Le Togo est sur une pente savonneuse. La présidentielle de 2015 qui suscite tant de convoitises risque de faire l'effet d'une boule de neige qui pourrait conduire fatalement à une catastrophe. Faure Gnassingbé, après deux élections d'initiation à la dictature, veut ajouter une troisième. Ce qui est en soit une extrême déloyauté envers le peuple. Lui demander d'écourter ses ambitions se révèle à la fois un droit et un devoir sacro saints. On voit bien que les Togolais sont pris dans l'engrenage d'une démocratie qu'un clan a voulue à sa mesure. La sortie de la pente fatale, la moins coûteuse, c'est une transition politique : tout suspendre, réorganiser l'Etat et ses institutions pour remettre le pays sur les bons rails.
La solution au problème togolais est fondamentalement d'ordre constitutionnel. C'est une réalité bien connue du pouvoir RPT/UNIR/UFC. Tellement le chantier des réformes lui paraît risqué et suicidaire que le pouvoir trouve plus aisé de se rabattre sur des solutions conjoncturelles moins risquées qui bouchent les petits trous mais laissent ouverte la plaie béante. Une hémorragie qui liquéfie chaque jour un peu plus une nation prise en otage, contrainte de traiter chaque fois en position de faiblesse avec des hordes du fait accompli. À force de tergiverser, de transformer l'échiquier politique en un vaste marché des consciences, de tourner autour du pot, finalement de ne rien entreprendre, la légalité au Togo a fini par perdre l'autorité indispensable à tout État de droit. Soyons clairs : le Togo, dans la structure politique héritée de feu Eyadéma, n'est pas viable. Ses bases, minées, ne peuvent pas permettre au pays d'avoir un avenir serein. Il s'impose la nécessité de quitter cette pente glissante. Et comment?
C'est d'un nouveau pacte national que le pays a urgemment besoin, un pacte fondateur d'une République redéfinie, réinventée qui ne serait plus à la traîne, abandonnée dans une gare d'attente désaffectée alors que le train du progrès, autour de nous, fonce à toute allure vers l'avenir de toutes les promesses. On a, ces dernières semaines, beaucoup entendu argumenter que l'accord intervenu le 26 mai 2010 entre l'UFC et le RPT était un accord historique, la voie du salut et de la sagesse. Sans lésiner sur les mots, il faut affirmer haut et fort que ce machin bancal manigancé par Gilchrist Olympio - il se croyait plus opposant que ses autres camarades - était, au bas mot, un complot grossier, dévastateur, une abrupte voie de contournement vers le néant. Le requin jaune, soudainement devenu une colombe blanche, va égrener mémorandum sur mémorandum dans le but avéré de reprendre du poil de la bête. Bien pathétique est aujourd'hui la terre de nos aïeux, une terre commune livrée aux appétits gourmands de quelques individus, des gloutons sans âme ni conscience, assujettie à la règle infâme du partage du gâteau, contrainte d'attendre le bon vouloir de parrains étrangers pour boucler ses fins du mois et tenter de survivre, perpétuant ainsi les causes de sa lente agonie.
Si elle a lieu dans les conditions actuelles pleines de suspicion, la prochaine élection présidentielle amènera-t-elle à la tête de l'État l'homme providentiel qui osera enclencher le processus menant à la fondation d'une nouvelle République ? Celui-ci, prendra-t-il son courage à deux mains pour élaborer un pacte national salvateur qui contraindra toutes les parties à ne se mouvoir que dans le seul giron de l'État ? Rien n'est moins sûr. Ceci d'autant que même l'opposition qui est supposé porter l'espoir d'un lendemain meilleur en cas de victoire( ?) en est à se tirer à Hue et à Dia, à ergoter sur des détails, faute de resserrer ses rangs autour d'un idéal et de montrer qu'elle représente une alternative crédible. Dans les deux camps, on a l'impression d'assister plutôt à une véritable guérilla contre l'intérêt général dans une terre togolaise à genoux, saignée à blanc.
On ne peut pas se taire, faire semblant, accepter l'inacceptable, se faire complice d'un crime et souscrire à cet assassinat : celui d'un pays, d'un peuple, de toutes les constituantes d'une nation. Continuer de tergiverser, de se voiler la face, de composer avec les vautours, c'est renier le serment naturel de ne servir que l'homme à travers l'État de droit, loin de toute inféodation, de tout assujettissement. Hier, la chanson de Bawara était : « pas de dialogue avant les législatives ». Où est-il ce dialogue ? Aujourd'hui, les locales promises et dont les partenaires avaient même offert de financer la tenue avant la présidentielle, sournoisement, sont tacitement repoussées aux calendes grecques, sur un prétexte fallacieux et grotesque de manque de moyens. Soyons sérieux! Ce n'est là qu'une de ses dribbles que le RPT sait aligner avec application pour forger ses raisonnements en langue de bois pur chêne massif. Un honteux alibi qui cache mal la sempiternelle obsession du pouvoir de mentir outrageusement.
Toutes les limites ont été dépassées et le silence n'est plus tolérable pour la simple raison qu'il y a une volonté délibérée de neutraliser les symboles de la légalité pour mieux tyranniser les Togolais. Jusqu'à quel point on ne doit plus supporter cette démocratie fantoche dont toutes les ficelles, exécutif, législatif, judiciaire combinés, sont soumises au bon vouloir des tenants de l'ancien parti unique, aux humeurs chagrines de leur idole qu'ils veulent éternellement visser sur le fauteuil présidentiel, empêchant toute alternance politique de se réaliser ? Le chef de l'Etat, après dix ans de pouvoir personnel et solitaire, un pouvoir qu'il s'est vu offrir à travers un modèle de succession cauchemardesque, va-t-il prendre le risque de précipiter, du haut de ses ambitions surdimensionnées, son pays dans les abysses?
La situation du Togo, quel que soit le sens dans lequel on la tourne ou la retourne ne sera pas simple et paisible en 2015. Les clés du dénouement se trouvent chez Faure Gnassingbé, et nulle part ailleurs. Sa seule volonté suffirait à conduire le Togo vers une sortie paisible pour tout le monde, y compris lui-même et les gens de son clan qui font le gros dos parce que situés du côté de la force brute. La meilleure des solutions, c'est d'organiser une courte transition qui réaménage l'Etat et ses institutions avant toute élection. On ne peut pas, faute de cela, s'attendre à autre chose que nos éternels errements. Autrement, les termes Togo et Démocratie resteront, chez nous, antinomiques c'est-à-dire, un oxymore.
Si Faure Gnassingbé, avec courage, prenait l'initiative de faire aboutir un tel processus pour remettre, à son terme, la République à un président et à des représentants élus, non seulement il serait absous des crimes de sang par lesquels il a été porté au pouvoir. Mais aussi, sa sortie serait l'une des plus nobles, des plus exemplaires sur le continent. C'est ce qu'un ancien député de l'UFC, Djimon Oré, récemment, avait préconisé lors d'une interview. Beaucoup de Togolais pensent comme lui. Si on pouvait les sonder par le biais d'un référendum juste et crédible, c'est massivement qu'ils voteraient OUI en faveur d'une courte transition de remise à niveau de la vie publique nationale.