Dans cette tribune libre, le conseiller municipal Ricardo Agouzou revient sur la nomination du Maire Joseph Koamy Gomado, cadre du parti ANC (opposition), dans le nouveau gouvernement de Faure Gnassingbé. Pour cet acteur de la société civile, ce retournement de veste de Gomado constitue un véritable cas d’école. Par ailleurs, il appelle le nouveau ministre de l’Aménagement et du Développement des territoires à présenter ses excuses à son parti pour le tort causé et à démissionner tant qu’il a encore la possibilité d’être entendu par les dirigeants de l’ANC. Lisez plutôt!
Retournement de veste du Maire de Golfe 1, M. Gomado Koamy, cadre du parti ANC : Un cas d’école
Chaque situation, heureuse ou malheureuse, nous enseigne des leçons de vie. Mais les êtres humains, malgré leur capacité à saisir les enseignements de la nature, restent parfois incrédules sans tirer de leçons. C’est ce qui se passe dans la scène politique togolaise depuis plus de 30 ans.
Elle est encore secouée depuis quelques jours après la formation du nouveau gouvernement de “transition” du tout-puissant “Fort” Gnassingbé. L’élément nouveau qui fait couler beaucoup d’encre est la présence du cadre de l’ANC, M. Gomado Kouamy, Maire de Golfe 1, dans le club des “putschistes constitutionnels”.
Si la gesticulation dans la presse et les réseaux sociaux prend des allures inquiétantes et traverse nos frontières, il faut se féliciter de l’opportunité que cette situation nous offre pour un repositionnement des acteurs politiques. La tempête actuelle dans l’opposition n’est pas le fruit du hasard ; c’est une accumulation d’événements qui annonce une nouvelle vision dans l’arène politique.
Gomado Kouamy de l’ANC, parti politique traditionnel classé parmi les radicaux contre le système de père en fils, a rejoint son bourreau. Ce qui peut être qualifié dans la tradition de “lécher là où l’on a craché”. Mais en réalité, ce retournement de veste cache plusieurs réalités :
Primo, l’on peut analyser politiquement le comportement de M. Gomado comme une haute trahison. Parce que ce dernier n’a pas l’onction du parti dans le nouveau gouvernement. En se basant sur la déclaration de son parti, qui dit être surpris d’entendre son nom dans le nouveau gouvernement, l’on pourrait aller plus loin et dire que c’est un coup de poignard dans le dos de toute l’opposition, puisque le contexte politique actuel au Togo est caractérisé par une division depuis le putsch constitutionnel qui consacre un règne à vie au prince. Dans ce contexte, le parti de Gomado (l’ANC) s’est fait remarquer par sa décision de ne pas cautionner le putsch. Il est célébré pour son refus de siéger à l’Assemblée monocolore formée après les simulacres d’élections du 29 avril 2024, entachées d’irrégularités et de fraudes massives, notamment par le bourrage d’urnes.
Cette position de l’ANC n’a pas laissé indifférents les membres du parti “Allons-y”. Ces derniers, tremblotant sur les médias, ont prouvé qu’ils étaient pris au piège par leur gourmandise et n’étaient pas à l’aise avec l’équation de l’ANC. Les tentatives de dénigrement se sont révélées sur les médias et une piste de reprise du scrutin dans la circonscription de l’ANC a été envisagée par des constitutionnalistes chevronnés et récompensés.
C’est dans ce climat de bras de fer et de politique de résistance de l’ANC que son cadre a choisi de marquer un but contre son camp. Alors que son parti rejetait la 5ème République née depuis le changement unilatéral de la Constitution de 1992, Gomado donne son accord pour le train devant conduire de plein pied ses militants et le peuple togolais dans la 5ème “brouette”.
La déduction de facto est la trahison. L’on peut comprendre la douleur des premiers responsables et militants de ce parti, comme l’affirme Vladimir Poutine : “Il vaut mieux être pendu pour sa loyauté que d’être récompensé pour sa trahison.”
Secundo, la nomination de Gomado semble faire l’unanimité quand on scrute bien la scène politique entre les militants du pouvoir et certains esprits reconnus pour leur critique face au régime “éternel”. Cette curieuse contradiction est aussi remarquée dans l’aventure de Pascal Bodjona, ce dernier qui, après avoir présenté des excuses au peuple togolais pour avoir contribué à asseoir un système qui a fait du tort au peuple, s’est replongé 11 ans après, de plein pied et avec énergie, dans le même système. Aucune voix n’avait condamné cette “serpenterie” ou, du moins, les plus courageux n’ont fait que murmurer. Pour cause, les Togolais à l’unanimité reconnaissent la marque, le talent et la compétence hors pair de l’homme, appelé affectueusement “grand format”. C’est dire que si c’est sur la base de la compétence qu’un Togolais rejoint le pouvoir, bravo !
C’est le cas de Gomado, reconnu pour sa compétence dans la commune de Golf1, que d’aucuns qualifient de “meilleur maire” du Togo. Sa détermination et son charisme à booster sa commune vers l’excellence, avec des partenaires et des initiatives enviés par le numéro 1 des Togolais, font de lui un acteur incontournable dans la décentralisation. Pour certains Togolais, c’est pour cette raison que la sirène des eaux ne l’a pas raté dans sa tentation de goûter au fruit défendu. “Gomado n’a pas démérité, d’ailleurs son poste de ministre de l’Aménagement convient très bien avec son profil”, affirment certains internautes et même certains militants de son parti.
