Le Président de la République, Faure Essozimna Gnassingbé a officiellement ouvert ce mercredi 15 novembre à Lomé, les travaux de la 3ème édition du Sommet de l’industrie africaine (AFIS 2023). Dans son allocution d’ouverture, le n°1 togolais, qui a salué le choix de la capitale togolaise pour la seconde fois consécutive, a souligné la symbolique du thème retenu pour l’édition, et rappelé le dynamisme actuel du secteur financier africain.
Surtout, le chef de l’Etat a pointé le pessimisme persistant au-delà des frontières du continent, sur les réalités économiques, et invité les acteurs africains à « rectifier ce prisme négatif ». L’intégralité du discours.
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Chers amis,
Chers invités
Chers participants,
Je voudrais vous remercier de votre présence, remercier particulièrement le groupe Jeune Afrique et la SFI pour la confiance renouvelée dans notre capitale pour l’organisation de cette édition.
L’édition AFIS 2022 faisait la part belle aux crises et à leur gestion. Son premier panel s’intitulait d’ailleurs « Transformer la finance africaine en période de crise ».
Force est de constater que nous ouvrons aujourd’hui un nouveau chapitre. Le thème des crises laisse place à celui des opportunités. Le premier panel de cette année, « Bâtir une industrie financière africaine de classe mondiale : une opportunité à 1500 milliards ». Ce thème incarne cette nouvelle symbolique.
Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d’abord m’interroger devant vous.
Comment expliquer ce regain d’optimisme ?
La normalisation des prix y est bien sûr pour beaucoup. Après des mois d’inquiétude, l’inflation retombe enfin et les prix des produits de base, notamment alimentaires et énergétiques, se détendent.
Cette baisse de l’inflation est constatée partout dans le monde. Les dernières projections du FMI suggèrent que la hausse des prix aura atteint 6,8% en 2023, avant de revenir à 5,2% en 2024, une nette amélioration par rapport au taux de 8,7% enregistré l’année dernière.
Mieux encore, la baisse de l’inflation est particulièrement prononcée dans notre espace UEMOA, Union économique et monétaire ouest africaine. Le taux d’inflation est tombé à 2,7% en septembre 2023, une performance à saluer quand on la compare au pic de 8,8% enregistré en août 2022 et au taux de 6,0% en janvier 2023.
Plus généralement, le dynamisme de nos économies à de quoi nous rendre optimiste.
En Afrique de l’Ouest, les données de la campagne agricole 2022/2023 montrent une augmentation de 9,7% de la production vivrière au sein de l’Union, atteignant un volume impressionnant de 72 millions de tonnes. Étant donné l’importance cruciale de l’agriculture, qui emploie 65% de notre main- d’œuvre et contribue à hauteur de 40% à notre PIB, de telles réalisations ne peuvent que nous encourager.
Notre secteur industriel n’est pas en reste. Le Port Autonome de Lomé est plus dynamique que jamais, suggérant de bonnes performances économiques pour l’ensemble de la sous-région.
Cette tendance favorable ne se cantonne pas d’ailleurs au Togo ou à l’Afrique de l’Ouest. C’est l’Afrique sub-saharienne tout entière qui s’engage résolument sur le chemin de la reprise. La région devrait connaître un rebond significatif, avec une croissance estimée à 4,0 %.
A plus long-terme, la ZLECAf saura ancrer cette reprise dans la durée.
A l’heure où une partie du monde se détourne de la promesse des échanges commerciaux, notre pacte historique a créé le plus vaste accord de libre- échange au monde, tant en termes de population que de superficie.
Il rassemble près d’un milliard et demi d’individus répartis dans 55 pays, formant une entité économique dont le PIB est comparable à celui de l’Inde.
Mais aujourd’hui, je crois c’est le secteur financier qui nous intéresse.
Notons tout d’abord le maintien des activités de crédit, qui démontrent la résilience du secteur malgré un durcissement manifeste des conditions de crédit.
