Togo - Me Jean Dégli, Président de l’Association « Bâtir le Togo » contre le dialogue à l’assemblé: "Si le chef de l’Etat voulait dire que tous les dialogues doivent se faire à l’assemblée, je dis que c’est dommage, parce que l’assemblée n’est pas un lieu de dialogue".
Faure Gnassingbé souhaite que les discussions autour des reformes constitutionnelles et institutionnelles se fassent à l’Assemblée nationale. C’est en tout cas ce qu’il a exprimé clairement à Jean-Pierre Fabre lors de l’audience qu’il a accordée au chef de fil de l’opposition togolaise. Tout comme les membres du Collectif Sauvons le Togo, certains trouvent que l’approche du Chef de l’état n’est pas cohérent dans la mesure que l’assemblée n’est pas un lieu de dialogue. C’est ce que pense aussi le président de l’association « Bâtir le Togo » le docteur en science juridique, avocat au barreau de Lomé, Me Jean Degli.
Suivons-le à travers cette interview.
pa-lunion.com : Maître Yawovi Jean Dégli, bonjour !
Maître Yawovi Jean Dégli : Bonjour
pa-lunion.com : Vous êtes docteur en science juridique, président de l’association, « Bâtir le Togo », quel est votre perception aujourd’hui de la question de la limitation du mandat présidentiel au Togo ?
Maître Yawovi Jean Dégli : Oui, je crois que par principe, il faut absolument que la limitation de mandat revienne chez nous. On ne peut pas avoir des présidences à vie, qui sont des choses du passé de l’Afrique. Aujourd’hui, il faut que dans les constitutions africaines les mandats soient limités. Le maximum que moi je pense, c’est dix ans. C’est-à-dire, cinq ans renouvelables une fois. Il y en a même qui pensent qu’il vaut mieux mettre un mandat qui soit de huit ou dix ans, et puis c’est fini. Pour éviter que les gens soient obligés de gaspiller les fonds de l’Etat, ou alors, qu’ils croient qu’ils doivent faire n’importe quoi pour se faire réélire. Dans tous les cas, je pense qu’il est indispensable que dans notre constitution, revienne le principe fondamental de limitation de mandat.
pa-lunion.com : Et pourquoi aujourd’hui, le Togo gagnerait à limiter le mandat ? Pour éviter que Faure Gnassingbé soit candidat à nouveau ?
Maître Yawovi Jean Dégli : La constitution togolaise a été adoptée par plus de 97% de Togolais. Et Eyadema s’est permis avec une poignée d’individus à l’assemblée, parce que l’opposition avait refusé à l’époque d’aller aux élections pour avoir au moins la minorité de blocage, de modifier la constitution et d’enlever la limitation de mandat. Donc, je crois que, parler aujourd’hui de limitation de mandat, ça ne concerne pas que Faure Gnassingbé. Ce n’est pas seulement Faure Gnassingbé qui peut être aujourd’hui président de cette république. D’autres peuvent l’être demain et d’autres le seront nécessairement demain. En tout cas, moi, au moment où on mettait la limitation de mandat dans la constitution, je ne pensais pas à Eyadema et je n’ai pas pensé à Faure Gnassingbé. Et je fais parti de ceux qui ont rédigé cette constitution. Et aujourd’hui, je pense qu’en mettant la limitation de mandat, ce n’est pas contre Faure Gnassingbé ou pour lui qu’on le fait, c’est pour l’intérêt du Togo simplement.
pa-lunion.com : Est-ce que aujourd’hui, vous sentez cette volonté de la part de ceux qui nous gouvernent de procéder à cette limitation du mandat, si non, au retour de ce que vous avez contribué à donner au Togo, la constitution de 1992 ?
Maître Yawovi Jean Dégli : Bon ! Il faut dire la vérité, aujourd’hui, on ne sent aucune volonté de la part de ceux qui sont au pouvoir de faire les modifications constitutionnelles indispensables hein ! L’APG a été quand même signé depuis août 2006. S’il y avait une volonté politique, je crois que le Chef de l’Etat actuel et son gouvernement ensemble avec l’opposition auraient déjà fini par mettre toutes ces réformes en place. Ça n’a pas été fait jusqu’à présent. De loin, lorsque le Président Faure Gnassingbé voulait arriver au pouvoir et succéder à son père, j’ai vu le nombre de modifications constitutionnelles, qu’il a pu, avec les gens du RPT à l’époque, faire en l’espace de trois, quatre jours. Et ça a continué jusqu’au 24 février. Ils ont fait la dernière modification avant qu’il ne fasse son discours du 25 février 2005 pour se retirer, pour devenir simplement candidat. Donc, je ne comprends pas aujourd’hui, alors qu’on a fait plus de quatre à cinq modifications constitutionnelles chez nous en l’espace de deux, trois jours, qu’on ne soit pas en mesure de le faire depuis 2006, des modifications constitutionnelles, dont le Togo a besoin, et notamment, d’inscrire dans notre constitution que le mandat présidentiel est limité.
Donc, dans ces conditions, je ne pense pas que les pouvoirs publics au jour d’aujourd’hui, ont véritablement la volonté d’aller vers ces réformes constitutionnelles et inscrire dans la loi fondamentale, la limitation de mandat.
pa-lunion.com : Qu’est-ce qui fait retenir, selon vous, le Chef de l’Etat à procéder à cette limitation de mandat ? Est-ce la position qu’adopte l’opposition togolaise, de faire une limitation de mandat aujourd’hui, avec effet immédiat, ou non ?