Ce raisonnement, s’il est tenu par les esprits radicaux du passé, prouve que le Togo commence à se libérer de la politique d’inimitié entretenue par les deux blocs (le pouvoir et l’opposition). Voir un opposant dans le gouvernement du système en place était un crime qui méritait la lapidation. Voir un opposant dans une simple relation avec un homme du pouvoir, quels que soient les liens de parenté, était une trahison, soit pour les pontes du pouvoir, soit pour les éternels opposants, parfois frustrés par la longue lutte infertile.
Les mêmes fils du Togo se regardent en chiens de faïence à cause du simple jeu politique. L’acte de Gomado briserait le mythe d’animosité. C’est désormais une leçon à retenir : si un compatriote a des compétences, il est libre de les mettre au service de la nation. Les opposants doivent-ils cesser de qualifier ceux qui vont au gouvernement de faire la politique du ventre ? Les membres du parti présidentiel doivent-ils cesser de traiter les opposants qui entrent au gouvernement de buveurs de lait qu’ils nourrissent ?
En tout cas, la situation actuelle doit mettre un terme à l’ignorance entretenue depuis plus de 30 ans.
Tertio : Depuis la formation du gouvernement, les esprits censés condamner la trahison de M. Gomado, si elle l’est réellement, ont plutôt concentré leur énergie sur le parti “victime de trahison”. Comment comprendre ce revirement des Togolais qui soutenaient bec et ongles que tout rapprochement avec le pouvoir est un crime impardonnable ? On a l’impression que la lutte est ailleurs. Visiblement, le parti même fait mal à certains compatriotes qui profitent des situations pour décapiter le parti. Même des journalistes de combat ont annoncé depuis 2020 mener une lutte pour détruire ce parti. Le leader de l’ANC, qui était adoubé en 2010 après la décision de Gilchrist Olympio, leader de l’UFC, de s’engager dans la politique de partage de pouvoir avec Faure, semble dégoûter certains partisans de l’opposition. Dans ses propres rangs, le combat se fait sentir. Avec les autres leaders politiques, même le simple bonjour ne passe pas.
On se souvient de l’hommage de Gilbert Bawara rendu à la mémoire du premier vice-président de l’ANC, Patrick Lawson, qui a créé un tollé de condamnations et des prédictions de la fin de l’ANC. À qui profite le déclin de l’ANC ? Le parti de Jean-Pierre Fabre est accusé de quelque chose, certainement. D’autres n’hésitent pas à affirmer que c’est la tête du leader même qui ne plaît pas. Et pourquoi ? Personne ne sait.
L’ANC aurait un côté qui ne plairait pas du tout à l’opinion. Est-ce sa position radicale ? Si oui, le contexte actuel et la réaction controversée des Togolais après la sanction contre Gomado doivent interpeller les responsables de ce parti sur sa ligne. Elle doit comprendre les vraies ambitions des Togolais, pour ne pas tout rejeter en termes d’opportunités politiques. Si Gomado a rejoint le camp adverse, c’est peut-être qu’il voit ses compétences s’envoler dans le néant. Mais que pourra-t-il apporter dans un système aussi verrouillé ? La question reste posée. Il revient au régime de cesser d’obstruer les talents pour ne pas donner raison à ses adversaires qui n’osent pas s’aventurer à mettre leurs compétences au service de la nation.
Quarto : La situation actuelle s’envenime avec l’engagement des internautes à faire disparaître les partis politiques de l’opposition traditionnelle. Pour certains Togolais, ces partis ont échoué et les leaders doivent céder leur place à la nouvelle génération. Cet appel, qui résonne dans toutes les formations politiques, serait le fruit de la frustration des militants face aux mauvais choix opérés par leurs dirigeants. Aussi, le désespoir de devenir des opposants carriéristes démange les esprits face à l’égoïsme des premiers responsables. Ces choix doivent être analysés et corrigés pour envisager une nouvelle dynamique. Dans les conditions actuelles, la disparition des leaders n’est pas la panacée. Il faut repenser la lutte, comme le dit un adage : “pour briller, on n’a pas besoin d’éteindre les autres”.
Les responsables de l’ANC ont l’obligation, dans ce cafouillage, d’interdire la défense de leurs militants sur les réseaux sociaux pour faire une introspection et se réévaluer afin de prendre de nouveaux engagements.
Les leçons à tirer de cette situation sont très riches. Mais les acteurs politiques doivent avoir le sens du sacrifice et de l’honnêteté. Une ligne politique est à défendre et, quand on ne la supporte plus, il faut avoir le courage de se retirer pour une nouvelle aventure. M. Gomado aurait dû démissionner de son parti avant de s’engager avec ce gouvernement ; ainsi, le débat ne se poserait pas. Il serait mieux compris dans un autre contexte. A-t-il choisi de porter un coup dur à la politique de radicalité de son parti ? Personne ne peut répondre. Connaissant les qualités de l’homme, une telle option ne serait pas envisageable. Tout homme est faillible. Seuls les esprits forts reconnaissent leur erreur. Quoi qu’on dise, M. Gomado a le devoir de présenter ses excuses à sa formation politique pour le tort causé et de signer sa démission pendant qu’il a encore la chance d’être écouté par les premiers responsables du parti. La loi du karma existe, il ne faut pas nier ses origines. L’ANC aura besoin de Gomado, et Gomado aura besoin de l’ANC. Il a le mérite d’avoir alimenté le débat sur le repositionnement des acteurs !