Togo - L’échéance de la présidentielle de 2015 cruciale pour la survie de la démocratie au Togo avance à grand pas. Comme toujours, la période de la campagne va offrir l’occasion aux différents candidats de vanter leurs projets de société, faire des promesses et annoncer des chantiers dans divers domaines, bref annoncer un Togo meilleur et demander aux électeurs de porter leur choix sur eux. 2015 est une aubaine d’alternance au pouvoir après 50 ans de règne des Gnassingbé, et il y a une problématique qui plombe cet idéal au Togo et que le porte-flambeau unique ou les candidats de l’opposition devra/devront prendre en compte : la question de l’impunité.
L’impunité, une réalité au Togo
Nous construirons des routes, des écoles et des hôpitaux ; l’économie se portera mieux ; les ressources nationales seront mieux gérées ; la pauvreté sera boutée dehors et les Togolais mangeront à leur faim ; les droits de l’Homme seront mieux respectés…Voilà de ces rengaines que les électeurs entendent souvent des présidentiables qui se présentent sous la bannière de l’opposition. Tout comme ces maux, il y a une autre problématique sérieuse qui devra être prise en compte et combattue : l’impunité.
C’est forcément sur le terrain des droits de l’Homme qu’elle est notoire. Les droits des citoyens sont brimés par l’Etat, les leaders et militants de l’opposition réprimés dans le sang lors des manifestations, les corps habillés ont le droit de vie et de mort sur les civils. Le phénomène est remarquable sur le terrain économique aussi où les ressources nationales sont accaparées par une minorité – Faure Gnassingbé même l’a reconnu -, laissant la majorité du peuple dans la misère. Ces crimes politiques et économiques correspondent à 50 ans de règne d’une seule famille, les Gnassingbé. Sur le plan politique, nombre des crimes de l’époque du parti unique ont été révélés lors de la Conférence nationale souveraine en 1991, mais d’autres sont venus s’y ajouter. La Commission Vérité, Justice et Réconciliation mis en place en 2009 par Faure Gnassingbé a fait un travail complet dans ce sens et a répertorié les cas de violences. Elle a relevé les exactions commises sous l’ère de Sylvanus Olympio ; mais elles ne sont rien, comparées à celles de la longue période de règne des Gnassingbé. Ces crimes vont de l’assassinat du Père de l’Indépendance aux tueries de 2005 en passant par les assassinats politiques de militants et de leaders de l’opposition, d’élèves (Anselme Sinandaré et Douti Sinanlengue). La plupart de ces actes ont été posés par le pouvoir, les corps habillés ou simplement ses milices ou militants. Mais tout ce beau monde n’est nullement inquiété. Autant de faits qui plombent la réconciliation et freinent le développement du pays.
Les recommandations de la CVJR
Mgr Nicodème Barrigah et les siens avaient pour mission d’étudier la période de 1958 jusqu’à 2005 et faire la lumière sur les violences à caractère politique. Une mission qu’ils ont accomplie, avec toutes les difficultés qui ont jalonné le parcours de presque trois ans de travaux. Et au terme du processus, ils ont fait constater que l’impunité accordée aux auteurs des crimes encourage la récidive et émis des pistes de solutions.
La Cvjr a fait remarquer dans son rapport remis le 3 avril 2012 à Faure Gnassingbé ( hier cela faisait deux ans jour pour jour), que la lutte contre l’impunité « relève d’une volonté politique ferme de sanctionner les cas de violation des droits humains, de lutter contre la corruption sous toutes ses formes et d’assainir les institutions » et recommandé de lutter contre les causes des violences. « Elle (la lutte, Ndlr) doit viser à éradiquer les causes des violences au lieu de combattre seulement les effets de ces violences. Ces causes se trouvent dans le refus inconditionnel d’une réconciliation sincère, dans le désir tenace d’une vengeance à n’importe quel prix, ainsi que dans une certaine conception de l’Etat liée à un déficit de référence en matière de morale et de valeurs. Une réconciliation véritable et pérenne ne peut se faire sans une nouvelle conception de l’Etat, de sa mission et de ses obligations prenant appui sur un corps de valeurs telles que l’équité, l’égalité et la justice sociale », lit-on dans le rapport. Et pour prévenir de nouveaux conflits, Mgr Barrigah et les siens privilégient « la sensibilisation et l’éducation aux valeurs d’union, de paix, de fraternité, de solidarité, ainsi que de tolérance mutuelle, de respect des autres, de respect de soi-même ».
Pour lutter contre l’impunité au Togo, la Cvjr a formulé trois (03) recommandations principales. « Conformément à l’engagement du chef de l’Etat dans son discours du 27 juillet 2007, la commission recommande la prise par l’Etat de mesures concrètes et efficaces de lutte contre l’impunité, sans aucune distinction, de sorte que certains corps ou certaines personnes ne puissent être regardés comme bénéficiant d’une « quasi-impunité » face à la loi. L’Etat a donc l’obligation de rechercher, poursuivre et sanctionner toute personne qui serait impliquée dans quelque comportement infractionnel » ; « La lutte contre l’impunité doit intégrer non seulement les cas des violations graves des droits de l’homme, mais aussi les détournements de deniers publics et les cas d’utilisation des fonds publics à des fins personnelles » ; « La formation de groupes de défense ou de milices privées dans le cadre des activités politique, doit être strictement et rigoureusement réprimée par la loi » (recommandations 17, 18 et 19).