Maître Yawovi Jean Dégli : Objectivement, je ne pense pas que, le fait que l’opposition dise qu’elle veut une limitation de mandat avec effet immédiat, peut empêcher le chef de l’Etat de faire mettre cette réforme là en jeu. Parce que, par principe, la loi n’est pas rétroactive. C’est exceptionnellement qu’elle est rétroactive. Et dans le cadre dans lequel nous sommes, si le Chef de l’Etat a la majorité à l’assemblée et qu’il aura besoin juste de quelques députés de l’opposition pour faire ces modifications constitutionnelles là, s’il n’a pas la volonté de se l’appliquer immédiatement, la loi ne pourra pas décider tout simplement elle-même de s’appliquer rétroactivement.
C’est-à-dire, pour que cette limitation soit rétroactive, il faut que les parties soient d’accord et il faut qu’elles soient inscrites dans le texte, ce que certains appellent effet immédiat. Je ne parle pas pour ma part souvent d’effet immédiat. Je fais attention, parce que, "effet immédiat" peut être interprété comme quelque chose qui commence aujourd’hui, donc qui ne vaut que pour l’avenir et peut s’interpréter comme quelque chose qui tient compte du passé aussi. Donc, je préfère parler de la rétroactivité. Cette rétroactivité n’existera pas si les parties ne sont pas d’accord. Donc, si le président de la république est prêt pour la limitation de mandat, il peut proposer un texte aujourd’hui, qui est telle que, cette réforme ou bien cette limitation de mandat s’applique pour l’avenir. Maintenant, comme je dis, si les parties s’entendent sur quelque chose, ils peuvent mettre que ça s’applique à partir de tel moment ou tel autre. En ce moment, la limitation de mandat pourra tenir compte du passé et donc, être rétroactive.
Donc, je ne pense pas du tout que le président de la république a, en réalité une crainte qui fait qu’il ne prend pas l’initiative, alors que, à plusieurs fois, on nous a dit que, après les élections législatives, les réformes seront faites immédiatement, c’est ce qu’on nous répète depuis. Je ne vois pas là où se trouve la crainte du Chef de l’Etat, alors que la première responsabilité lui incombe, parce que, constitutionnellement, en dehors du peuple, et éventuellement, d’un dixième de députés, c’est lui qui a l’initiative des réformes constitutionnelles.
pa-lunion.com : Mais, il peut avoir une crainte. Une crainte qui a pour interface, l’envie de rester au pouvoir.
Maître Yawovi Jean Dégli : Si c’est juste rester au pouvoir, pour rester au pouvoir, nous revenons toujours le problème auquel je pense souvent et que je dénonce, c’est-à-dire, tout est fait en tenant compte uniquement de l’intérêt personnel. Où se trouve l’intérêt du pays dans ce genre de situation ?
pa-lunion.com : En envoyant la réponse à la requête de Monsieur Jean-Pierre Fabre, l’opposition à débattre des sujets de réformes à l’assemblée, est-ce que ce n’est pas une porte fermée au dialogue, et donc un refus de la part du Chef de l’Etat de faire les réformes ?
Maître Yawovi Jean Dégli : Je ne pense pas. Je pense qu’il faut interpréter les choses de plusieurs manières. D’abord, il faut partir du fait que notre opposition avait refusé le dialogue pendant longtemps. Et au moment où il fallait faire ce dialogue là sur la constitution, l’opposition avait refusé. Je fais parti de ceux qui ont proposé qu’il faut qu’on aille au dialogue, et je peux rappeler, vous-même vous vous rappellerez aussi, le nombre d’injures dont j’ai été l’objet, parce que j’ai proposé qu’on aille au dialogue. Donc, le pouvoir en ce moment là a envoyé le sujet au niveau du CPDC. Et le CPDC en avait discuté. Si le chef de l’Etat voulait dire que le CPDC avait déjà discuté de ces sujets et qu’il faut aller les faire mettre en application à l’assemblée, on peut comprendre. Je dirai en ce moment là qu’il a absolument raison. Mais, si c’est pour dire, non, nous ne pouvons plus avoir de dialogue, tous les dialogues doivent se faire à l’assemblée, je dis que c’est dommage. Parce que un, l’assemblée n’est pas un lieu de dialogue, l’assemblée est un lieu de discussion et d’adoption de textes. De deux, le chef de l’Etat et son gouvernement ont toujours dit que le dialogue doit être permanent au Togo. Et si le dialogue doit être permanent, il doit se faire dans un cadre. Et le cadre n’est pas l’assemblée. Nécessairement, il faut que quelque part il y ait dialogue. Maintenant, ce qu’on peut poser comme question c’est, sur quoi il y aura le dialogue ?
pa-lunion.com : Mais, ils étaient déjà en discussion avant les législatives, on a cru comprendre qu’ils devraient poursuivre sur un certains nombre de points.
Maître Yawovi Jean Dégli : Oui, ils ont été finalement. Ils avaient été contraints. Maintenant, est-ce que à partir de là, cette opposition peut obliger le pouvoir à revenir sur tous les sujets que le pouvoir considère déjà discutés ?
Et là, je crois qu’il faut une manière de pouvoir approcher le sujet et de la volonté politique des deux côtés pour qu’on puisse revenir sur des sujets considérés comme déjà discutés, ouvrir éventuellement cette boîte à pandore et puis s’attendre à ce que, peut être, ces discussions aboutissent ou n’aboutissent jamais. Dans tous les cas, il est indispensable que, sur les sujets où le pouvoir a déjà eu une position, et où on a été d’accord sur quelque chose au niveau du CPDC rénové, que ce pouvoir soit en mesure de faire inscrire ces éléments, dont le plus important est pour moi aujourd’hui, la limitation de mandat dans la constitution.