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Art et Culture

AHOE, la série-web / Madie Foltek : “on voulait vraiment faire quelque chose pour les Togolais, qui raconte nos réalités”

Publié le dimanche 28 janvier 2024  |  Togo First
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Au Togo, Ahoé, une web-série suscite de l’engouement depuis le 1er décembre 2023. Tournée en langue locale, façonnée selon les standards internationaux et ancrée dans les réalités togolaises et africaines, la série est diffusée gratuitement sur les réseaux sociaux. Dans une interview accordée à Togo First et l’Agence Ecofin, la scénariste Madie Foltek, co-autrice de la série revient sur l’univers de l'œuvre, son succès, et les perspectives.

Qui est Madie Foltek ?

Madie Foltek est une femme togolaise au large sourire, comme vous pouvez le voir souvent. J'ai fait des études cinématographiques avec une spécialisation en scénarisation aux États-Unis. Je suis la scénariste de la web-série Ahoé.

J'ai toujours été passionnée par la culture. Tout a commencé avec la lecture : j'adore lire. Toute petite, j'étais le genre à aller au CCF (Centre culturel français, ndlr), lire des livres. En cours primaire, ma matière préférée était donc bien évidemment le français. J’adorais écrire et inventer de petites histoires. Mais c'est vraiment à l'âge de 12 ans que j'ai écrit une histoire à proprement parler, après l’hospitalisation de ma mère. J’ai voulu lui écrire une histoire, pour la divertir, et elle y a trouvé énormément de potentiel et m'a encouragée à écrire. Mais pour moi, cela restait toujours un loisir, malgré les encouragements d’un de mes professeurs de français au collège.

En même temps, j'étais passionnée par le cinéma. Avec mes frères et ma sœur, on regardait beaucoup de films, analysait les scènes, les pièces de théâtre et tout ça. Je crois que c'est là où mon esprit, on va dire analytique, s'est réveillé en ce qui concerne les films. Mais cela restait un hobby, pas un probable métier.

Le déclic est venu après mes études aux États-Unis où je me suis formée à la publicité et à la scénarisation. Entre-temps, je suis revenue au Togo pour m'assurer qu'il y avait quand même une demande pour les scénaristes. Pendant notre parcours de formation, l’accent était surtout mis sur la pratique, donc j’ai essayé des vidéos, des films, des courts-métrages, où j’ai assumé plusieurs rôles.

A mon retour au Togo, j'ai travaillé avec Angéla Aquereburu et Jean-Luc Rabatel de Yobo Studios. On s'est rencontrés parce qu’ils cherchaient un scénariste, et que j’ai été recommandée. Je leur ai parlé d'Oasis, une des séries que j’ai créée et qui est diffusée sur Canal+. C'est là qu’a débuté notre collaboration, et qui a vu des projets comme Hospital IT, la série médicale qui est sur TV5 Monde, ou Zem.


Comment est né Ahoé ?

Depuis toujours, Angéla avait en tête de faire quelque chose pour les Togolais. Puisque Oasis et Hospital IT, c'était pour des chaînes panafricaines. Donc, ça veut dire qu'il faut un peu plaire à tout le monde. On ne peut pas faire un truc uniquement adressé aux concitoyens, parce que ces chaînes sont regardées partout.

“ Si on parle aux Togolais, pourquoi ne pas raconter nos réalités ?”

Donc, on voulait vraiment faire quelque chose pour nous. Surtout que nous sommes parties du constat que la plupart des compatriotes au pays et en Occident n'ont pas accès à nos séries, parce qu'ils n'ont pas forcément accès à Canal+, TV5 Monde. Même au pays, tout le monde n’a pas les moyens de payer un abonnement Canal+, par exemple. On réalisait des choses, mais les gens n'y avaient pas accès, et la diaspora se plaignait énormément.

Avec Angela, on a donc lancé un sondage pour voir si la diaspora, je le précise parce qu’à la base c'était cela, voudrait bien nous accompagner, pour qu’on leur fabrique du contenu qui sera diffusé gratuitement sur YouTube en mina. Il faut dire aussi qu’Angela avait déjà essayé une démarche similaire de cagnotte participative mais cela n'avait pas vraiment marché. Je lui ai dit, “jetons la bouteille à la mer, on verra”.

