S’il existe peu d’études sur les transferts d’argent des migrants vers leurs pays d’origine, l’impact de ces fonds (qui dépassent l’aide publique au développement et l’investissement direct étranger) est connu. C’est sans doute l’intérêt de cette étude présentée, hier, à Tunis, par la Banque africaine de développement (Bad) et intitulé « Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement ».
Selon une étude commanditée par la Banque africaine de développement (Bad) et réalisée par l’Ong « Epargne sans frontières », les transferts d’argent des migrants africains vers leurs pays d’origine constituent une véritable source de financement des économies des pays bénéficiaires. L’étude montre que ces transferts demeurent stables et tendent même à s’accroître, malgré une conjoncture économique internationale encore peu favorable. Et les chiffres sont là pour le confirmer. En effet, 62,4 milliards de dollars ont été envoyés en Afrique en 2012, soit six fois plus qu’en 2000, - au niveau mondial, les estimations tablent sur 500 milliards de dollars de transferts - sans compter les envois en nature. Une tendance qui devrait s’accroître, à contre-courant de l’évolution d’autres paramètres économiques comme la croissance du Pib ou de l’évolution de l’aide publique au développement (Apd) ou de l’investissement direct étranger (Ide). Ce qui fait dire à Donald Kaberuka, président de la Bad, hier à l’ouverture d’un atelier panafricain sur la question, à Tunis, que « les envois des fonds des migrants contribuent beaucoup au développement de nos pays ». Il cite l’exemple de certains pays sahéliens où ces transferts représentent le tiers du Pib. L’étude met le doigt sur le paradoxe entre hausse du volume des transferts d’argent des migrants africains et la cherté des commissions lors des transferts (lire ailleurs).
Pour les auteurs de l’étude, en orientant une partie de ces transferts vers l’investissement dans des secteurs jugés prioritaires, via une offre en produits et services financiers plus adaptés, les économies des pays concernés en tireraient le plus grand profit, notamment en termes de croissance inclusive. « Le volume des envois d’argent, leur stabilité et leur résilience en font une source capitale du financement d’une croissance inclusive des pays africains destinataires, et la base potentielle d’un partenariat et d’un développement solidaire entre pays d’origine et pays de résidence », lit-on dans l’étude. Réduire les coûts des envois d’argent permettrait de faire en sorte que ces transferts contribuent davantage à l’amélioration des conditions de vie des populations récipiendaires et au développement des pays destinataires, indique le document.
Selon Naceur Bourenane, socio-économiste et expert financier d’ »Epargne sans frontières », en agissant sur les flux (des transferts), on peut agir sur le développement des pays concernés. Mais l’absence de statistiques fiables sur les transferts de fonds dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne constitue un frein majeur. De l’avis de Donald Terry, professeur associé à l’université de Boston (Etats-Unis), qui travaille sur ces questions depuis de longues années, c’est l’absence de compétition qui explique le coût exorbitant des frais de transferts en Afrique subsaharienne.
Le paradoxe du coût élevé des frais de transferts
Pendant que le volume d’argent envoyé en Afrique par les migrants originaires du continent tend à la hausse, les frais de transfert de ces fonds demeurent élevés. Quatre milliards de dollars seraient consacrés à ces frais. L’étude de la Bad préconise le recours aux Tic (comme le mobile banking) pour faire baisser les coûts.
L’étude de la Bad intitulée « Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement », qui cible cinq pays du Maghreb et de la zone franc (Cameroun, Comores, Maroc, Sénégal, Tunisie), souligne le paradoxe auquel sont confrontés les transferts d’argent des migrants africains. Alors qu’ils continuent de maintenir de larges couches de population hors de la précarité dans les pays récipiendaires, ces transferts s’avèrent trop chers à effectuer, grevés par de lourdes commissions, parmi les plus élevées au monde (de l’ordre de 12 % à 15 % en moyenne). L’analyse des marchés, pris dans leur diversité, tend à démontrer que les coûts des envois d’argent demeurent élevés, outre le fait que l’offre de services financiers ne répond que partiellement aux attentes tant des envoyeurs que des récipiendaires.
Quasi-hégémonie des majors
Les migrants africains s’acquitteraient ainsi de quelque quatre milliards de dollars par an de frais de transferts. Réduire ceux-ci de moitié reviendrait à investir deux milliards de dollars supplémentaires dans les pays d’origine. Pour réduire les coûts des envois, le rapport recommande la promotion d’innovations financières, assorties d’une adaptation des cadres réglementaires dans l’esprit des recommandations du G20 (de Nice) et du G8 (de l’Aquila). Car, « bien connaître les marchés des transferts et le contexte local est un pré-requis pour opérer des changements vertueux, qui aillent dans le sens d’une baisse des coûts des envois d’argent et d’une meilleure prise en charge des attentes des envoyeurs et des récipiendaires ».
Sur certains marchés comme le Sénégal et le Cameroun, des sociétés de transfert d’argent se sont développées ces dernières années et tendent à tirer les coûts d’envois vers le bas. Même si « elles n’ont pas encore l’envergure pour entamer la quasi-hégémonie des majors qui continuent de bénéficier d’une position privilégiée ». L’étude montre que la diversification des services et produits financiers et le recours plus intensif aux nouvelles technologies sont à même de contribuer à faire baisser les coûts d’envoi d’argent et à renforcer l’inclusion financière. Ces produits et services aident à accroître la bi-bancarisation des migrants, à renforcer les systèmes bancaires des pays d’origine, à réduire l’usage d’espèces et de l’informel.
Après avoir procédé à l’analyse des marchés formels, de l’inventaire des dispositifs réglementaires et juridiques, de l’évaluation des produits et services bancaires et non bancaires offerts, des propositions de produits et services financiers innovants, l’étude en vient à la conclusion que « pour l’heure, la structuration et les caractéristiques des marchés d’envois d’argent militent en faveur d’une stabilisation des coûts des transferts à un niveau relativement élevé ». Pour inverser cette tendance, l’étude préconise une coopération tant internationale que régionale et un dialogue suivi avec les opérateurs de marchés de transferts.
Pour Saïd Bourjij, directeur d’Epargne sans frontières, qui plaide pour une nécessaire ouverture à la concurrence, il est important de lever les clauses d’exclusivité (ce qui est déjà le cas au Sénégal), de proposer de nouveaux produits et de mettre en place un partenariat pluri-acteurs.