Au moment où le peuple exige de l’opposition plurielle, une stratégie de conquête du pouvoir en 2015 axée sur une démarche unitaire, les risques d’une implosion du CST planent. De sources sûres, l’Alliance nationale pour le Changement (ANC) qui est une composante essentielle de ce front de l’opposition et qui a ravi dix-sept des dix-neuf sièges que ce regroupement compte à l’hémicycle, ambitionne de créer un groupe parlementaire ANC.
Les jours semblent bien comptés pour le CST dans le microcosme politique togolais. Selon des informations alarmantes qui nous sont parvenues, Jean-Pierre Fabre et ses collaborateurs envisagent de créer dans les jours à venir, un groupe parlementaire au nom de leur parti propre. Un projet qui, s’il aboutit, devrait laisser la configuration suivante de deux groupes parlementaires diamétralement opposés tant du point de vue organique, de leur vision, que de leurs méthodes : un groupe de la majorité parlementaire incarnée par l’UNIR du haut de ses soixante-deux sièges, et celui de l’ANC avec ses dix-sept sièges. Bref, les deux extrêmes, les deux camps radicaux. Voilà qui promet une bipolarisation des débats parlementaires. L’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral d’Aimé Gogué risquerait, dans ce cas de figure, de se retrouver seule avec ses deux sièges.
Les motivations de ce projet oscillent énormément et vont d’un désir de vengeance des responsables de l’ANC sur l’histoire – il y a trois ans, ils avaient été empêchés de former un groupe parlementaire, après leur rupture d’avec l’UFC, chasse gardée de Gilchrist Olympio qui venait d’opérer le plus spectaculaire changement d’orientation politique en concluant un accord de gouvernement avec Faure Gnassingbé et pis, expulsés de l’hémicycle comme de vulgaires malpropres-, à leur volonté de se positionner à l’hémicycle comme le premier parti de l’opposition parlementaire et de défendre leurs opinions propres. Les motivations de ce projet tiendraient également, apprend-on, à l’envie presque morbide de Jean-Pierre Fabre de redevenir le « number one » de l’opposition togolaise en ravissant la vedette à Me Zeus Ajavon, actuel coordonnateur du CST. Plusieurs sources soutiennent que l’actuel leader de l’opposition togolaise digèrerait mal de rester dans l’ombre du Coordonnateur du CST et ne ferait nullement mystère de sa volonté de s’afficher comme le candidat de l’opposition autour de qui l’union sacrée devrait se réaliser en vue de l’alternance politique.
Sans prétendre juger de la légitimité des raisons qui sous-tendent cette volonté de l’ANC de faire cavalier seul, il y a tout de même des raisons de s’interroger sur l’opportunité d’une telle démarche aujourd’hui. Et pour cause, l’opposition togolaise dans son ensemble semble déjà très fragilisée, au lendemain des législatives du 25 juillet 2013, et des voix s’élèvent et des initiatives se prennent en sourdine pour l’amener à taire ses divergences. En rappel, le CST et la Coalition Arc-en-ciel sont dans un antagonisme périlleux depuis les dernières législatives. Chaque camp rejetant sur l’autre la responsabilité de l’échec des tractations menées en vue de présenter une liste commune. Mais il y a pire. Vu sous l’angle de l’antagonisme Jean-Pierre Fabre - Me Dodji Apévon au sujet de la figure qui devrait ou pourrait arborer le titre de leader de l’opposition togolaise, il est évident qu’il y a conflit dans le conflit, il y a match dans le match.
En rappel également, les législatives n’avaient pas fini de rendre leur verdict avant qu’Agbéyomé Kodjo et Jean-Pierre Fabre, pour un oui ou un non, ne commencent à se livrer une bataille sans merci. L’absence du numéro un de l’Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire et de ses représentants à la première marche organisée par le FRAC/CST était une illustration de ce début de malaise au CST. Deuxième élément marquant le début de la fin de ce regroupement qui se veut citoyen, la divergence de vue entre les autres membres du CST en ce qui concerne la gestion du contentieux électoral. Si le CST s’était ravisé, après avoir bruyamment annoncé qu’il allait confondre la CENI en produisant les résultats de sa propre compilation, au point de s’abstenir d’ailleurs de saisir la Cour Constitutionnelle, Agbéyomé Kodjo, leader de l’OBUTS et candidat malheureux aux législatives du 25 juillet avait saisi cette instance juridictionnelle aux fins du recomptage des voix dans le Yoto, en vain. Au-delà du parti OBUTS, des défections sont également à signaler de la part des Organisations de défense des droits de l’Homme.
Tout démontre donc aujourd’hui que l’opposition togolaise, dans le starting-block pour la présidentielle de 2015, traîne déjà un sérieux handicap. Elle est terriblement divisée, minée. Le CST, ou du moins ce qu’il en reste aujourd’hui, n’est-il pas déjà suffisamment éprouvé pour qu’un parti, aussi important soit-il, veuille s’en retirer ? Certes, les informations recueillies ne font pas état d’un projet de l’ANC de claquer la porte du CST ; du moins pas formellement. Mais l’éventuelle création d’un groupe parlementaire ANC n’acterait-elle pas la désintégration de ce mouvement créé depuis plus d’un an et dont l’objectif ultime se résume dans le slogan « Faure must go » ? La réponse à cette question paraît sans ambiguïté.
Cette éventualité risquerait de mettre en très mauvaise posture l’ADDI qui n’aurait pas, à l’instar de l’UFC et de la Coalition Arc-en-ciel, voix au chapitre lors des débats parlementaires. Dès lors, il ne serait pas inenvisageable que par souci d’éviter de jouer le rôle des figurants politiques, l’ADDI, la Coalition Arc-en-ciel et l’UFC forment un groupe parlementaire par le jeu des alliances (contre nature ?). Dans tous les cas, le CST risque d’être emporté par le projet de Jean-Pierre Fabre de créer un groupe parlementaire ANC. Et ceci pourrait plomber tout effort de candidature unique de l’opposition à l’horizon 2015, et partant, renvoyer aux calendes grecques le défi de l’alternance politique. Serait-ce ça, l’agenda caché de l’opposition togolaise ? L’heure doit, selon un analyste politique, être au grand rassemblement pour poser les bases d’une stratégie alternative de conquête du pouvoir. Toute initiative qui rame à contre-courant de cet idéal relèverait d’une inconséquence. Et les dégâts ne se feront pas attendre en 2015, c’est une certitude ; et c’est peu de le dire ainsi. Car lorsqu’il existe des preuves, il n’y a plus de place pour des suppositions.