Et ça a pris. Tout le monde était partant, il y avait des retours très positifs. Les gens ont dit, “oui, on va faire” quand la cagnotte a été lancée. Nous avons demandé 15 millions FCFA. Ça ne coûte pas 15 millions pour faire une série, mais on savait qu'on ne pouvait pas demander plus. On voulait faire un test, en fait. Donc, on s’en est tenu à cela. Au total, nous avons eu 8 millions. Yobo Studios a ajouté un peu de ressources, tout comme l'association de promotion culturelle Vegon qui a porté le projet.

Mais avec ça, on ne pouvait pas payer toute l'équipe. Parce qu'on va dire que pour lancer une série, un épisode, il faut minimum 15 millions. Une série comme ça. Donc, on a dit à l'équipe dès le début : “Voici le projet qu'on a, mais on ne peut pas vous payer. Nous pourrons assurer le transport, la nourriture et tout ça. Mais c'est tout. Est-ce que ça vous intéresserait ?”.

Toute l'équipe, tous les techniciens, tout le monde a accroché et a adhéré. On a insisté sur le fait qu’on voulait le faire en Mina, et qu'on voulait cibler le Togolais de façon générale. Ils ont adhéré au projet et ils ont travaillé sur ce projet sans recevoir un seul franc. Pour nous, c'était incroyable.

Donc, une fois que les gens ont accepté de nous accompagner avec la cagnotte, Angela et moi, avons fait des séances de remue-méninges pour trouver une histoire, créer une histoire avec d'autres volontaires qui voulaient bien nous aider. Et on s'est demandé ce qu'on voulait raconter.

Si on parle aux Togolais, pourquoi ne pas raconter nos réalités, nos quotidiens, les problèmes que nous avons, les joies, les peines, ce qui se passe dans nos familles ? C'est comme cela que nous avons eu l'idée de faire rentrer Eli, (Bienvenue Gagalo, NdlR) qui est le personnage principal, de France, après des années passées là-bas, pour enterrer sa mère.

Donc, pour lui, qui a des idées préconçues vu que cela fait des années qu'il est parti, il rentrerait juste inhumer sa mère et repartirait. Or, au Togo, cela ne se passe pas comme cela. On ne peut pas rentrer de l’extérieur et essayer d'imposer les choses et tout ça. C’est comme ça que l'idée est venue.

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Donc voilà, fabriqué du contenu pour les Togolais. Mais on s’est toujours dit qu'il fallait des sous-titres en français et en anglais pour ne pas limiter l’accès.

Comment se sont faits le casting et le tournage ?

Il faut savoir que la plupart des acteurs qui sont dans Ahoé, sont déjà sur les deux projets précédents, Oasis et Hospital IT. Atavi-G, (alias Cyprien, ndlr) par exemple, était dans la première saison d'Hospitalité. Il y avait déjà tout un monde dans le répertoire de Yobo Studios.

Donc le casting n’a pas été très difficile, du point de vue de la recherche des acteurs. Une fois les rôles affinés, on a quand même organisé des auditions pour trouver qui serait l’idéal pour tel ou tel personnage. Atavi-G et Sanvee Beno (alias Lionel, ndlr) faisaient déjà partie du pool d’acteurs, mais on les a contactés pour savoir s'ils seraient intéressés. Le premier a accepté de revenir sur le projet parce qu'il savait que le second serait là. Cela faisait des années qu'il essayait de le retrouver, donc on leur a donné l'occasion de le faire.


D’autres exemples sont là, comme Florent Banissa (alias Socrate), qui avait aussi fait partie d’Oasis. Ensuite, nous avons fait venir un coach pour former tous ces acteurs, durant des mois et des mois. Surtout les personnages principaux.

Le texte a été écrit pendant le Covid-19, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons fait allusion pendant la série à des frontières fermées. Quant au tournage, cela s’est fait en un mois. De juin à juillet l’année dernière. Et c’est là où nos partenaires ont été précieux.

