La neurofibromatose, « je ne l’ai pas achetée au marché », s’exclame dame Aimée, dépassée et perturbée par le regard de la société. Comme elle, environ 1 individu sur 4.000 dans le monde souffre de la neurofibromatose, une maladie génétique relativement méconnue des populations.
Les malades de cette pathologie, dont le traitement curatif n’est pas encore disponible, subissent assez de discrimination au point qu’ils sont qualifiés de sorciers dans certaines sociétés. « Si je vais à des lieux publics, les gens me regardent de façon étrange et certains enfants ont peur de m’approcher. Avant, j’avais honte de la maladie, je ne sortais presque pas, je portais des habits pour cacher le corps.
Maintenant, j’ai accepté la maladie et je vis avec », cet extrait de Mme Aimée témoigne du degré de stigmatisation dont sont victimes les personnes souffrantes de maladies rares dont la neurofibromatose dans la société.
Perception de la population des maladies rares
Généralement, la société qualifie les patients des maladies rares (mucoviscidose, hémochromatose, myopathie de Duchenne, amyotrophie spinale), de sorciers par ignorance ou méconnaissance, déplore dame Egnonam. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’1 personne sur 2000 de la population générale. 80% des maladies rares sont d’origine génétique. Elles concernent dans la moitié des cas des enfants de moins de 5 ans et sont responsables de 10% des décès entre un an et 5 ans.
Mlle Diane Anade, présidente de ASN
« Les maladies rares dont la neurofibromatose sont des maladies connues, ce n’est pas de la sorcellerie. La neurofibromatose est connue de mieux en mieux aujourd’hui. Elle est liée aux gènes et peut se transmettre d’un parent à son enfant », a affirmé Mlle Diane Anade, présidente de l’Association sourire avec la neurofibromatose (ASN). Au Togo, les données épidémiologiques ne sont pas disponibles. « Des cas de neurofibromatose aux caractéristiques variables viennent de temps en temps en consultation », confirme le dermatologue, Dr Gnassingbé Waguéna.
La neurofibromatose, une maladie génétique
Le traitement médical, un défi à relever (Dr Gnassingbé)
La Neurofibromatose (NF) est une affection neurologique d’origine génétique, qui touche les deux sexes, sans distinction de races ou de groupes ethniques. D’après les spécialistes, elle se manifeste sous plusieurs formes. La NF 1, encore appelée maladie de Von Recklinghausen, est la forme la plus fréquente qui touche environ 1 individu sur 4.000 dans le monde. Le type 1 se manifeste par des taches café au lait (boutons appelés neurofibromes) et des tumeurs (neurofibromes plexiformes) qui peuvent apparaître sur le corps, a expliqué Dr Gnassingbé. Il existe d’autres manifestations, entre autres, des nodules de Lisch, des gliomes optiques, des dysplasies squelettiques, des troubles de l’apprentissage, etc.
La NF2, appelée neurofibromatose “centrale” ou neurofibromatose bilatérale de l’acoustique, est beaucoup moins courante, avec une fréquence d’environ 1 sur 100.000. Elle est caractérisée par la survenue de neurinomes bilatéraux de l’acoustique, de méningiomes, de neurofibromes et de cataracte sous-capsulaire postérieure bilatérale.
Pour Dr Jeru Achyl Hounogbé, professeur des universités, « la neurofibromatose est une maladie héréditaire, le diagnostic se fait de la naissance jusqu’à 8 ans lorsque les signes cliniques sont présents. Ce n’est pas une malédiction, ni un sort qu’on jette aux gens, c’est une maladie comme tant d’autres, à la différence que pour le moment nous n’avons pas encore un plateau technique qui permet la prise en charge totale ou le traitement direct de cette maladie comme le paludisme ».
La maladie se manifeste dès l’enfance par la présence des taches. « Si les parents constatent à la naissance que les enfants présentent des taches, il faut s’orienter tout de suite vers un spécialiste de la peau, un dermatologue. On conseille de vite consulter quand on constate une différence de couleur sur la peau dès l’enfance, même chez le nouveau-né », a relevé Dr Gnassingbé.
Le traitement médical et la prise en charge, des défis
Il n’existe pas actuellement de traitement médical, un défi chirurgical à relever. Pour Dr Gnassingbé, il est souvent difficile d’enlever totalement même les petits neurofibromes plexiformes. Cette maladie dont le traitement est coûteux nécessite un collège de spécialistes dans des disciplines comme la neurologie, la génétique, la dermatologie, la chirurgie, l’orthopédie et l’oncologie.
