C’est un secret de Polichinelle, le Conseil national du patronat (Cnp) est secoué depuis janvier 2014 par une crise, suite à l’élection ou plutôt à la reconduction de l’éternel Kossivi Naku l à la tête de la structure patronale des opérateurs économiques togolais. L’affaire semblait passée par pertes et profits et l’élection frauduleuse de ce dernier consommée. Mais elle vient de connaitre un rebondissement.
La Justice rejette l’élection de Naku, une administration provisoire nommée
C’est le confrère français « La Lettre du Continent » qui fut l’un des tout premiers organes à rendre publique l’information. Les élections organisées au Conseil national du patronat (Cnp) en décembre 2013 ont été viciées, et c’est le candidat malheureux Ahlonko Bruce qui a porté l’affaire sur la place publique. Les informations l’avaient dit avoir porté plainte devant la Justice togolaise le 6 janvier 2014 pour se voir invalider l’élection d’Albert Kossivi Naku. Bruce Ahlonko, « patron de la société Sigma spécialisée dans le commerce de riz et de tissus, conteste cette élection qu’il juge « truffée d’irrégularités ». Il est appuyé dans sa démarche par Jonathan Fiawoo, le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Togo (CCIT). Sthéphane Ahlonko compte également sur son épouse Sabine Gruner, une femme d’affaires bien introduite au palais présidentiel de Lomé II, pour reprendre l’initiative », avait écrit le confrère en fin janvier dernier. Il dénonçait notamment le vote de membres non à jour de leurs cotisations ou encore le refus de vote opposé à l’Association des Professionnels de Banque (APB), entre autres irrégularités. C’est cette plainte qui vient de connaitre une suite favorable.
En effet, la Justice togolaise a rendu son verdict en fin de semaine dernière, et c’est aux dépens de Kossivi Naku. Sa réélection est simplement invalidée. Concomitamment, la Justice a nommé deux (02) administrateurs provisoires pour assurer l’intérim et organiser de nouvelles élections dans un délai de dix-huit (18) mois. Et comme premier effet de cette décision de justice, les portes du Cnp ont été scellées depuis ce lundi 14 avril. C’est sans doute la fin d’un long feuilleton au sein du Conseil national du patronat (Cnp) miné depuis des années par une crise latente faite de déficit de confiance et de guerre de clans.
Délocalisation inquiétante de la fraude électorale
C’est le sort d’un individu, Kossivi Naku qui s’est joué avec ce verdict. Selon les indiscrétions, derrière le plaignant, se trouve la main du Prince de la République. Qu’à cela ne tienne, cette crise au sein du Cnp pose une sérieuse problématique qui devrait inquiéter les dirigeants de notre pays : la délocalisation de la fraude électorale dans les différentes couches de la société togolaise. La fraude électorale, lorsqu’on en parle, d’habitude c’est au niveau national et politique, lors des échéances comme la présidentielle ou les législatives où les enjeux sont énormes. Mais il faut le constater, ce fléau conquiert progressivement toutes les couches de la société. Le cas qui a suscité ici notre intérêt, c’est celui du Conseil national du patronat. Mais il y a un autre qui a entre-temps défrayé la chronique. C’est celui qu’a connu le Conseil national de la jeunesse (Cnj).
On se rappelle, il y eut des élections le 20 janvier 2014 et un nouveau bureau fut élu et dirigé par Gartieb Kolani. Mais ces heureux élus ont à peine commencé à savourer leur élection qu’elle fut remise en cause par un arrêté du ministère du Développement à la Base, de l’Artisanat, de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes daté du 21 février 2014. Selon le ministère, le scrutin aurait été dans ses « différentes phases émaillé de graves irrégularités et de cas de fraudes et ne se serait pas déroulé dans la transparence la plus totale ». On parle de faux mandats délivrés, d’associations fictives, entre autres méthodes de fraudes. Dans certains cas, les jeunes porteurs des mandats n’avaient aucune idée de l’association qu’ils représentaient. Et pour Mme Victoire Tomégah-Dogbé, «cette situation remet en cause la crédibilité de tous les organes issus de ce processus et pose un problème moral et éthique ».
Dans les deux cas évoqués, la Justice et le ministère du Développement à la Base ont procédé à l’annulation des élections. Dans le cas du Cnj particulièrement, on semble jeter l’anathème sur les jeunes. Mais ces derniers ont simplement été à l’école de leurs aînés politiciens. Ils ont pris exemple sur le pouvoir en place qui a de tout temps fraudé les élections dans notre pays, avec des moyens qui évoluent avec le temps. La fraude électorale étant institutionnalisée, il va donc de soi qu’on s’en inspire dans les différentes couches de la société. Toute chose qui devra inquiéter les gouvernants en place.
La Justice désormais contre les fraudes électorales ?
D’aucuns doivent sourire en apprenant l’annulation de l’élection au Conseil national du patronat par la Justice togolaise au motif de…fraudes et d’irrégularités. D’autant plus qu’il y a de nombreuses plaintes déposées devant elle à propos des élections de portée nationale, mais qu’elle a toujours balayées du revers de la main.
En effet, élection au Togo rime avec fraudes. Il n’y en a pas qui soit organisé de façon clean depuis l’avènement au pouvoir du régime Rpt/Unir, et les fraudes sont de plus grande ampleur. Recensement électoral biaisé, enrôlement de mineurs et d’étrangers, votes multiples, règles électorales violées, détournement des suffrages…c’est le scénario à chaque élection sous les Gnassingbé. S’agissant des scrutins à enjeu comme la présidentielle, le pouvoir ne se donne aucune limite, et les fraudes se passent parfois au et au su de toute le monde. En 2010, elle a été ostentatoire et bien planifiée. Le Vsat installé pour la transmission crédible des résultats a été proprement saboté – le technicien sénégalais Yoro Thiam mis à la disposition du système par le Pnud avait rejeté toute panne technique. En 2005, pour pouvoir imposer le hold-up aux Togolais, le pouvoir a fait assassiner un millier d’entre eux qui ont voulu défendre leurs suffrages.
Dans le cas du Cnp, on ne saurait même pas parler de fraudes proprement dites ; mais peut-être de (simples) irrégularités. Mais s’agissant des élections politiques, les manœuvres sont savamment organisées pour verrouiller les scrutins et biaiser les résultats au profit du pouvoir. Les contestataires ont toujours relevé des exemples palpables, apporté des preuves suffisantes pour convaincre la Cour constitutionnelle à invalider les résultats proclamés par la Céni. Mais toutes ces irrégularités relevées ont toujours été rejetées par les juges de la Cour constitutionnelle aux ordres du pouvoir. Doit-on alors voir une mue de la Justice togolaise ? Est-elle désormais contre les fraudes électorales ? Toutes ces questions restent posées.