Quand nous lancions la cagnotte, on avait précisé que ce n’était pas que financièrement que nous voulions de l’accompagnement. Pas juste de l'argent, mais aussi des maisons, des boutiques, des restaurants, des voitures, à nous prêter. A Aného (Préfecture des Lacs), le maire a également accepté de nous accompagner.


Avez-vous été confrontés à des défis pendant la production ?

Tout revenait à l'argent. Déjà, il nous fallait du talent pour ce projet. Ce n'est pas parce que c'est bénévole que ça doit être mauvais. La même attention, la même qualité que nous avions exigées pour les précédentes œuvres, étaient de nouveau là.

Donc il s’agissait surtout de réussir à produire quelque chose de beau, malgré le fait que tout le monde travaillait gratuitement, sans un franc. Et c’est valable pour l'équipe technique aussi. Que ce soit au niveau de l’équipe de communication qui travaille depuis un an dessus, à tout ce qui est lié à la musique, la bande originale, tout le monde a donné du sien, sans rien prendre en retour.

Il y a eu des imprévus, mais on a su avancer. Yobo Studios a toujours été dans la mentalité de « il faut cultiver l'excellence », et pour nous, ce n’est pas parce qu'il n'y a pas d'argent qu'on va servir, excusez-moi le terme, du caca, aux gens.

Il y a une semaine, vos comptes sociaux ont annoncé : ‘Ahoé, c’est fini’. Dans la foulée, vous avez lancé une cagnotte pour soutenir la suite de la série. Est-ce dû à l’engouement du public ?

En fait, c’était le deal depuis le début. Si vous voulez qu'on fasse du contenu, il va falloir contribuer. On voulait faire cette série sans compter sur les diffuseurs classiques qui auraient un droit de regard sur ce qu'on dit et comment on le dit. L'idée, c'était vraiment d'être libre et de pouvoir raconter nos histoires à nous. Donc, depuis le début, on avait décidé que si on devait faire ce truc, ce serait grâce au financement participatif.

Quand on a fait Ahoe, on avait dit que même avec les 8 millions FCFA, on voulait quand même montrer aux Togolais ce qu'on peut faire avec le peu qu'on a eu. On voulait leur dire « Imaginez ce qu'on peut faire si on a plus ».


C'est vrai qu'on savait que l'histoire allait plaire, mais l'engouement qu'il y a eu autour de la série, disons que ça nous a dépassés nous-mêmes. C'était une belle récompense pour l'équipe, mais c'était toujours prévu qu'on allait lancer une nouvelle cagnotte pour pouvoir en faire plus.

Donc, quand dans les commentaires, les gens disent « Ah, on adore, dites-nous comment on peut soutenir, on veut plus », là, on vous annonce « Ok, d'accord, nous allons faire plus, mais là, il faut que vous mettiez la main à la poche ». C'est le nerf de la guerre, l'argent. C'était une stratégie digitale, une stratégie de communication de dire « Ahoe, c'est fini » … Les gens l'ont pris de façon littérale. « Ah oui, c'est fini. Il ne reste que deux épisodes ».

“Prénam est tellement passionnée qu’elle a démissionné de son travail”

Là, si on a les sous, c'est vraiment pour que les gens soient payés. Je vais vous donner l'exemple de l’actrice qui joue le personnage de Prénam (Jessica Djadoo, ndlr). Celle que tout le monde veut tuer sur les réseaux sociaux (Rires). Elle, par exemple, est venue au casting et nous avons eu un coup de foudre. Elle n'avait jamais joué avant. Elle était naturelle. Donc, on lui a dit, on aimerait te proposer un rôle. Elle est tellement passionnée qu'elle a démissionné de son travail.

