui, nous avons gagné la confiance de toutes les parties prenantes.
Togo First : Quels sont les financements qui ont été opérés sur les cinq dernières années ?
OB : Nous avons alloué une somme considérable de 65 millions de dollars au secteur des télécommunications et sommes actuellement en train de travailler sur une ligne de financement qui a déjà été accordée et qui sera signée sous peu. Nous finalisons également un financement pour une entreprise opérant dans le secteur agro-industriel. Nous avons soutenu le groupe Zener et avons plusieurs autres financements en cours dans le domaine financier, notamment avec des plateformes qui prévoient de lancer des taxis-motos, des véhicules, et bien plus encore.
Je ne serai pas précis sur les noms, car certains de ces financements ne sont pas encore accordés, mais je tiens à souligner notre forte présence dans ces secteurs.
Nous avons également soutenu plusieurs producteurs d'énergie au Togo, notamment Contour Global. Nous travaillons actuellement avec le gouvernement togolais et le ministère de l'Énergie pour financer des centrales solaires qui contribueront à la promotion des énergies renouvelables.
Nous avons également financé le terminal LCT il y a quelques années pour démontrer notre approche multisectorielle. Notre portefeuille en croissance et diversifié répond parfaitement aux besoins de l'économie togolaise.
Nous avons une vision et une stratégie bien établies que nous déployons actuellement dans chacun des 13 pays dont j'ai la responsabilité, et nous sommes déjà présents dans 10 d'entre eux.
Togo First : Nous avons également observé des sorties de grosses banques comme Ecobank, qu’on peut assimiler un désintéressement du secteur bancaire togolais …
OB : Nous proposons plusieurs types de produits d'investissement, tels que la prise de participation dans les sociétés dans lesquelles nous intervenons, ainsi que des prêts à moyen et long termes avec différents types de garanties, tels que des prêts directs, des prêts simples et des prêts subordonnés. En outre, nous offrons une assistance technique à nos partenaires. Lorsque nous investissons en capital dans une société, cela a toujours un horizon temporel défini. Nous investissons à un moment donné, mais nous avons vocation à sortir de l'investissement lorsque le moment est venu. Cependant, cela ne signifie pas que nous interrompons notre relation avec le partenaire une fois que nous sortons de l'investissement en capital. Par exemple, nous sommes déjà sortis de l'investissement en capital dans Ecobank, mais nous continuons de travailler avec ce groupe-là.
Togo First : En quoi consiste ce travail ?
OB : Aujourd'hui, le travail consiste à engager ces sociétés-là sur d'autres produits d'investissement. Nous proposons plusieurs types de financements adaptés aux besoins spécifiques des entreprises et des secteurs d'activité. Nous offrons des lignes de garantie pour faciliter le financement des PME, ainsi que des financements ciblés pour les secteurs d'activité spécifiques. Nous avons également des financements dédiés aux femmes, au climat et au logement. En ce moment, nous sommes en train de discuter avec le groupe Ecobank pour explorer d'autres types d'investissement que nous pouvons offrir.
Togo First : Vous avez financé GOZEM pour l'acquisition de motos électriques. Il est souvent dit que la SFI ne finance que les entreprises de grande envergure ou ayant une certaine présence à l'international. Comment répondez-vous à cela ?
OB : À mon sens, le temps est venu pour la Société Financière Internationale (SFI) ainsi que pour d'autres structures similaires de mettre l'accent sur la recherche, l'identification et le soutien des entreprises du secteur privé local dans les pays où nous sommes présents. Cette approche ne relève pas du nationalisme ni de l'ethnocentrisme, mais plutôt d'une volonté de permettre aux entrepreneurs locaux de se sentir soutenus par des institutions internationales complémentaires. Nous avons mis cette vision en action en créant le programme "Local Champions Initiative" au Togo, visant à identifier et à soutenir les champions nationaux dans divers secteurs d'activités.
Concrètement, nous offrons un accompagnement technique spécifique à ces entrepreneurs, en identifiant leurs besoins et en mettant en place des solutions pour les aider à surmonter les obstacles auxquels ils font face. Ce soutien peut prendre la forme de conseils financiers, de recherches de marché, de certification pour exporter, ou encore de mise en relation avec des acheteurs potentiels. Nous nous engageons également à fournir des financements ciblés en fonction des besoins identifiés.
Nous mettons l'accent sur les entreprises dirigées par des femmes et nous espérons que cette initiative permettra de montrer aux entrepreneurs locaux que nous sommes capables de les accompagner au-delà des grands projets structurants. Nous sommes encore au début de ce programme et nous espérons pouvoir le déployer davantage à l'avenir. Nous espérons que dans 18 mois, nous aurons pu accompagner et entendre parler de 5 ou 6 entreprises, témoignant ainsi de la réussite de cette initiative. Ce changement de stratégie illustre l'évolution de la SFI au Togo.
Togo First : Au Togo, on sent une forte présence de la SFI dans tout ce qui a trait à l’évènementiel rassemblant le secteur privé. Quel en est l’objectif ?