En Afrique de l’Ouest, le financement du secteur privé a conservé son dynamisme. Les créances sur l’économie ont connu une croissance annuelle de 11,6% en août 2023, après un taux de 15% le mois précédent.
De manière plus générale, le marché des services financiers en Afrique devrait connaître une croissance significative dans les années à venir, avec une augmentation annuelle d’environ 10 %, pour atteindre environ 230 milliards de dollars de revenus d’ici 2025.
Ce développement est très largement porté par l’adoption rapide des fintechs, soutenue par l’augmentation de la possession de smartphones, la réduction des coûts d’accès à Internet, et une population jeune, en croissance rapide et de plus en plus urbanisée.
Ainisi, depuis la pandémie, le dynamisme du secteur est extraordinaire. Entre 2021 et 2023, le nombre de FinTechs africaines a cru de 17%, et on en compte aujourd’hui plus de 600.
Ainsi présenté, l’avenir semble prometteur.
Et pourtant, Mesdames, Messieurs, un sentiment pessimiste persiste en dehors du continent.
La semaine passée, le journal ‘Le Monde’ faisait même état de « perspectives économiques médiocres au sud du Sahara».
Un tel écart avec la réalité du terrain m’étonne. Malheureusement, les conséquences de ce biais négatif ne sont pas seulement symboliques. Ce biais menace, très concrètement, notre capacité à financer notre développement.
L’exemple le plus éloquent de cette problématique est bien entendu celui des notations souveraines, qui tendent à être systématiquement défavorables aux pays africains. Souvent, ces notations sont davantage influencées par la richesse des pays que par le risque réel de défaut.
Ce « deux poids deux mesures » était frappant au cours de la pandémie de Covid-19. La plupart des pays développés n’ont pas subi de dégradation de leur note, ce qui leur a permis de continuer à accéder au financement malgré une augmentation significative de leur endettement.
Je veux insister devant vous que cet handicap dont souffre l’Afrique face aux notations souveraines ne date pas de la crise du Covid-19, et ne se limite pas à une comparaison entre les pays développés et les pays en développement.
Historiquement, notre continent a toujours été confronté à un handicap notable, même par rapport à d’autres pays en développement. Prenons l’exemple de l’Angola : voilà un pays qui n’a pas fait défaut sur ses obligations depuis la guerre civile, et pourtant il a été contraint en 2017 de payer des taux d’intérêt significativement plus élevés que l’Argentine, qui a émis une obligation à 100 ans un an après avoir fait défaut, et trois ans avant de faire défaut à nouveau.
Historiquement, notre continent a toujours été confronté à un handicap notable, même par rapport à d’autres pays en développement. Prenons l’exemple de l’Angola : voilà un pays qui n’a pas fait défaut sur ses obligations depuis la guerre civile, et pourtant il a été contraint en 2017 de payer des taux d’intérêt significativement plus élevés que l’Argentine, qui a émis une obligation à 100 ans un an après avoir fait défaut, et trois ans avant de faire défaut à nouveau.
Ce biais ne se limite pas uniquement aux agences de notation.
En effet, même pour une note équivalente attribuée par ces agences, un pays africain se voit souvent contraint de proposer des taux d’intérêt plus élevés. On peut prendre l’exemple de l’Afrique du Sud et du Brésil : avec la même note de crédit, l’Afrique du Sud se voit imposer des conditions plus onéreuses par les investisseurs internationaux.
C’est ainsi qu’aucun pays africain n’a émis d’Eurobond depuis juin 2022.
Une conséquence directe de ce biais est, naturellement, l’augmentation du coût des financements privés pour les gouvernements africains.
Mais il affecte plus largement le financement de l’ensemble de nos économies. Les investisseurs prennent en compte les notations de crédit avant de prendre des décisions parce qu’elles servent de proxy pour évaluer l’économie dans son ensemble.
