« Si on veut connaître le baromètre
de la liberté d’expression d’un pays, il ne faut pas aller voir le
Premier ministre, mais le dessinateur de presse » (de Plantu)
Une sorte de fonds de commerce entoure de plus en plus la notion de « dérives de la presse »,
dirait-on. À Yaoundé au Cameroun, les organes de régulation des médias
de plusieurs pays d’Afrique centrale et occidentale, y compris le Togo,
ont réfléchi ce début de semaine au cours de deux jours de travaux sur «
l’harmonisation des procédures de traitement des plaintes et des règlements»,
à en croire nos confrères de l’Agence Ecofin. Ils nous renseignent par
ailleurs que les responsables des instances de régulation des médias des
pays participants ont étudié les « possibles « actions concertées » à engager pour combattre les dérives de la presse dans les pays concernés ». Et faisant un commentaire au vitriol contre la presse, le ministre de la Communication du pays hôte est allé loin en notant qu’ «il
faut relever le défi de l’assainissement de la presse dans un contexte
de « généralisation de l’illégalité » et de prolifération d’actes de
diffamation».
Mais à voir de près la liste des pays
dont les instances de régulation ont participé à cette rencontre, une
seule question vient à l’esprit : de quoi parlons-nous au juste, entre
dérives de la presse ou dérives liberticides des pouvoirs en place ? Il
suffit par exemple d’analyser la position de bien de ces pays présents à
la réunion de Yaoundé dans le dernier Classement mondial de la liberté
de la presse de Reporter Sans frontières pour s’en convaincre. Le
Rapport en question dit par exemple: « Le Tchad aux mains d’Idriss
Déby s’illustre par une politique de répression à l’encontre des
journalistes, tandis que le climat se durcit au Cameroun, que le Burundi
fait passer des législations inquiétantes… ». De plus, l’état de la
liberté de presse dans les pays comme le Bénin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, le Togo…n’est guère reluisant, selon le même rapport.
Pourtant, toute honte-bue, ces différents pays ont eu le « culot »
de se présenter à la réunion du Cameroun avec la prétention de donner
des conseils à la presse en matière de dérive. Quelle pantalonnade!
Comment supporter ces effronteries ? Il
faut sans doute rappeler à ces prétentieux responsables d’instances de
régulation des médias, la parabole de la paille et de la poutre. «Ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de l’autre… »,
nous dit cette légendaire sagesse. Eh oui, cette presse africaine qui
se fraye tant bien que mal, une place sous le soleil n’est certes pas
exempte de « bévue de presse », mais il serait facile et
simpliste de l’accabler tout le temps de tous les noms d’oiseaux. Cela
ressemble fort à un nouveau fonds de commerce pour les régimes
autocratiques qui font fi de la moindre critique. Cela s’apparente
manifestement à un jeu pour se donner bonne conscience. Il faut que ces
régimes réfractaires à la liberté d’expression, se donnent la peine
d’amender leurs propres travers, leur violation des règles d’éthique et
de déontologie professionnelle, ainsi que des lois nationales. D’où la
nécessité d’une véritable autocritique.
Ivan Xavier Pereira
LIBERTE HEBDO