Togo - Une activité périlleuse aussi coûteuse que rémunératrice
La pêche fait certainement partie de l’économie nationale. C’est d’ailleurs pour cette raison que, il y a environ une trentaine d’années, le Gouvernement a effectué une première intervention dans le secteur en créant un port digne de ce nom, un lieu juxtaposé au Port Autonome de Lomé (côté Est), notamment dans la banlieue de Katanga. Communément connu sous le nom de « Harbour », le port de pêche de Lomé regorge aujourd’hui plus d’une centaine pirogues appartenant à des pêcheurs autochtones et à leurs collègues ghanéens souvent sollicités par des « Nana », des bonnes dames qui anime le volet commercialisation au niveau du Port de pêche de Lomé. Un ticket de 100 FCFA par jour est indispensable à toute femme ou jeune fille pour rentrer dans l’enceinte, car de toutes les façons, il est admis qu’elles sont là pour des fins commerciales ; mais, la même entrée est libre et gratuite pour tout homme. Entre autres poissons à retrouver dans les eaux togolaises, selon les pêcheurs, « « awatalikofi, thon, merlan, silure, kpokou, … ».
Mais, aujourd’hui, ces derniers déplorent la pénurie des côtes togolaises en poissons, à cause de la surexploitation des sardinelles, nutriment pour ces poissons. Des échanges suivis de visites guidées sur les lieux nous ont permis de découvrir non seulement la cherté de cette pratique, mais aussi sa rentabilité. Par ailleurs, ils ont évoqué des difficultés qu’ils ont des fois avec la Marine nationale qui les considère comme des pirates.
Adhésion à la corporation des pêcheurs
Apparemment, il n’y a pas de formalités à remplir avant d’intégrer le corps des pêcheurs du Port de pêche de Lomé. Il suffit d’être un connaisseur du domaine, et avoir à l’esprit que ce sont les autochtones, notamment les populations de Katanga et de Gbétsogbé qui sont les détenteurs d’une telle pratique, parce que, disent-ils, « nous n’avons ailleurs aucune terre à cultiver pour attendre à quelque récolte que ce soit. La seule terre exploitable que nos parents nous ont laissée est cette mer ». S’il n’y a pas de formalités, cependant, trois étapes sont à franchir et sont concentrées dans l’achat des matériels indispensables à savoir la pirogue, le filet et la machine à hélice.
Notons que depuis des temps immémoriaux, les pirogues sont importées du Ghana ; mais heureusement, il n’y a pas moins de deux ans, le Togo aussi est entré dans la confection des pirogues de pêche et récemment quatre en ont été construites à Anié. Seulement qu’après le chef d’œuvre des Togolais, les spécialistes (c’est-à-dire les Ghanéens) viennent faire la finition. La construction ou l’achat d’une pirogue coûte alors au minimum 1 million (1.000.000) de F cfa et au maximum 5 millions (5 000 000) de F Cfa. Une pirogue bien entretenue peut être utilisée pendant au moins 15 ans. La 1ère ayant une capacité de 8 personnes au plus et la 2ème une capacité de 30 personnes au maximum.
La prochaine étape est l’achat du filet qui, heureusement, est disponible sur le territoire togolais. Pour acquérir ce matériel, il faut disposer une somme de 2 à 9 millions (2.000.000 à 9.000.000) F Cfa. « Un filet de 200 mètres (une pièce) peut coûter 300 mille (300.000) francs. Ça peut durer au plus 1 an et souvent ils sont déchirés par des débris de navires naufragés et des pierres sous mer. Et la réparation d’un filet peut coûter jusqu’à 2 millions (2.000.000) F Cfa », ont souligné les pêcheurs autochtones. De même, la machine à hélice est disponible au Togo à hauteur de 2 millions 500 mille F Cfa (2.500.000) F Cfa. Une machine bien entretenue, peut avoir une durée de vie allant de 3 à 4 ans, et un filet bien entretenu peut durer 1 à 3 ans. Mais, « si tout va bien, en trois mois au plus, l’on peut récupérer les sous investis dans cette activité », nous ont-ils rassuré.
