La désinformation bien que connue depuis le IVe siècle avant J.C a pris de l’ampleur à partir du XXe siècle avec une manipulation accrue de l’opinion publique. Cela est devenu un phénomène qui gangrène la société, surtout avec l’évolution et l’utilisation fulgurantes des nouvelles technologies de l’information et de la communication avec l’usage à outrance de différents canaux de communication dont les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram…) et les messageries instantanées (WhatsApp, Telegram…), premiers vecteurs de dispersion des fake news.
Ce phénomène constitue aujourd’hui, l’une des préoccupations tant pour le monde médiatique que pour les décideurs qui mènent des actions çà et là pour lutter contre cette pratique qui handicape le développement harmonieux des Etats du monde dont le Togo. La dernière en date est l’atelier de formation organisé en août dernier à l’Université de Kara par l’Ambassade des Etats-Unis au Togo, à l’intention des acteurs sociaux du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Togo dont les professionnels des médias. Le but visé par l’Ambassade Américaine à travers cette formation est de contribuer à atténuer les effets de la désinformation et de la propagande afin de faciliter l’instauration d’un climat de paix et de sécurité au Togo et dans la sous-région ouest africaine.
Cette rencontre a permis aux journalistes d’être éclairés sur un certain nombre de termes, notamment la désinformation, ses caractéristiques, les outils et actions nécessaires à mener pour une lutte efficace contre ce fléau devenu courant.
La désinformation
Selon l’historien américain, Robert Darnton, la « désinformation est un phénomène historique. L’Homo sapiens savait déjà mentir, Ulysse Ruser et Sun Tzu inventaient des stratagèmes il y a vingt-quatre siècles ». Quitte au Français, François Bernard Huyghe, directeur de recherche de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), de renchérir, la désinformation est un phénomène historique, avec un ensemble de pratiques et techniques de communication visant à influencer l’opinion publique en diffusant volontairement des informations fausses, faussées ou biaisées.
Pour M. Noël Tadégnon, formateur en web journalisme, sécurité en ligne et fake tcheking, à travers l’anatomie d’une fausse information, la désinformation, est caractérisée d’abord par une préméditation, c’est dire que l’auteur sait que l’information est fausse mais décide tout de même de la diffuser ; ensuite par une intention manifeste de nuire, semant la confusion dans le public et enfin par un appel à la psychologie, ce qui signifie, une diffusion à grande échelle via les réseaux sociaux.
Typologiquement parlant, cette fausse information peut provenir entre autres d’une satire ou parodie, d’un contenu trompeur, fabriqué, fallacieux ou manipulé, des liens erronés ainsi que d’un faux contexte. La désinformation a-t-il ajouté, se caractérise aussi par la mésinformation et la mal-information. La première est une diffusion de fausse information sans avoir de mauvaises intentions tandis que la seconde, est une diffusion de l’information qui repose sur un fait, mais souvent exagérée de façon à tromper ou même à causer des préjudices. Cette désinformation est aussi proche des termes de propagande, complotisme d’infox ou fake news dont le but est d’influencer l’opinion publique, de modifier sa perception d’évènements, de personnes, de produits ou de convertir, de mobiliser ou de rallier des partisans, a dit le formateur. Il a fait relever que dans la variante de la propagande, s’ajoute la deepfake ou l’hypertrucage qui est une technique de synthèse d’images basée sur l’intelligence artificielle, combinant de nouvelles images ou superposant des fichiers d’audios et vidéos existants sur d’autres vidéos d’une façon qui semble authentique. Pour lui, les fausses informations, comme le coronavirus se propagent vite pour atteindre un grand public en une fraction de secondes.
Les outils d’une lutte efficace contre la désinformation
Il est vrai que le phénomène de désinformation interpelle la conscience de l’homme, le mettant dans un état de doute sur l’origine ou l’auteur de l’information diffusée. Quels moyens de lutte faut-il alors pour contrecarrer ce phénomène ?
Pour la présidente de l’ONG « Femme Baobab » du département d’Atakora au Bénin, Mme Bernadette M’po, il est important de sensibiliser la couche sociale qui est sous informée sur le fléau de désinformation à cette ère numérique. « L’organisation des rencontres et des séances de sensibilisation dans la communauté Atakora s’avère nécessaire pour éveiller l’esprit critique des citoyennes/ citoyens. Avec les médias de la place, c’est également un atout pour atteindre un grand nombre de cibles afin de rompre la chaîne », a-t-elle souligné.
Lorsqu’une information est donnée par un professionnel des médias, cette information est prise souvent au sérieux. Si nous n’avons pas la possibilité de distinguer la vraie information de la fausse, on va induire tout un public en erreur et ce n’est pas bien, a relevé Barnabas Orou Kouman, journaliste et promoteur du groupe de presse Daabaaru à Parakou, au Bénin.
