La consommation de carburant de contrebande suscite un engouement sans précédent chez les conducteurs de taxis-motos et autres usagers d’engins motorisés. Mais au-delà des consommateurs, il est à relever que les jeunes constituent les
principaux fournisseurs. Des jeunes au chômage mais aussi des élèves,
une couche de la société dont la place n’est nulle part d’autre que sur
les bancs. Votre journal a fait un tour dans le monde du « Boudè » pour
vous mettre au parfum de certains aspects cachés de ce commerce.
Adulé par les uns, décrié et réprimé par
les autres, le commerce de carburant de contrebande s’intensifie chaque
fois que par un stimulus incompréhensible, le gouvernement togolais
augmente le prix du carburant à la pompe. Pour contourner la hausse des
prix, les consommateurs s’acharnent sur le « Boudè ». Il se crée alors
des points de vente improvisés, aux abords des rues.
Une activité exercée, la peur au ventre
La répression aidant, les étalages facilement identifiables, même au loin, ont fait place à la discrétion.
Il n’est plus d’actualité de voir, en bordure des routes, des tables sur
lesquelles sont exposées les bouteilles d’essence. La discrétion est de
mise pour échapper aux rafles des agents de l’opération Entonnoir.
Un bloc de pierre de 15cm posé à même le
sol et servant de support à une bouteille parfois vide ou remplie, à
dessein, d’eau et un entonnoir à la main, telle est l’ossature visible
d’un commerce de carburant. Pour voir en réalité ce qui se cache
derrière ce rudiment d’étalage, il faut s’y approcher. Derrière le bidon
de 5 litres qui fait office du plus grand réservoir, se cache une plus
grande quantité de carburant stocké à quelques dizaines de mètres de
l’étalage. Six bidons de 5 litres reposent au loin à côté d’un tas
d’ordure, sous une table abandonnée, dans une touffe d’herbes… Les
astuces pour voiler la marchandise sont aussi nombreuses que de vendeurs
de carburant. La marchandise est stockée au lieu qui s’y adhère le
plus.
Au-delà de toute la vigilance qui
accompagne ce commerce proscrit par les autorités, on découvre son côté
salvateur. En effet, des jeunes des quartiers de Lomé et de ses
périphéries qui passaient le plus clair de leur journée à faire la ronde
des quartiers se retrouvent aujourd’hui avec un emploi sinon une
occupation rémunératrice et qui les met à l’abri de la délinquance et du
vol.
A la nuit tombée, le « trafiquant »
compte près de 200 litres de carburant vendus pour un bénéfice brut
d’environ 20 000FCFA. Le calcul est très simple, le contrebandier ayant
un bénéfice approximatif de 100 FCFA sur le litre d’essence vendu. De ce
bénéfice – qui dépend de la situation géographique du vendeur et de son
réseau de clients – il faut prélever les frais de corruption des agents
des douanes qui y trouvent leur compte. « Moi, je verse parfois 500 FCFA à chaque passage. Comme on se connait depuis longtemps, c’est plus facile »,
nous confie Matthias que nous avons suivi durant son périple pour aller
se procurer le carburant dans le Ghana voisin. A chaque passage, notre
guide transporte 40 litres d’essence répartis dans huit bidons de 5
litres.
Malgré les risques encourus, ces vendeurs ne comptent pas abandonner cette activité économique qui leur assure la survie. « Il
y a beaucoup de risques, surtout à cause des gendarmes, mais nous
sommes prudents. On ne peut pas rester à ne rien faire. Les enfants
doivent manger. Avant je ne faisais rien, maintenant je fais quelque
chose », explique un autre vendeur qui a requis anonymat. A la
moindre vue d’un véhicule de la police ou de la gendarmerie, les
marchandises disparaissent comme par enchantement. Il ne faut rien
laisser trainer et ne jamais avoir en sa possession une trop grande
quantité de carburant, telle semble être la règle.
Un business qui déscolarise certains apprenants
Avec tout l’aspect social louable de ce
commerce, il porte en lui un volet nuisible au cursus scolaire des
certains jeunes et adolescents. Si nous avons rencontré des jeunes qui
rasaient les murs la nuit comme le jour pour dérober les biens d’autrui
qui vivent maintenant de la vente de carburant, il nous a été aussi
donné de voir que l’avenir de certains élèves est hypothéqué par cette
ruée vers la vente illicite du « boudè ». Souvent en difficulté
scolaire, plusieurs élèves ont déserté les bancs pour se muer en
véritables champions de la vente de carburant. Ils ont troqué leur
tenues scolaires contre les entonnoirs avec à la clé une rémunération
quotidienne. « Je reçois souvent 1500 FCFA et le grand frère nous paie à manger pendant la journée », déclare fièrement un adolescent de 15 ans, en classe de 4e. Malgré son jeune âge, il a pris goût à l’argent.
Pour ces élèves, l’entonnoir dont ils se servent pour appeler les clients a substitué aux stylos, livres et cahiers. « Il ne vient plus à l’école. Il est devenu pompiste professionnel »,
ironisent des adolescents au sujet de l’implication de leur camarade
dans la vente du carburant de contrebande. Quand nous les avons
rencontrés, cela faisait déjà près d’un mois que cet adolescent sèche
régulièrement les cours. Pour ces élèves, le chemin de la richesse est
tout trouvé. Des cas similaires, nous en avons rencontré dans tous les
quartiers où nous avons promené nos oreilles afin ‘écouter davantage sur
le phénomène.
Il est à rappeler que ces élèves sont
majoritairement issus de familles pauvres ou vivent avec des parents peu
regardant sur les activités de leurs enfants. La vente de carburant de
contrebande bien qu’un palliatif au chômage des jeunes se révèle comme
un appât pour les élèves avides d’argent.