Cette situation me préoccupe particulièrement parce que le secteur privé est appelé à jouer un rôle crucial dans le financement du développement africain. Mon pays a d’ailleurs toujours été résolument engagé sur cette voie, notre ambition étant de financer la moitié de notre Feuille de Route 2025 par des investissements privés.
Mesdames, Messieurs, plus généralement, la contribution du secteur privé sera critique dans le cadre de la lutte contre le changement climatique comme le rappelait, Monsieur Sergio Pimenta, parce que d’ici à 2030, les besoins en investissements pour l’atténuation du changement climatique dans les économies émergentes et en développement sont estimés à environ, vous avez dit 2080 milliards, moi j’ai 2 000 milliards de dollars par an. Et 80 % de ces besoins en investissements devront être financés par le secteur privé.
Il est donc crucial de souligner que notre collaboration avec le secteur privé n’est pas seulement un choix stratégique. C’est une nécessité impérieuse compte tenu de la stagnation des flux de l’Aide publique au développement.
Les données de l’OCDE de l’année 2022 sont, à ce sujet, éloquentes. Alors que les flux nets d’APD ont globalement augmenté en 2022 de 15 % en termes réels, les données préliminaires indiquent que les flux bilatéraux nets vers l’Afrique ont eux baissé de 7 % en termes réels.
Dès lors, je veux souligner ici que si nous voulons saisir pleinement les opportunités du continent africain, nous devons rectifier ce prisme négatif, ce biais de perception négatif.
Il va sans dire qu’une partie de cet effort doit être entrepris au niveau national. Et en particulier, il incombe aux États de rassurer le secteur privé, et de se montrer transparent et à l’écoute.
Rassurer, c’est d’ailleurs l’objet du Conseil de Concertation État-Secteur Privé, une plateforme mise en place par mon gouvernement pour conduire un dialogue permanent avec nos investisseurs.
Mais rassurer, c’est aussi assurer la sécurité du territoire et de nos côtes.
Il incombe également à nos États de valoriser les opportunités offertes par nos pays.
Cette promotion s’applique bien entendu aux projets individuels, comme nous le pratiquons lorsque le gouvernement rencontre des investisseurs pour financer des projets spécifiques. Et nous savons tous que ces investisseurs se plaignent souvent d’un manque de « pipeline » dans nos pays.
Cependant, au-delà de la promotion de projets isolés, il est primordial de véhiculer une vision à long terme. C’est dans cette optique que nous avons initié la Feuille de Route Togo 2025, destinée à servir à la fois de guide stratégique et de banque de projet.
Je terminerai en disant que nous ne pouvons reprendre le contrôle du récit africain sans une action concertée. Je considère qu’il est crucial pour l’Afrique de regagner collectivement la maîtrise de son narratif.
C’est dans cette perspective que le Togo s’engage depuis longtemps dans la construction et la concrétisation de l’unité panafricaine. C’est à Lomé, en 2000, que les accords fondateurs de l’Union Africaine ont été signés et c’est également dans notre capitale que se tiendra, en 2024, le Congrès panafricain.
Hier, nous étions avec le Nigéria à l’origine de la creation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest en 1975.
C’est dans ce même esprit que nous avons contribué à la création de l’Alliance Politique Africaine, témoignant de notre engagement continu en faveur d’une autonomie stratégique panafricaine.
Je me réjouis donc que ce sujet de la coopération africaine constitue aujourd’hui un fil rouge tout au long de notre programme, abordant des thématiques aussi variées que la Taxonomie verte pour l’Afrique, la coordination réglementaire dans le secteur de la FinTech, ainsi que les discussions portant sur l’établissement d’une autorité bancaire unifiée à l’échelle de notre continent.
Car il n’y a aucune raison valable pour que l’Afrique ne prenne pas sa juste place sur l’échiquier géostratégique mondial. Le continent représente 28% des États membres des Nations Unies et, d’ici à 2050, la population africaine constituera 25% de la population mondiale. Cette proportion devrait atteindre 40% en 2100.
Notre voix, la voix africaine doit être à la mesure de cet avenir.