Comme de tradition depuis
plusieurs années, Faure Gnassingbé a encore parlé à ses concitoyens ce
samedi 26 avril 2014, soit la veille du 54e anniversaire de
l’indépendance du Togo. Mais le locuteur du jour, attendu sur des
questions par les populations, a fait du Faure Gnassingbé, snobant ou
survolant les plus sérieuses. Bien plus, il s’est simplement projeté sur
l’avenir à propos duquel il faudra donc compter avec lui. Petite vue
synoptique de l’allocution.
Sylvanus Olympio pas cité une seule fois, des hommages aux corps habillés
L’événement célébré ce dimanche 27 avril 2014, c’est le 54e
anniversaire de l’accession de notre pays à la souveraineté
internationale. C’est un groupe d’hommes et femmes qui ont arraché au
colonisateur cette indépendance, et à leur tête, il y avait un certain
Sylvanus Olympio. La célébration de l’indépendance devrait donc offrir
l’occasion de lui rendre les hommages mérités. Comme sous d’autres cieux
où ils sont vénérés même dans l’outre-tombe. Cette journée devrait être
la sienne, et une place de choix devrait lui être donnée dans
l’allocution par Faure Gnassingbé. Mais le locuteur du 26 avril l’a
royalement oublié dans son discours. Pas une seule fois, il n’a prononcé
son nom. « Qu’il me soit ainsi permis de rappeler avec
solennité, notre dette de reconnaissance à l’égard de tous ceux qui, par
leurs sacrifices, ont forgé notre identité nationale et contribué à
asseoir notre indépendance », s’est-il contenté de dire. Et c’est tout.
En lieu et place des vaillants
combattants de la liberté arrachée le 27 avril 1960, Faure Gnassingbé
s’est plutôt employé à louanger les corps habillés, pour les pseudos
missions remplies à travers le monde, « célébrer la vaillance de nos Forces de défense et de sécurité » à qui il a tenu à « rendre
un hommage particulier (…) pour leur sens du sacrifice et leur
engagement au service des idéaux de paix, de sécurité et de prospérité
que notre nation chérit au plus profond d’elle-même ». Et d’annoncer une refondation qui débouchera sur une « réorganisation complète de nos Forces de défense et de sécurité »,
au nom de la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime (ou
plutôt de la conservation du pouvoir ?). Parallèlement, nombre
d’officiers des forces de défense et de sécurité ont été décorés. Une
façon, pour les observateurs avisés, de les motiver à l’accompagner dans
sa voie suicidaire de 2015.
Faure Gnassingbé pense avenir, annonce de construction des logements sociaux …
A moins d’un an de la fin de son second
et dernier mandat légitime au pouvoir, Faure Gnassingbé continue d’avoir
une vision (sic) pour le Togo. « Je veux, avec vous, faire du Togo un pays prospère… », a-t-il déclamé. Il se définit une feuille de route en trois axes.
Pour consolider les bases de l’économie togolaise, il compte d’abord « poursuivre les investissements dans les infrastructures, tout en accompagnant activement la mutation du secteur agricole ». « La
modernisation de l’agriculture balisera la voie pour l’essor des
industries de transformation et la multiplication des PME-PMI. Le défi à
relever dans ce domaine, consiste à favoriser la création de véritables
filières de transformation, allant jusqu’aux produits finis. Cette
première étape de la feuille de route vers la prospérité positionnera le
Togo comme une force d’exportation dans la sous-région et bien au-delà.
Bien entendu, la structuration des filières existantes notamment, le
secteur agricole, artisanal et industriel et leur réorientation vers
l’exportation des produits finis et semi-finis, aura le triple avantage
d’accroître la création d’emplois, de redonner confiance à la jeunesse
togolaise et de tirer les revenus vers le haut », a-t-il chanté. Il va ensuite s’agir « d’accélérer
la marche vers nos objectifs, en concentrant nos efforts sur les
activités de services, en mettant un accent tout particulier sur la
logistique. Fort de sa longue tradition des échanges commerciaux, le
Togo aura ainsi toutes les cartes en main pour se positionner comme le
hub d’affaires par excellence, d’une sous-région en pleine croissance». Enfin, dans la troisième phase de cette feuille de route vers la prospérité, Faure Gnassingbé voit le Togo « s’affirmer dans la construction d’un label de qualité et d’un pôle de compétitivité ». Des mots de plus, dites-vous ?
Dans cette dynamique d’un Togo meilleur
où il ferait bon vivre, le locuteur du jour annonce la construction de
logements sociaux. «(…) Le Gouvernement a décidé de faire de la
construction des logements sociaux un des axes prioritaires de son
action. Des études ont déjà été réalisées et le Gouvernement planifie
d’ores et déjà la construction de nombreux logements sociaux à partir de
2015. Un site a déjà été identifié pour la construction de 1000
logements, dans le cadre d’un projet pilote qui va démarrer avant la fin
de l’année 2014 », informe-t-il. Mais il faut rappeler que c’est un
vieux projet annoncé depuis des années par Faure Gnassingbé qu’il
ressuscite au crépuscule de sa présidence.
Même en se projetant sur l’avenir,
Faure Gnassingbé pense au présent, à la satisfaction des besoins sociaux
des populations. Mais il se trouve d’ores et déjà des excuses : « le phénomène de la vie chère [qui] n’épargne aucun pays ».
Les trophées de chasse de l’heure
Office togolais des recettes (Otr).
