Commande d’engrais pour la campagne 2014-2015/Est-il encore nécessaire de passer des appels d’offres ouverts ?
A force de toujours rouler les citoyens dans la farine, la procédure a fini par se savoir. Le feuilleton lié à la commande d’engrais touche à son épilogue de la plus triste des manières. Après avoir annulé l’AOO N°006/2013/CAGIA/PRMP pour des motifs sans tête ni queue, le Colonel-ministre-directeur-PCA Ouro-Koura Agadazi lève la suspension près d’un mois après et à l’arrivée, la commande des 45.000 tonnes d’engrais revient à Julie Beguedou et Vicencia Meyer, deux intimes du chef de l’Etat.
Les temps sont durs pour certaines autorités du pays. Tellement ces dirigeants sont habitués à faire passer leurs desiderata qu’ils ignorent qu’une certaine presse veille au grain autant que faire se peut. Ainsi, après les ministres de la Sécurité et de la Protection civile et celui de la Fonction Publique au sujet de candidats non admis au concours national de la Police, mais déclarés admis, c’est au tour de celui de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Colonel Ouro-Koura Agadazi encore directeur général de l’Ansat et PCA de la société Nioto, d’être mouillé dans un autre scandale. Les faits.
Le 5 février 2014 dans un communiqué rendu public, Agadazi « informe les sociétés ayant soumissionné à cet appel d’offres qu’une telle décision a été prise sans le consentement de l’autorité contractante chargée de mettre en œuvre les procédures de passation et d’exécution des marchés publics du département ».
Quatre sociétés étaient déjà dans le starting-block : Elisée Cotrane, Yara Suisse, Biochem Togo et ETG Dubaï/Togo. Rappel très important, deux jours avant la publication du communiqué, soit la date de clôture des dépôts de dossiers, le navire M/V ATLANT affrété par la société Elisée Cotrane de Julie Béguédou, une concubine de Faure Gnassingbé, a déchargé 5.000 tonnes de sa cargaison d’engrais NPK au Port autonome de Lomé (PAL), plus précisément dans le magasin ROMEX. Au même moment, des sacs vides d’engrais NPK 15-15-15 portant le nom de CAGIA, la structure importatrice, sont aperçus sur le terre-plein du PAL. Rappelons que les 45.000 tonnes sont composées de 30.000 T de NPK et 15.000 T d’Urée.
Les importateurs devraient-ils attendre un nouvel appel d’offres alors que les premières pluies ont commencé? Pas quand une des sociétés appartient à Julie Béguédou. C’est ainsi que le 12 mars 2014, par un virage à 180°, Ouro-Koura Agadazi dans un autre communiqué, annule la suspension qui pesait sur l’AOO N°006.
« Levée de suspension sur la procédure d’acquisition de 45.000 tonnes d’engrais vivrier, campagne agricole 2014-2015 : faisant suite à la réunion extraordinaire du conseil national de suivi de la Centrale d’approvisionnement et de gestion des intrants agricoles (CAGIA) tenue le 27 février 2014 à Lomé, le ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, président du conseil de suivi, porte à l’attention des acteurs du secteur agricole que, vu le démarrage précoce des pluies sur l’ensemble du territoire et dans le souci de permettre aux paysans de disposer des engrais dans les délais, le processus engagé conformément à l’avis référencé N°006/2013/CAGIA/PRMP paru dans le journal Togo-Presse N° 9195 du 3 janvier est autorisé à se poursuivre. Le président du conseil de suivi tient à rassurer le monde rural que tout sera mis en œuvre pour obtenir de l’engrais de bonne qualité ». On était le 12 mars.
Dans le communiqué issu d’un Conseil des ministres du 3 avril 2014, soit 22 jours après celui autorisant l’appel d’offres à se poursuivre, on apprend ceci : « …Dans les divers, le ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche a rendu compte des suites données aux préoccupations exprimées par les producteurs agricoles lors du forum national du paysan togolais. En ce qui concerne la commande d’engrais NPK 15 15 pour la campagne agricole 2014-2015, il a indiqué que la réception de 30.000 tonnes de cet intrant est imminente et sera suivie par des opérations de distribution sur toute l’étendue du territoire national ».
