Des syndiqués gonflés à bloc et
décidés à crever l’abcès, un Secrétaire général autoritaire, braqué et
arrachant la parole à tout participant indiscret qui tentait de poser
une question relative au fond du scandale, des membres visiblement
instrumentalisés pour le cautionner dans sa voie suicidaire et désavouer
le comptable, bourdonnement général…C’est l’ambiance qui a régné cet
après-midi du vendredi 16 mai 2014 au siège de la Confédération
syndicale du Togo (Cstt), au cours d’une Assemblée générale
d’information (sic) improvisée par Sébastien Ayikoué Têvi sur un
différend qui l’oppose au comptable de la structure syndicale et qui est
pendant devant le Tribunal du travail, une séance qui s’est terminée en
queue de poisson. Mais derrière cette coulée d’adrénaline, se trouve
une sérieuse affaire de détournement de plus de quarante-six millions de
FCFA.
Une mutation du comptable qui met à jour une affaire de détournement
Par une note de service N°004/SG/14
portant restructuration du personnel de la Confédération syndicale des
travailleurs du Togo (Cstt), en date du 23 avril 2014 et signée du
Secrétaire général Sébastien Ayikoué Têvi, il a été procédé à une
mutation des employés. Et parmi les agents affectés par cette décision,
ou plutôt le tout premier visé est « M. Agbodo Komi, précédemment
Comptable au siège de la Cstt, muté au Centre médico-social de la
Musa-Cstt en qualité de comptable ». C’est pratiquement le service de la comptabilité au complet qui a été seul concerné par cette note de service et est « provisoirement rattaché au Secrétariat général ».
Juste au lendemain de cette note, soit le 24 avril 2014, une correspondance adressée au sieur Agbodo lui demande de « bien vouloir remettre tous les chéquiers en [sa] possession au Secrétaire général dans les 48 heures ». En réponse à ce dernier courrier, le comptable affecté a relevé que « conformément
aux principes comptables, un comptable ne quitte pas son poste sans que
les organes de contrôle financier, en l’occurrence le commissariat aux
comptes, n’ait été convoqué pour faire l’état des comptes » ; mais « force est de constater que cet organe n’a plus été convoqué depuis 2011 ». « Au regard de ce qui précède, je viens par la présente vous informer que je suis au regret de ne pouvoir répondre favorablement à votre demande de remise des chéquiers », a tenu à signifier Komi Agbodo, avant d’assurer son interlocuteur de sa disponibilité à « assurer toutes les transactions financières suivant les règles généralement admises en attendant la convocation des commissaires aux comptes ».
Il est revenu plus tard dans un autre courrier daté du 30 avril sur ces
observations sur les principes comptables, et a fait observer « qu’une remise de chéquier au Secrétaire général, ordonnateur des dépenses, n’est pas réglementaire ».
Le quiproquo a continué, de même que les pressions sur le comptable
jusqu’à ce que, de guerre lasse, il n’assigne le Secrétaire général de
la Cstt devant le Tribunal du travail. L’affaire est actuellement
pendante devant la justice.
Pressions incessantes sur le comptable
Un comptable qui, de gré, demande que sa
gestion soit vérifiée par les commissaires aux comptes avant de quitter
le poste ; et un employeur, ordonnateur des dépenses qui se braque,
refuse cette vérification et lui fait des misères ? Il faut au prime
abord avouer que des comptables aussi vertueux, il n’en existe presque
plus. Le bon sens ne peut donc qu’être heurté par une telle réaction du
Secrétaire général de la Cstt. Et de là à soupçonner une volonté de sa
part de cacher des choses, le pas est vite franchi. Des propos du
comptable confirment ces soupçons et l’existence des malversations
financières.
A en croire ses propres révélations, M. Agbodo Komi est l’objet de harcèlement, de « pressions incessantes » de la part du Secrétaire général de la Cstt, Sébastien Ayikoué Têvi, « pour justifier des activités partiellement réalisées ou pas du tout réalisées »
– le taux de réalisation effective des activités serait très faible
voire insignifiant. Il a relevé, dans son courrier du 25 avril, avoir
exigé la cessation des pressions sur sa personne lors d’une réunion
tenue le 14 avril 2014, et parle de « dérives constatées depuis un temps dans la gestion du patrimoine de la Cstt », dérives si criardes qu’il ne saurait cautionner. « J’ai
participé à l’atelier de lancement de lancement du programme WSM/DGD
2014-2016 qui a introduit une réglementation financière assez
contraignante pour notre système de gestion qui ne respecte aucune
procédure réglementaire. J’ai une nouvelle fois attiré votre attention
sur cet état de choses et votre réaction a été de me sommer « de la
boucler » à la première initiative en 2013. Vous n’avez pas manqué de me
dire dans votre bureau : « Tu n’as rien à proposer, c’est ce que je te
dis de faire que tu dois faire »…Vous n’avez pas manqué de me dire dans
la matinée du 23 avril 2014 avant de me remettre la note de mutation :
« si j’étais à ta place, j’allais démissionner » ».
De guerre lasse, outré par le
harcèlement et les pressions du Secrétaire général de la Cstt, le
comptable a dû saisir le 12 mai dernier par courrier les Secrétaires
généraux des Fédérations professionnelles de la Cstt, avec copies aux
syndicats de base, pour les tenir informés de la situation qui y
prévaut. « Le service financier a constaté depuis, des problèmes de gestion des finances de la Cstt qu’il a dénoncés. Cette situation a provoqué une série de mutations dont celle de ma personne. Afin
de faire une passation de service dans la transparence, j’ai demandé au
Secrétaire général de la Cstt de convoquer les vérificateurs aux
comptes pour procéder à un audit interne. Il a rejeté cette proposition », a-t-il écrit. Et de leur demander, « eu égard aux malversations financières constatées », de s’« approprier
ce dossier pour que les textes de la Cstt soient respectés dans
l’intérêt des militants et pour la sauvegarde du patrimoine de la
Confédération », joignant à sa correspondance certaines pièces comptables et les courriers échangés avec le SG de la Cstt.