« Il faut être un Homme pour engager cette démarche et arriver à la fin. Mais, nous sommes heureux de constater qu’il y a des compatriotes qui s’engagent seuls dans cette aventure. Car, le plus souvent, quand c’est fait en équipe, la gestion est difficile et des fois des conflits sont constatés », a déclaré le Chef Dovi Agbové de Gbétsogbé, un pêcheur aussi. Au-delà de ce courage que félicite ce dernier, il faut noter que des négociations sont également possible dans l’achat de la pirogue à Accra, « où l’on paie une partie et avec le temps, le concepteur lui-même quitte le Ghana pour Lomé pour encaisser le reste de l’argent ». Mais, « quant au filet et à la machine qui sont vendus dans une boutique, il faut payer cash », a-t-il ajouté. Ces conditions remplies, l’équipe se constitue pour mettre le cap sur la pêche proprement dite ; une page aussi délicate que la dernière.
La pêche proprement dite
Au début de cette activité dans ce milieu, tout voyage sur mer est conditionné par la constatation de la présence de poissons dans un milieu. Mais de nos jours, c’est une aventure qui est faite, si bien que l’on n’est pas sûr de ce avec quoi l’on rentrera. La pêche a lieu tous les jours, sauf les dimanches. La zone de pêche pour les pêcheurs togolais s’étend de Lomé jusqu’à Epla dans le Bénin voisin. Le début de la saison est le 7ème mois, compte tenu de la fraicheur qui est constatée sur la mer et les poissons, toutes sortes confondues, remontent en haut.
En effet, selon les explications données par le Doyen d’âge des pêcheurs autochtones, surnommé Brother, il est facile de repérer les poissons en mer, surtout la nuit. D’abord, dans la nuit, les flots de la mer se transforment en lumière et éclairent tout l’espace, comme si c’était un projecteur qui était allumé. Et, même de loin, quand ces flots contiennent des amas de poissons, ces poissons aussi scintillent plus que les flots, si bien qu’ils sont vite repérés par les pêcheurs en pleine nuit.
En tout état de cause, il y a deux types de pirogues : la petite qui se charge de la pêche à l’hameçon. Cette catégorie est celle-là qui ne va toujours pas aussi loin en tant que tel de la côte. Elle s’occupe de la pêche des sardinelles, connus sous le nom de « abobi ». Le plus souvent, c’est une pêche qui est matinale. Elle s’effectue entre 4 heures et 8 heures. La seconde catégorie est la grande pirogue qui dispose de grands filets, y compris les petits filets. C’est une équipe qui est le plus souvent nocturne voire plus et dont l’activité de pêche peut durer plus de la moitié de la journée.
S’il n’y a pas de grande formalité pour intégrer le corps des pêcheurs, il y a toutefois des dispositions à observer, une fois l’intégration effectuée et surtout avant de faire le premier voyage, afin d’éviter les conflits au niveau de la commercialisation des poissons.
Commercialisation des poissons
Chaque pirogue est réquisitionnée par une grossiste appelée dans leur jargon « Nana ». Elle investit dans le voyage, entre cinquante (50) et soixante-dix mille (70 000) F Cfa au moins. Et au retour du voyage avec des poissons, c’est à elle seule qu’est vendu tout le lot pour des ventes en détails aux autres femmes commerçantes qui sillonnent nos quartiers. Après la vente à son niveau, elle remet la somme rassemblée à l’équipage, notamment au chef d’équipage appelé dans leur jargon « bozn » autrement dit « chef » ; et ils disposent de « bozn-vi et bozn-gan » ou « petit chef et grand chef ». Et c’est dans le montant recueilli auprès de la bonne dame appelée « Nana », que l’équipage lui rembourse son action ou encore ce qu’elle a investi dans le voyage sur mer. Le reste servira alors à deux choses : d’abord, l’entretien des matériels (pirogue, filet et machine) ; et ensuite, la deuxième partie est répartie équitablement entre les membres de l’équipage (peu importe le nombre qu’ils sont).
