La Primature est depuis hier, le
centre névralgique du Togo. Il s’y tient la phase active des discussions
politiques devant aboutir à l’exécution des réformes constitutionnelles
et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg) prescrites
depuis le 20 août 2006. Un chantier qui aurait pu être exécuté depuis
huit (08) ans si la volonté politique y était. Et bien inspiré qui
pourrait présager de la bonne issue de ces pourparlers. Malheureusement,
c’est le sort du peuple togolais tout entier et de la démocratie, cet
idéal de gouvernance partagé, qui est en jeu.
Un dialogue, mais des questions
On ne peut que se
réjouir des discussions ouvertes à la Primature depuis hier, tant
l’attente a créé du stress et fait couler de l’adrénaline, aussi bien au
sein de l’opinion nationale qu’internationale. Après l’amorce du débat
par les échanges entre Jean-Pierre Fabre et Faure Gnassingbé, puis ceux
organisés à la Primature en mars dernier, ce fut le black-out total de
la part du gouvernement. Il a fallu la mobilisation générale avant que
Faure Gnassingbé ne se décide à en sortir et s’exécuter. Aux appels
intempestifs de l’opposition se sont adjointes les pressions
internationales tous azimuts des ambassadeurs occidentaux et de la
communauté internationale. Un cocktail qui a fini par faire plier le
pouvoir qui a décidé de relancer les discussions. Mais pour quelle
suite ? Toute la question est là.
En effet, il ne suffit point pour les
formations politiques invitées à la Primature de discuter pour la forme.
D’ailleurs les positions de tous ces protagonistes sont connues, et les
discussions ouvertes depuis hier paraissent comme inutiles (sic).
D’autant plus que plusieurs autres cadres ont déjà planché sur ces
questions essentielles à évoquer au cours de ces assises et ont arrêté
des propositions. La bonne foi animerait le pouvoir en place qu’on n’en
serait plus là. « (…) Il faut dire la vérité, aujourd’hui, on ne sent
aucune volonté de la part de ceux qui sont au pouvoir de faire les
modifications constitutionnelles indispensables! L’APG a été quand même
signé depuis août 2006. S’il y avait une volonté politique, je crois que
le Chef de l’Etat actuel et son gouvernement ensemble avec l’opposition
auraient déjà fini par mettre toutes ces réformes en place. Ça n’a pas
été fait jusqu’à présent. De loin, lorsque le Président Faure Gnassingbé
voulait arriver au pouvoir et succéder à son père, j’ai vu le nombre de
modifications constitutionnelles qu’il a pu, avec les gens du RPT à
l’époque, faire en l’espace de trois, quatre jours. Et ça a continué
jusqu’au 24 février. Ils ont fait la dernière modification avant qu’il
ne fasse son discours du 25 février 2005 pour se retirer, pour devenir
simplement candidat. Donc, je ne comprends pas aujourd’hui, alors qu’on a
fait plus de quatre à cinq modifications constitutionnelles chez nous
en l’espace de deux, trois jours, qu’on ne soit pas en mesure de faire
depuis 2006, des modifications constitutionnelles dont le Togo a besoin,
et notamment, d’inscrire dans notre constitution que le mandat
présidentiel est limité », a pesté Me Jean Dégli, dans une interview accordée au confrère palunion.com.
Au-delà de tout, l’essentiel
aujourd’hui, c’est de savoir l’orientation qui sera donnée à ces
réformes. Seront-elles biaisées pour faire le jeu du pouvoir ou
exécutées pour faire avancer la démocratie togolaise ?
La limitation de mandat, le sujet qui fait peur au pouvoir
Conditions d’éligibilité aux élections,
mode de scrutin, découpage électoral, réforme de la Haute autorité de
l’audiovisuel et de la communication (Haac) et de la Cour
constitutionnelle, choix du régime politique, composition équitable et
indépendance de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale
nationale indépendante (Céni), renforcement des prérogatives du Premier
ministre, neutralité de l’armée…c’est toute une suite de questions qui
sont inscrites aux réformes constitutionnelles et institutionnelles
nécessaires à la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et
de la bonne gouvernance. Mais une représente le nœud de toutes ; c’est
le sujet de la limitation de mandat.
L’alternance est un principe sacro-saint
de la démocratie. Faure Gnassingbé, parvenu au pouvoir en remplacement
de son père défunt dans des conditions restées en travers de la gorge
des Togolais, boucle en 2015 ses deux mandats légitimes au pouvoir et
devrait se retirer. Mais c’est justement à ce niveau que se situe toute
sa peur. Il a de la peine à envisager une vie hors du pouvoir, synonyme
de séparation d’avec les honneurs et les délices du pouvoir et d’entrée
dans l’anonymat. C’est cet état d’âme qui explique toute sa
tergiversation à exécuter les réformes depuis 2006. Et ce sentiment va
crescendo à mesure que l’échéance approche. Dans un premier temps, la
manœuvre a consisté à éclipser ces réformes et à mettre en avant les
dispositions de la Constitution – tripatouillée de 2002 qui a sauté le
verrou de la limitation du mandat présidentiel – pour passer ; mais la
géopolitique africaine et mondiale et les événements dans certains pays
comme au Sénégal lui compliquent la tâche. Avec les pressions tous
azimuts, il s’est vu obligé de se plier aux réformes. Mais la bataille
est loin d’être gagnée.
La survie de la démocratie au Togo suspendue aux envies de Faure
Tout le vœu des Togolais soucieux de la
démocratie dans notre pays serait simplement que les acteurs politiques
en discussions à la Primature parviennent à un compromis qui puisse
sauver la démocratie sur la terre de nos aïeux, cet idéal partagé de par
le monde qui fait le bonheur de certains peuples. C’est tout le monde
qui a en réalité à y gagner au Togo, aussi bien le pouvoir que
l’opposition.
Dans une brochure éditée aux fins de
campagne à l’exécution des réformes constitutionnelles et
institutionnelles, la Plateforme citoyenne Justice et Vérité a exposé
des raisons de s’engager. Pour cette coalition de la société civile,
c’est une condition pour rétablir la confiance et favoriser une
alternance apaisée, une base pour des élections apaisées et sans
violence, la garantie de la stabilité sociopolitique et du respect des
droits de l’Homme, la base d’un développement économique, le gage d’un
développement à la base, la valorisation de la participation de la
diaspora au développement du Togo et la mise en œuvre des engagements
internationaux du Togo. Mais ces grandes avancées et l’alternance à
gagner au bout de ces réformes sont-elles partagées par Faure Gnassingbé
aussi ? Toute la question est là, et il faudra compter avec ses
desiderata. Des manœuvres des émissaires du pouvoir de façon à entrainer
un blocage et justifier un plan B ne sont pas à exclure.
Tino Kossi
LIBERTE HEBDO