Indifférence du pouvoir, impunité et promotion pour les criminels
Le commun des Togolais s’attendait à voir Faure Gnassingbé engager aussitôt de grandes actions pour mettre en application les recommandations formulées par la Cvjr, vu qu’elle a été mandatée par ses soins. Mais depuis le 3 avril 2012 que le rapport lui a été officiellement remis, il dort dans les tiroirs. L’adoption du livre blanc devant comporter la façon dont le gouvernement compte procéder, se fait toujours désirer depuis deux ans. A noter ici que c’est seulement hier que le conseil des ministres a adopté un avant-projet dans ce sens. La publication des trois autres volumes du rapport consacrés aux mesures de réparation, à l’identité des auteurs des crimes, entre autres, est même bloquée par le pouvoir. Les relances de la Cvjr, de la société civile et des partenaires du processus n’ont aucun effet. Une attitude qui montre tout le manque de volonté du gouvernement de lutter vraiment contre l’impunité.
Le pic des violences politiques au Togo aura été sans doute le cas d’avril 2005. Un millier de compatriotes furent assassinés afin de permettre la succession dynastique au pouvoir. C’est d’ailleurs le dossier qui a boosté l’enclenchement du processus. S’agissant de cette affaire, soixante-douze (72) plaintes ont été déposées depuis 2006 par certaines victimes devant les juridictions nationales par l’entremise du Collectif des associations de lutte contre l’impunité au Togo (Cacit), qui a en plus mené des actions de plaidoyer pour leur instruction. Mais le régime ne s’est guère ému et les dossiers sont restés au point mort depuis autant d’années. « Face à la réticence du juge togolais à instruire les plaintes ou à donner satisfaction aux victimes au plan national, le Cacit a saisi, en juillet 2012, la Cour de justice de la Communauté Cédéao. Après un an de bataille juridique, la Cour de Justice de la Communauté Cédéao a délibéré le 03 juillet 2013. Dans son arrêt, la Cour a : – Dit que l’Etat Togolais a violé le droit des Requérants à être jugés dans un délai raisonnable consacré par l’article 7.1(d) de la Charte ; – En conséquence ordonne l’Etat Togolais d’inviter des Juridictions Nationales à instruire instamment les plaintes des Requérants de façon à rendre effectif leur droit consacré à l’article 7.1 (d) de la Charte (…) Le Cacit tient à souligner le fait que depuis la décision rendue en juillet 2013, les 72 plaintes n’ont pas connu un début d’instruction », a déploré le Cacit dans une déclaration rendue publique le 13 mars dernier, et de « rappeler l’engagement de l’Etat togolais à respecter les décisions de la Cour communautaire et donc à tout faire pour, selon la décision de la dite Cour, « instruire instamment » les plaintes des victimes de 2005 ».
La conséquence logique de cette attitude, c’est l’impunité pour les auteurs et commanditaires de ces violences. Mais non seulement ils ne sont pas inquiétés depuis neuf ans, mais en plus certains d’entre eux sont promus, et au service de Faure Gnassingbé.
Une amnistie, pourquoi pas ?
Toute personne qui s’est rendue coupable d’un crime doit répondre de ses actes. La Cvjr a ainsi recommandé la poursuite des auteurs des violences relevées. Ce serait une façon de réparer le tort causé aux victimes et favoriser la réconciliation criée sur tous les toits. Mais il est aussi constant que la peur des bourreaux d’être châtiés une fois déboutés du pouvoir, est parfois préjudiciable à l’alternance.
En effet, si pour l’instant l’impunité est garantie à tous ces hommes du régime, corps habillés ou miliciens, ils redoutent tout de même le sort qui leur serait réservé, une fois que le régime Rpt/Unir aura quitté le pouvoir, que ce soit par les urnes ou toute autre voie. Et afin de jouir éternellement de cette impunité à eux garantie, ils font tout pour prolonger le plus possible le règne du clan Gnassingbé. Cela passe par des assassinats de leaders et militants de l’opposition, des intimidations des populations, les fraudes électorales, bref toute action pouvant sauvegarder le pouvoir entre les mains des Gnassingbé. Il va de soi que les auteurs et commanditaires des violences de 2005 s’opposent de toutes leurs forces à l’avènement au pouvoir de l’opposition, car la vérité se saura dans certains dossiers et ils devront y répondre. On peut évoquer l’affaire des tueries de Fréau Jardin en 1991, l’assassinat de Tavio Amorin et les tueries de Fréau Jardin en 1993, les violences d’avril 2005, l’assassinat d’Atsutsè Agboli et des deux élèves à Dapaong, les incendies des marchés de Lomé et Kara, entre autres dossiers. Avec la possibilité d’alternance au pouvoir en 2015 – hum -, il faudra d’ores et déjà que l’opposition réfléchisse au traitement à réserver à la question sensible de l’impunité et des auteurs des crimes. La première solution pour lutter contre ce fléau, c’est sans doute la poursuite des criminels et leurs commanditaires afin d’éviter la récidive, vu que le crime se nourrit de l’impunité. Mais « l’autre alternative, indique un observateur, c’est aussi de réfléchir à un amnistie générale pour tous les crimes commis sous le règne des Gnassingbé. Dieu sait que ces crimes sont incommensurables, et s’il faut se mettre à châtier leurs auteurs, on n’en finirait pas de si tôt. Les violations des droits de l’homme, les frustrations et rancœurs entrainées par leur gestion sont énormes (…)». Cela aura en tout cas l’effet de rassurer (sic) ces criminels qui redoutent une chasse aux sorcières et s’investissent contre l’avènement de l’alternance au pouvoir. Il n’est pas superflu de rappeler que Nelson Mandela l’a fait en Afrique du Sud, au nom de la paix…