Pour Mlle Anade, « Le traitement n’est pas disponible mais il y a un suivi médical si les parents arrivent à détecter très tôt les signes et se référer à un dermatologue ».
Des taches café au lait sur une patiente
« La prise en charge existe et cela dépend des signes que présente le patient. Ce qu’on propose, c’est du confort d’autant plus qu’on ne peut pas guérir la maladie. Le plus important dans la prise en charge est le suivi et on s’adapte à chaque fois au besoin du moment du patient », a fait savoir le dermatologue qui relève que la corporation est confrontée à un problème de ressources humaines pour une prise en charge adéquate des patients au plan national.
« Les dermatologues ne sont pas nombreux certes, avec le temps, on espère que notre nombre va s’augmenter et le suivi va se faire systématiquement pour accompagner les patients. Pour l’instant, les dermatologues offrent des services limités qui se résument, entre autres, à l’enlèvement chirurgical des lésions les plus grosses de la peau pour donner le confort aux patients », a confié Dr Gnassingbé.
S’il est avéré que le diagnostic de la pathologie est réalisé par un personnel de la santé, il faut reconnaître que la prise en charge n’est pas seulement thérapeutique mais aussi sociale, environnementale et psychosociale. « C’est un ensemble de facteurs qui permettra aux personnes atteintes de cette maladie et vivant dans le silence, d’avoir un tout afin de garder le sourire, d’affronter la maladie avec beaucoup de sérénité, de courage et d’espoir », a estimé le Dr Hounogbé.
Chercher à connaître la maladie au lieu de stigmatiser
« J’ai eu cette maladie à l’âge de 9 ans. Mon père était dermatologue, donc j’allais à la consultation régulièrement. On me donnait des pommades, ça n’allait pas. Au début, c’était un seul bouton, avec le temps, les boutons augmentaient », une manifestation de la maladie chez Mme Aimée.
« L’enjeu actuel est de sensibiliser pour que les gens arrêtent de stigmatiser les personnes souffrantes de cette maladie et prendre conscience que c’est une maladie rare qui n’est pas contagieuse. On peut vivre comme toute personne dans la société », a avoué la présidente de ASN. Avant de qualifier cette maladie de diabolique ou de sorcellerie, martèle-t-elle, il faut chercher à connaître et comprendre la maladie.
Pour joindre l’acte à la parole, Mlle Anade a, à travers son association, organisé le 5 octobre 2024 à Lomé, une journée porte-ouverte sur la neurofibromatose pour faire connaître la maladie et créer un cadre de discussion.
« Ceux qui font cette maladie, qu’ils sortent, qu’ils soient libres, ce n’est pas un péché. Je ne suis pas allée au marché pour l’acheter, je suis libre, si quelqu’un a cette maladie, qu’il soit en paix et prie Dieu, peut-être un jour, il aura la guérison », un cri de cœur de Mme Aimée.
Les personnes souffrantes de ces maladies rares sont assez marginalisées et d’après Dr Hounogbé, « il revient à la société de les accompagner, de leur rappeler à quel point elles sont importantes et leur donner la force et le courage d’affronter cette maladie dont la prise en charge n’est pas seulement thérapeutique mais aussi tout le reste doit être fait au niveau du cercle familial, professionnel et étatique ».
Un regard qui tue
La mère de Diane invite la population à changer de regard envers les malades
« Dans l’enfance, il m’est arrivé, comme la plupart des gens, de rejeter, pire de traiter un monsieur malade, de diable dans notre quartier. Malheureusement celui-ci souffrait d’une pathologie, il suffisait juste de le comprendre, de l’accepter et qu’il soit admis dans la société comme toute autre personne. Du coup, le monsieur était isolé, il n’arrivait pas à s’approcher des autres car les gens le fuyaient. Après, on a appris qu’il n’est plus de ce monde.
Avant, on croyait ce que les gens disaient. L’ignorance tue ». Dans ce récit, Mme Anade Soly Koutchoucalo, mère de Diane fait son mea-culpa en qualifiant « ce regard des autres comme un regard qui tue ».
Elle invite la population « à revoir sa façon de regarder, de changer de regard, un regard avec le sourire, un regard avec passion, d’acceptation et nous verrons que le monde va changer, le monde va merveilleusement changer. Aimons-nous, acceptons-nous, cherchons à mieux comprendre les gens, soutenons-les au lieu de les discréditer ».