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Depuis le début, c'était prévu que pour pouvoir arriver à un certain niveau, pour que la série puisse vivre et générer de l'argent, il fallait à un moment que les Togolais de façon générale ou les amoureux du Togo mettent la main à la poche. Les gens avaient littéralement pensé qu’on n’allait plus diffuser les deux épisodes restants (le financement participatif a été lancé après la sortie de l’épisode 8, ndlr) alors que ceux qui nous suivent depuis le début ont compris. On a toujours annoncé que ce serait divisé en deux saisons. La première sera terminée contrairement à la croyance selon laquelle tant qu'on n'a pas la somme demandée en financement participatif, plus rien ne sera produit.

Alors, est-ce que depuis le lancement de cette cagnotte-là, les retours sont intéressants à ce niveau ? Y-a-t’il de l'espoir ?

Là sur le site on est à plus de 4,3 millions FCFA. On ne cache pas les choses, tout est visible sur la plateforme de la cagnotte. Je crois que la communication qu'on fera autour de la campagne de financement va jouer un rôle. Il y a encore des Togolais qui n'ont aucune idée que cette série existe. Il y a quelqu'un du Cameroun qui m'a demandé le lien de la cagnotte, des gens du Burkina Faso…etc.

La série restera-t-elle sur YouTube ou évoluera vers d’autres plateformes ?

Ahoe sera toujours sur YouTube, ça c'est sûr. Mais on n'est pas fermé, on réfléchit à différentes alternatives. Toujours sur YouTube, pour le futur mais pour qu'on n'ait pas toujours à demander aux gens de contribuer, il faut qu'on trouve une solution.

Pourquoi ne pas avoir une plateforme de streaming local ? Notre Netflix…Y fournir du contenu et faire payer les gens avec ce qu'ils ont. L'idée, c'est vraiment que ça reste accessible. On ne va pas faire un truc super cher que les gens ne peuvent pas payer. L'idée de base, c'est toujours de faire un truc accessible pour la population.

Actuellement, notre compte YouTube n'est pas monétisé. Il n'y a pas le Togo dans la liste des pays pour la monétisation et puis il y a un certain nombre de vues même quand la monétisation est possible. De toute façon, si Ahoé était monétisé, l'idée, encore une fois, serait de réinjecter ce revenu dans les prochains projets.

Avez-vous reçu une sorte d'appui, de soutien du ministère togolais de la culture, d'autorités ?

Au début du projet, de la diffusion, vous savez que la page X du ministère de la Culture et du Tourisme a réagi, pour nous encourager. Je sais que la page de la présidence avait aussi partagé nos publications. Le directeur de la cinématographie et de l'image animée, c'est l'un des plus grands fans de la série. On reçoit des messages de personnalités, d’autorités qui aiment beaucoup la série. Ce sont des messages pour l’instant.

Avez-vous un mot à l’endroit de la communauté togolaise, de tous les suiveurs d’Ahoé ?

J'aimerais dire un grand merci à l'équipe parce que sans elle, on ne serait pas là. Merci à eux d'avoir accepté de soutenir ce projet. Ils ont fait du bébé d'Angéla et moi, leur bébé. Sans argent. Merci à Sanvee Beno et Atavi-G de nous avoir rejoints. Aujourd’hui, ils arrivent à avoir la visibilité qu'ils méritent. Parce que ça fait des années qu’ils sont dans le domaine.

J'aimerais remercier Angéla, je l'appelle ma fan-mate parce que c'est avec elle qu'on réfléchit à des idées folles et qu'on offre du contenu au public. Mais j'aimerais vraiment remercier aussi tous les internautes, au Togo et partout. Merci à eux pour l'engouement qu'il y a autour de la série. Merci à eux d'accepter de recevoir la chaleur d'Ahoé. Merci à ces gens qui regardent la série avec leur famille, Ils sont en mesure de regarder une série,

un truc avec leurs parents et leurs enfants. À la base, ce n'était pas fait pour les enfants, mais on voit que les enfants aiment, donc on va répondre à ça pour la suite.


Merci à vous les médias de nous accompagner, tous les commentaires, tous les likes, tous les partages, tout ce que vous faites pour nous. On est émerveillés, on est reconnaissants. A très vite pour la suite.

Propos recueillis par Octave Bruce, Gilles Lawson et Servan Ahougnon.
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