Dr Bégédou Komi, Enseignant-chercheur à l’Université de Lomé (UL), coordinateur de American Corner et formateur, estime qu’: « une bonne maîtrise de la gestion de l’information dans les différentes communautés suscite l’utilisation de l’outil qu’est ‘’la pensée critique ‘’ pour vérifier et analyser avant de relayer l’information pour que règnent la cohésion sociale et la paix ».
Pour Dr Komla Avono, formateur, avoir la pensée critique, c’est sortir des sentiers battus, avoir des pensées divergentes, former des inférences logiques et c’est avoir une pensée sans limite, de niveau élevé. Pour lui, cette attitude est très primordiale pour la publication des informations vraies et crédibles.
D’après Noël Tadégnon, aujourd’hui, l’on ne peut pas parler de la lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme sans penser à la lutte contre la désinformation, parce que ceux là qui s’adonnent à ces actes délictueux utilisent beaucoup la désinformation pour intoxiquer la population. Ces personnes mal intentionnées maîtrisent des techniques de communication et de la propagande plus que les professionnels des médias. « Il est important d’éduquer les gens sur les tactiques de désinformation et de la propagande et leurs effets négatifs sur la société. La collaboration entre les gouvernements, les organisations civiles, les médias et les plateformes de médias sociaux est essentielle pour lutter contre ces fléaux », a-t-il indiqué.
Autres moyens de lutte selon lui sont : éviter de partager des informations sans les vérifier et signaler les informations trompeuses ou les fausses nouvelles aux organisations et plateformes correspondantes, partager des informations venant de sources fiables tout en se méfiant des faux experts qu’on cite pour donner plus de crédibilité à l’information publiée et chercher à vérifier toujours qui est cet expert et quelle organisation il représente.
M.Tadégnon a fait savoir que la Fake news peut se propager par l’utilisation de contenus axés sur les émotions. Ainsi, avant de partager ou de réagir à un contenu, il faut penser à sa provenance, qui pourrait en bénéficier et qui pourrait en souffrir et bien réfléchir avant de cliquer ou de partager.
En effet, dit-il une analyse rationnelle de l’information suscite des interrogations : quelle est l’origine de cette information ? Comment est-elle présentée ? Quelles semblent être les motivations de sa diffusion ?
D’après lui, la première interrogation invite le journaliste à savoir si l’auteur est identifiable, cité ou non, le style d’expression est identique ou non, le média habituel d’expression ou non. La seconde interrogation précise -t-il appelle à la distinction des faits, des interprétations et raisonnements qui peuvent être insérés pour leur donner un sens particulier et même la présence des fautes grossières doit donner l’alerte. La dernière révèle si l’information partagée ressort d’une autopromotion, d’une propagande, d’un fait politique, religieux ou social. Ainsi, précise M. Tadégnon, une croisée de sources permet d’éviter les fausses informations et de savoir quel est le type de média de diffusion qui envoie l’information et pourquoi. De son avis, il est nécessaire alors de faire référence aux autres médias ou groupes parlant du même sujet mais différemment ; d’éviter toute source relayant exactement la même information sans aucune modification ; d’user et d’abuser des moteurs de recherche pour se renseigner ; de se méfier des appels au partage tels que « Faites tourner », « Diffuser dans tous vos contacts », « Les médias n’en parlent pas », « Ils vous mentent ». Il a fait allusion aux moteurs de recherche tels que Google images : https ://images.google.com ; YouTube ; Data Viewer : https://citizenevidence.amnestyusa.org; Tineye : https//tineye.com pour décrypter les images et les vidéos, comme autres outils de vérification de l’information.
Le formateur en web journalisme, sécurité en ligne et fake tcheking, a insisté que, quel que soit la personne qui publie ou transfère une information, il faut d’abord douter. « A partir du moment où une information déclenche une émotion, il convient d’abord de se détacher de son émotion première, de faire intervenir son esprit critique et d’essayer de voir par quel biais on peut se faire influencer au regard des émotions suscitées » a-t-il indiqué.
Au terme des travaux, les journalistes ont proposé des actions de lutte efficace contre ce fléau afin de contribuer à maintenir la paix et la sécurité au Togo et dans la sous-région. Ces actions qui sont prioritairement les sensibilisations, les émissions radiophoniques et les productions d’articles de fond sont inscrites dans un plan d’action élaboré qu’ils vont mettre en œuvre une fois de retour dans leurs organes respectifs afin de lutter efficacement contre ce fléau.
La désinformation reste un problème complexe qui nécessite une réponse coordonnée et soutenue à l’échelle nationale, régionale et internationale. Les efforts de lutte contre la désinformation ne doivent pas compromettre la liberté d’expression ou les droits de l’homme, restons engagés pour construire un monde paisible, sûr et sain pour tous.