OB : Il est crucial pour nous d'être à proximité des entrepreneurs, le secteur privé et nos clients. Rappelons que dans la SFI, nos actionnaires, ce sont 183 pays. À travers eux, ce ne sont pas les pays qui sont détenteurs des parts, mais bien les contribuables, vous et moi. Il nous incombe donc de nous positionner sur le terrain, de communiquer sur nos actions, de transmettre notre message et d'œuvrer à être le plus proche possible de nos clients.
Certes, nous ne sommes pas présents à tous les événements, mais nous nous efforçons d'être là où nos actionnaires et nos clients potentiels souhaitent nous rencontrer.
Togo First : Avez-vous déjà repéré des entreprises potentielles, susceptibles de partir ou de rester ?
OB : Je regrette de ne pouvoir vous fournir un chiffre précis, car il s'agit là d'un processus en constante évolution. En effet, lorsque j'ai mentionné notre plan d'investissement de 300 millions $, il s'agit là d'une partie de notre engagement. Par ailleurs, nous avons également mis en place un accompagnement technique pour un certain nombre de structures, mais cela ne représente qu'une partie de notre stratégie globale. En effet, nous continuons d'identifier des opportunités d'investissement en utilisant un processus rigoureux et dynamique qui nous permet de rester à la pointe des tendances du marché.
Togo First : Quels sont les défis que vous rencontrez dans le soutien au secteur privé ?
OB : Les défis qui se dressent devant les acteurs du secteur privé dans les pays en développement sont nombreux, notamment l'accès à l'information qui est souvent difficile. Il s'agit également de convaincre les entrepreneurs les plus prometteurs, les plus dynamiques, qui sont souvent sceptiques quant aux attentes déçues vis-à-vis des institutions de développement et de financement en général.
La persuasion est donc de mise. Cependant, une fois convaincus, ces entrepreneurs ont des attentes élevées en matière de rapidité et d'efficacité des solutions proposées, ce qui peut parfois être difficile à réaliser en raison de procédures et de critères contraignants. Il est donc crucial de pouvoir gérer ces aspects avec habileté.
Togo First : Certains secteurs sont souvent négligés, notamment l'agriculture, qui contribue significativement au PIB du Togo mais reste sous-financée. De même, le secteur de l'éducation, bien qu'essentiel, ne donne pas toujours des résultats tangibles, ce qui pousse les pouvoirs publics à ne pas y investir massivement. Selon vous, quelle stratégie spécifique déployer pour favoriser l’investissement dans l’agriculture, l’innovation dans le secteur de l'éducation et les start-ups, sachant que l'écosystème local reste peu développé ?
OB : Tout d'abord, permettez-moi d'être d'accord avec votre observation selon laquelle les financements alloués à la production agricole, non pas à l'agro-industrie, ne sont pas suffisants pour répondre aux besoins et aux potentiels actuels. Toutefois, il est important de reconnaître humblement que l'un des obstacles à ce financement est la perception des risques qui dissuadent les institutions et les investisseurs privés de s'engager dans ce secteur. Cependant, cela ne signifie pas que nous ne devons rien faire.
Nous devons travailler avec l'État et les partenaires de développement pour réduire les risques dans le secteur. Par exemple, en insérant la production agricole dans une chaîne de valeur plus large pour garantir une commercialisation. Nous travaillons actuellement avec la Banque mondiale et l'État togolais pour créer les conditions nécessaires, à l’effet d’inciter les investisseurs et les entrepreneurs locaux à s'engager dans la production agricole afin que nous puissions la financer ensemble.
Togo First Quid de l’éducation, l’innovation, les start-ups... en général, la jeunesse ?
OB : En ce qui concerne les startups et l'innovation en Afrique de l'Ouest, nous assistons à l'émergence d'entrepreneurs, en particulier des jeunes et des femmes, qui créent des entreprises répondant à des besoins spécifiques dans divers domaines tels que l'éducation et la santé. Toutefois, ces entrepreneurs ont besoin de financement spécifique pour se développer. Nous avons donc créé une plateforme de 225 millions de dollars au niveau continental pour investir dans le capital à risque, identifiant les entreprises les plus innovantes et les entrepreneurs les plus résilients pour les accompagner dans leur croissance. Cela nécessite des produits d'investissement spécifiques tels que les seed capital, qui permettent de lancer leur activité et de lever des fonds de manière classique.
Togo First : Hier, la question de l’industrialisation était au cœur des débats lors de l’université du patronat. Comment percevez-vous cette thématique ?
OB : La thématique abordée portait sur l'industrialisation, considérée comme la voie royale pour la création d'emplois dans la région en demande, en particulier au Togo. Cette thématique est chère à nos cœurs. Toutefois, la question qui se pose est de savoir comment y parvenir. Pour ce faire, nous devons tous réfléchir humblement ensemble, car les solutions à cette problématique ne sont pas aisées.