La commercialisation est faite de deux manières : d’une part, les sardinelles « abobi » sont cédés au panier et le panier coûte actuellement 1.100 F CFA.
D’autre part, les poissons, qu’importe le type, sont vendus par lot de quarante, communément désigné en Mina «éka ». Souvent, les dispositions sont prises pour que le prix soit le même partout. Toutefois, il arrive certaines fois qu’il y ait une petite différence de prix. « Des fois, le retard pris dans le rapatriement des poissons fait que certains poissons sont moins présentables que d’autres qui ont été vite ramenés ; dès lors, il est compréhensible que, quoique les prix sont uniformes, les acheteurs préféreront les poissons présentables à ceux moins présentables ». Donc, déterminés à vendre, « l’on est alors obligé de diminuer le prix », nous a déclaré le Doyen d’âge des pêcheurs autochtones. Quoiqu’on dise, il faut noter que c’est une activité qui est très rémunératrice. « On peut rassembler d’un seul voyage une somme de 200 000 ou 400 000 F CFA, si l’on a de la chance », a souligné le Doyen d’âge des pêcheurs autochtones. Au même moment, si les choses ne vont pas bien, il y a des dettes qui sont consignées dans un cahier et rembourser au fur et à mesure que les voyages se succèdent.
Les petits équipages de pêche dans les mailles de la Marine nationale
Les équipages des petites pirogues sont souvent victimes des rafles de la Marine nationale engagée dans la lutte la piraterie maritime. Au fait, les projecteurs des bateaux, la nuit, attirent les poissons qui vont s’amasser tout autour ; et les petites pirogues sont à leur poursuite autour du bateau. Dans une telle situation, s’il va falloir utiliser des grands filets, ils risquent de passer en dessous du navire et ils s’entremêlent aux machines : conséquence, vous ne pouvez plus le remonter. Or, « les navires, fuyant les pirates au Nigeria, viennent accoster dans les eaux togolaises ; et vu que leur accostage sur les côtes togolaises fait des recettes au pays, il n’est ménagé aucun effort pour traquer tout acte suspect de piraterie », ont soulevé les pêcheurs.
Et, « les propriétaires des navires, en voyant les petites pirogues s’approcher d’eux, au lieu d’alerter la Marine nationale, alertent directement leurs pays d’origine qui, à leur tour alertent l’état-major de la Marine nationale ». Mais, une fois sur les lieux, les éléments dépêchés par la Marine nationale s’aperçoivent que c’est des pêcheurs qui ne sont qu’à la recherche de poissons. Malheureusement, «bien que ces éléments aient vu des matériels de pêche avec l’équipage dans la barque, ils les interpellent et les mettent en détention à leur Commandement», ont souligné les pêcheurs.
Ce n’est qu’après des interventions des délégations des pêcheurs auprès de la Marine nationale « qu’ils sont libérés contre une amende de 50.000 F Cfa ». Mais des fois, les libérés « constatent une légère diminution de la quantité de poissons qu’ils avaient dans la barque lors de leur interpellation. Aussi, constatent-ils quelques anomalies au niveau des pirogues, parce qu’ayant passé un bon temps à se cogner aux blocs de pierres ». A regret, les nombreuses rencontres qui ont eu lieu entre les autorités de la Marine nationale et les pêcheurs n’ont pas permis de régler totalement ce problème même si des avancées sont à noter. En effet, « des dispositions sécuritaires sont prises en attribuant des éléments d’identification (numéro sur un papier certifié par la Marine nationale) à chaque pirogue ». Mais, « quelques fois, cette méthode ne passe pas avec certains éléments de la Marine nationale ».