Et au sujet de la commande d’urée, «…le marché d’acquisition a abouti et dans les jours à venir, le ministère prendra attache avec l’attributaire pour accélérer le processus d’approvisionnement de cet intrant dont la haute qualité est une préoccupation constante du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche ». Une foule de questions taraudent les esprits après lecture de ce communiqué. Dans quel numéro du quotidien national les résultats de l’évaluation de l’appel d’offres N°006/2013/CAGIA/PRMP sont-ils publiés pour que tout citoyen puisse en connaître l’attributaire, étant entendu qu’il s’agit d’un appel d’offres ouvert ?
A défaut, un appel d’offres ouvert peut-il se muer en marché de gré à gré malgré le montant élevé et après que le ministre a fait du dilatoire pour perdre le temps ? Ensuite, entre la date de la levée de suspension, le 12 mars et celle du communiqué en Conseil des ministres, est-il possible qu’une société adjudicataire ait pu passer commande de 30.000 tonnes d’engrais et qui lui seraient livrés dans ce laps de temps ?
Les manœuvres d’une des sociétés concurrentes, Elisée Cotrane poussent à conclure que le ministre Agadazi aurait transformé l’appel d’offres ouvert en un appel gré à gré. Car il nous revient que cette société aurait commandé via le navire SEA BAISI VT en provenance d’Ukraine 25.000 tonnes de NPK 15.15.15 ; le navire est arrivé à quai au port autonome de Lomé le dimanche 06 avril 2014. Lorsqu’on ajoute ce tonnage aux 5.000 tonnes déjà débarquées en février par le navire ATLANT pour le compte de cette même société, la dernière partie du puzzle indiquant un marché gré à gré est alors trouvée. La société de Julie Béguédou se fait servir les deux lots de 15.000 tonnes d’engrais NPK chacun par le ministre Agadazi, du haut de ses galons de Colonel. Qui veut broncher ?
S’agissant du dernier lot de 15.000 tonnes d’urée, il vous souvient que lors de l’inauguration d’un marché érigé en l’honneur du parti Unir de Faure Gnassingbé, Dekawowosime, des journalistes s’étaient échinés à connaître les sommes investies pour sa construction. Même la ministre du Commerce, Légzim-Balouki, n’a pas pu répondre à cette question. Vicencia Meyer, la directrice a juste esquissé un sourire « angélique » pour éluder la question. Osera-t-on jeter l’anathème sur tout citoyen qui voudra conclure que c’est en « hommage » à son œuvre en faveur du parti que les commandes d’engrais urée sont devenues sa « chasse gardée » ?
Et si on reprend les termes du site gouvernemental republicoftogo.com qui informe les agriculteurs que « le sac d’engrais de 50 kg, acheté à 22.000 FCFA, sera vendu à 11.000 grâce à la subvention accordée par le gouvernement », on comprend aisément que le gouvernement ait voulu reverser la subvention entre des « mains sûres ».
Au-delà de la roublardise dont font preuve les autorités vis-à-vis de ces commandes, des analystes avertis y voient des airs de précampagne et d’achats de consciences du monde agricole à quelques coudées des élections locales qui risquent de consacrer la faible implantation du parti au pouvoir dans les cœurs des Togolais, fussent-ils des campagnes. Autrement, il paraît peu compréhensible que pendant que ce régime clame à tue-tête l’arrêt des subventions sur les produits pétroliers, il se permette de subventionner l’engrais.
Mais il revient au monde agricole de réaliser que les subventions seront compensées par les impôts et taxes que le citoyen paye à chaque fois qu’il effectue des dépenses. Comme l’ont compris ces quatre jeunes dans l’Est-Mono qui ne voulaient pas que contre les 5 millions remis par Faure Gnassingbé pour la réfection des toitures des écoles, une manifestation de promotion d’Unir ait lieu. Ils ont été arrêtés certes, mais leur conviction ne le seront jamais.