Fonds national de la finance inclusive (Fnfi). Ces deux initiatives
étaient brandies comme les remparts contre la mauvaise gouvernance et la
pauvreté. Et elles n’ont pas été occultées dans le discours. C’est
d’ailleurs le contraire qui aurait étonné.
« Le Fonds national de
la finance inclusive prend en compte la situation préoccupante de ces
nombreux concitoyens qui ont du mal à accéder aux services financiers de
base (…) Pour le compte de l’année 2014, ce programme (Programme
d’appui à l’accès des pauvres aux services, Ndlr ) qui est le tout
premier produit du Fonds national de la finance inclusive, permettra à
300 000 personnes vivant dans la précarité, d’accéder au microcrédit, à
la petite épargne et à la micro assurance », a dégoté Faure Gnassingbé, avant de faire le lien avec l’Otr : « …Notre
marche vers une modernité pleinement assumée devra suivre la cadence de
la bonne gouvernance économique et financière. L’aboutissement du
processus de mise en place de l’Office togolais des recettes devrait
être accueilli comme un des signes tangibles de l’évolution de la
société togolaise. L’OTR est en effet, la dernière illustration en date,
des avancées que nous réalisons en matière de bonne gouvernance ».
Et sur cette affaire d’Otr qui sème la psychose au sein du personnel des Douanes et des Impôts, il a tenu à les rassurer. « Ils
ne seront pas sacrifiés sur l’autel de la réforme. Les agents des
douanes et des impôts ne sont aucunement visés par les mutations que
nous devons opérer dans nos régies financières pour améliorer la
mobilisation des recettes de l’Etat. Bien au contraire, il est important
que les conditions de travail soient préservées et la sécurité de
l’emploi garantie autant que possible », a-t-il dit à leur endroit, et de les appeler à contribuer à la réussite du processus.
Réformes constitutionnelles et institutionnelles
C’est une question de grande
préoccupation, et le débat s’est ouvert depuis quelque temps. Faure
Gnassingbé a déjà exprimé sa position. Pour lui, tout doit se faire à
l’Assemblée nationale. En face, l’opposition lui a fait comprendre la
nécessité de respecter l’esprit de l’Accord politique global (Apg) qui
recommande le consensus comme démarche. Depuis les échanges à la
Primature entre le Premier ministre et certaines formations politiques,
c’est l’impasse. Et le commun des observateurs devrait s’attendre, si
cette problématique devrait être évoquée dans son allocution, que Faure
Gnassingbé fasse évoluer le débat. Mais il n’a fait que de l’esprit,
jouant à l’homme qui veut le plus du bien pour le peuple togolais.
« (…) Le débat doit être utile et
fécond. Il doit faire avancer la communauté de destin que nous nous
efforçons de construire ensemble. Dans cet effort qui nous mobilise
depuis plusieurs décennies, notre force ne peut résider que dans notre
aptitude à savoir ce que nous voulons pour nous-mêmes et pour notre
pays. C’est pourquoi, face aux enjeux majeurs liés au reliquat des
réformes politiques en cours, je voudrais inviter toute la classe
politique à dépasser les calculs partisans et les préoccupations
électoralistes immédiates. Je voudrais inviter chacune et chacun à
dépassionner le débat. A ne se laisser guider que par le souci
primordial de doter notre pays d’un édifice institutionnel propice à son
plein épanouissement. La démocratie représentative pour laquelle nous
avons opté, a légué à nos sociétés, des mécanismes qui permettent dans
un esprit d’ouverture, de prendre en compte, la volonté du peuple
souverain dans les choix importants et déterminants que nous sommes
appelés à opérer. Adaptons ces mécanismes à nos réalités. Mais tâchons
surtout d’avancer, en ayant à l’esprit notre responsabilité historique
de préserver le climat d’apaisement que notre pays a su retrouver après
tant de péripéties (…) Je convie donc chacune et chacun à prendre la
juste mesure des efforts qu’il nous reste à consentir pour parachever
les réformes dans tous les domaines et engager résolument le Togo sur la
voie de la modernité. Au fond, l’enjeu est de transmettre aux
générations futures, un pays dans lequel elles vivront mieux que nous
n’avons vécu, avec cette même fierté d’être Togolais mais aussi des
citoyens d’un monde dont ils seront des acteurs à part entière, dans la
paix et la fraternité », a-t-il déclamé. Il faut le relever, Faure a
parlé de ‘’reliquat des réformes’’, comme si l’essentiel des réformes a
été déjà fait.
Cette problématique ayant un lien direct
avec sa candidature à la présidentielle de 2015, les Togolais
s’attendaient à l’entendre donner par exemple sa parole qu’il ne
briguera pas un 3e mandat. Vu qu’il a été toujours présenté
comme le plus grand démocrate du Togo et que l’un des principes
sacro-saints de la démocratie est l’alternance au pouvoir. Mais pas un
mot là-dessus pour éclairer l’opinion. Les populations auront donc été
laissées sur leur soif.
Au demeurant, Faure Gnassingbé aura
parlé une bonne vingtaine de minutes durant, pour ne pas dire
grand-chose. Tout ce que l’on aura noté, c’est que l’homme s’est
résolument projeté sur le futur, sur l’après-2015 pour être exact. On
n’en voudrait pour illustrations que sa fameuse vision basée sur une
feuille de route à trois axes et l’annonce de la construction sous peu
de logements sociaux dont les travaux de démarrage sont programmés à la
fin d’année 2014. Tout cela, à quelques pâtées de l’élection
présidentielle cruciale de 2015. C’est simplement un message que l’homme
a voulu faire passer sans être explicite.
Tino Kossi