Autres difficultés
Bien avant tout, il faut noter que les pêcheurs autochtones ont de la peine à être reconnus par les autorités du Port de pêche. La cause, selon les pêcheurs, ne vient pas des autorités mais d’eux-mêmes à travers « le mauvais usage de leur langue ». Selon Agboloto, pêcheur connu sous ce nom au Port de Pêche, « Elles disent qu’elles ne nous connaissent pas en tant que pêcheurs au Togo, et ceci à cause de notre propre mauvais usage de la langue ». Car, « nos femmes togolaises ont toujours clamé que c’est les Ghanéens qui viennent travailler pour elles. Les pêcheurs autochtones ne valent pratiquement plus rien aux yeux des Nanas togolaises voire, parce qu’elles voient gagner plus avec les Ghanéens qu’avec les Togolais. Récemment, elles ont organisé une manifestation pour protester contre toute tentative à faire partir ceux-ci ». Mais, les pêcheurs ont rassuré que « les tractations sont en cours pour trouver une solution ».
Les autres complications rencontrées dans la pêche peuvent être regroupées en deux grandes catégories.
D’abord, une incompréhension entre des pêcheurs de deux pirogues différentes en pleine mer ; laquelle incompréhension peut aller dès fois jusqu’aux bagarres. En effet, « des fois, il se crée des conflits entre deux pirogues autour d’un amas de poissons sur mer. Car, le premier qui a vu attend que les poissons ne se retrouvent dans les bonnes conditions avant de jeter le filet. Et pendant ce temps un autre équipage vient et cherche à lancer son filet », a évoqué le Chef Dovi de Gbétsogbé.
Parallèlement à cela, les requins aussi constituent un casse-tête pour les pêcheurs. Un requin peut aussi parfois s’introduire parmi les poissons et les mange, puisque les poissons se nourrissent des sardinelles et le requin aussi se nourrit des poissons. « En ce moment, quand vous lancez le filet, priez que le requin déchire le filet le plus tôt possible et s’en aille avant que le filet ne commence par attraper les poissons et que vous ne les attiriez vers le haut », a-t-il ajouté. Sinon, selon le Chef Dovi, « une chose est sûre, avant que le filet n’arrive presqu’à la surface pour que vous le déchargiez, le requin le déchire et tous les poissons s’en aillent et c’est un effort gratuit ».
Ensuite, la délocalisation du Port de pêche vers un nouveau site non encore aménagé. L’espace qu’occupe actuellement par le Port de pêche est très contigu et exigu au 3ème quai en construction. Conséquences au niveau des pêcheurs, « les pirogues se cassent en se cognant les unes contres les autres ; et quand tu te réveilles le matin et tu viens retrouve ta pirogue en bon état, remercies Dieu », a poursuivi M. Agboloto. Selon les pêcheurs, ils ont été informés de leur délocalisation du site actuel vers un autre site à Gbétsogbé. Mais, ce que ces derniers déplorent, est que « bien que ce nouveau site ne soit pas encore aménagé, malgré les milliers de promesses à nous faites par les autorités togolaises, le Port Autonome de Lomé nous contraint à une délocalisation forcée vers une destination inconnue ».
Et enfin, il y a des difficultés relatives à la pénurie de poissons. «Aujourd’hui, nous déplorons la pénurie de poissons à cause des bruits permanents des machines qui font fuir les machines », constatent les pêcheurs d’une seule voix. Mais la cause la plus importante relevée par les pêcheurs est la surexploitation, surtout celle des sardinelles, nutriment des poissons. « Les sardinelles viennent à la côte chez nous ici ; mais les Ghanéens les ont surexploitées si bien que les poissons, ne trouvant plus de nutriments, ne viennent plus ici». Et dans les tractations pour résoudre ce problème, « il s’est créé une incompréhension entre d’une part nos femmes et les pêcheurs ghanéens et d’autre part les pêcheurs autochtones ».