La bêtise humaine est immense et pèse lourd. Si immense qu’elle s’impose à notre vue partout, à notre vue et à tous nos sens : odorat, elle pue, c’est sûr ; ouie, avec ses bruits tonitruants elle nous étourdit ; et toucher, contagieux, voilà pourquoi les gens de Dieu ou de bien ne doivent pas toucher les cadavres, est-il écrit…La Bêtise humaine nous tente comme le diable, nous provoque, nous sollicite quand nous donnons l’impression de ne pas nous intéresser assez à son existence. Elle veut être présente dans nos rues, nos places, nos salles de conférences, nos médias, surtout nos médias qui amplifient ses yeux, ses mimiques, ses gestes…menaçants ou trompeurs. Elle vous entraîne là où elle peut vous noyer, sous un flot d’eau ou de billets de banque, dans votre propre sang.
C’est une vieille femme de mon quartier qui m’a appris à me méfier d’elle. Cette vieillarde, considérée comme folle, qui m’avait impressionné au point que je l’aie mise dans une de mes pièces des années 80, Akakpovi reviendra, répétait chaque jour : « Agbeto xõõvi ! Xõvi ! Xõvi ! tete le mō modji mayi !», ce que l’on peut traduire par : « Bêtise humaine, ôte-toi de mon chemin ! ».
Or, le «xõvinisme » (une fois n’est pas coutume : j’ose fabriquer cet eweisme, ou ce néologisme exprès à l’adresse de nos compatriotes) règne dans notre société, tout haut et même « en haut de en haut », et peut s’engouffrer, s’infiltrer jusqu’à « en bas de en bas » comme on dirait dans le français de Moussa, français des rues d’Abidjan. Ou de Lomé. La Bêtise humaine ne veut pas s’ôter de notre chemin. Elle ne le fera pas d’elle-même, justement, parce qu’elle est…la Bêtise humaine. Au contraire, elle se nourrit, s’engraisse, se renforce, s’étale, s’accroche, s’installe là où elle n’était pas encore, occupe de l’espace, veut remplir le temps. Combien de temps ? Quarante ans ? Cinquante ans ? Cent ans ?
C’est que la Bêtise humaine croit que tout lui appartient, même le temps, puisqu’elle a la prétention d’être éternelle. Ou presque, enfin. Parce que, comme un roi, elle a toute une armée de partisans, de complices, de courtisans, tous domestiques qui le servent, lui servent de relais, de prolongements. En réalité, elle ne devrait mériter que notre mépris, mais le problème est que, comme elle est puissante, par son pouvoir de destruction, par ses capacités tentaculaires d’intrigue, elle est étouffante comme ce sombre génie oppresseur et affreux nommé ziãme- ziãme qui vous tombe dessus pendant votre sommeil au milieu de la nuit, elle est dangereuse.
Avez-vous déjà été maltraités, griffés, assommés dans votre sommeil par le cauchemar de ziãme-ziãme ? Certains disent que la Bêtise humaine est arrogante, mais en fait, son arrogance n’est-elle pas simplement celle de ces êtres qui, dans leur for intérieur, savent qu’ils sont vulnérables et qu’il suffit d’un peu de vigilance aux hommes, aux êtres raisonnables, pour que ceux-ci ne soient pas les victimes de leur puissance maléfique ?... suite de l'article sur Autre presse