Détournement manifeste, faux et usage de faux…
Quarante-six millions neuf cent
soixante-sept mille (46 967 000) FCFA. C’est le montant total sur lequel
portent les soupçons. Il s’agit des fonds destinés à des activités des
fédérations ou syndicats membres de la Cstt, bien encaissés par
Sébastien Ayikoué Têvi, mais qui n’auraient été que partiellement ou
même pas du tout réceptionnés par les responsables desdites structures
syndicales, les vrais bénéficiaires. En clair, de l’argent est décaissé
pour des activités, mais proprement détourné. L’analyse des pièces
comptables permet de réaliser que dans la même journée, plusieurs
encaissements sont faits par le Secrétaire général. Des fonds qui
varient entre 150 000 et 7 500 000 FCFA. Les langues se délient et des
responsables de syndicats rencontrés au sortir de l’AG de vendredi
dernier n’ont pas pu retenir leur colère. C’est avec la révélation
publique de ce scandale que la plupart savent que des fonds ont été
encaissés sur leur dos sans qu’ils n’en voient la couleur.
Au-delà du détournement, il y a
visiblement du faux et usage du faux. Les vrais bénéficiaires voient
signer à leur place. Et alors qu’ils sont différents, il est loisible de
constater sur les pièces de décharge que les signatures sont presque
les mêmes. Pour une activité du Syndicat national des praticiens
hospitaliers du Togo (Synphot) ou du Syndicat des agents des pharmacies
privées et grossistes-répartiteurs (Synaphaprig) par exemple dont les
responsables devraient être différents, de même que les seings, ces
signatures se ressemblent curieusement. Il s’agit en fait d’une sorte de
griffes apposées sur les documents au lieu d’une signature en bonne et
due forme. Et parfois, ce sont des motifs fictifs qui sont indiqués
comme justificatifs de ces décaissements. Le SG aurait créé un circuit
parallèle de décaissement des fonds, contrairement aux procédures. En
lieu et place de la signature du comptable qui devrait tenir lieu de
visa de la comptabilité, il nous revient que c’est plutôt celle de la
caissière que l’on retrouve sur les pièces. De là à conclure qu’il est
en intelligence avec cette dernière pour opérer, le pas est vite
franchi.
Des faits qui confondent Sébastien Ayikoué Têvi, l’image de la CSTT écornée
Plus que des allégations, les faits
rapportés sont confirmés par des responsables de syndicats grugés et des
preuves matérielles. On dénombre en tout trente (30) encaissements
faits de mai 2011 à octobre 2013. L’année 2014 en cours n’est pas
concernée, et sans doute qu’il devrait y en avoir aussi. Et,
curieusement, la période incriminée coïncide avec le mandat de Sébastien
Ayikoué Têvi à la tête de la Cstt. Rappelons que l’homme, Secrétaire
général adjoint, avait assuré depuis 2011 la gestion de la Confédération
en tant qu’intérimaire en l’absence du titulaire élu de l’époque,
Adrien Béliki, avant d’être confirmé au cours d’un congrès en 2012. Il
aurait même précédemment occupé pendant des années le poste de Trésorier
général.
La gestion financière sous son règne se
conjuguerait sans transparence et avec jonglages. Comme si c’était fait à
dessein pour pouvoir se sucrer tout en paix, le commissariat aux
comptes n’a jamais été actif. Selon les sources, c’est le refus du
comptable de faire encore des « jonglages » pour produire un rapport
financier qui serait son crime de lèse-majesté. Plus sérieux, il nous
revient que les audits financiers établis pour les exercices 2011 et
2012 l’auraient été sans une bonne partie des pièces comptables. Ce sont
les mêmes gymnastiques qui serait demandées au cabinet d’audit – nous
taisons le nom pour l’instant – pour l’année 2013. Mais ses
responsables, gênés par leur conscience et redoutant de mettre en péril
la crédibilité de leur cabinet, auraient refusé de s’y plier. Selon les
informations, c’est à peine 60 % des pièces qui leur seraient
transmises, et toutes leurs relances au Secrétaire général de la Cstt
sont restées vaines. Comment comprendre qu’il puisse rattacher la
Comptabilité au Secrétariat général, vu que dans le cas d’espèce, il est
en même temps ordonnateur des dépenses et exécutant !?
A l’AG d’information improvisée vendredi
dernier, c’est un Sébastien Ayikoué Têvi très autoritaire, muselant ses
camarades qui tentaient d’aller au fond du scandale, qu’on a trouvé –
l’homme serait un véritable gourou, intimidant des collaborateurs au
point qu’ils préfèrent la boucler pour ne pas subir son courroux ; ce
qui est assez regrettable pour le monde syndical où la démocratie
syndicale est un principe -. Mais les faits sont là, évidents, comme le
nez planté au milieu de la figure ; et le scandale est déjà sur la place
publique. Il s’est opposé à la vérification interne requise par le
comptable, mais aussi à l’audit externe de sa gestion financière demandé
par les membres ce vendredi. Et pour brouiller les pistes, – c’était le
cas avec le mandat de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation
repoussé par le pouvoir jusqu’à 1958 alors que l’essentiel des faits de
violence s’est déroulé en avril 2005-, Sébastien Ayikoué Têvi
accepterait finalement l’audit, mais proposerait de l’étendre jusqu’en
2005, alors que c’est sa gestion à lui de 2011 à 2013 qui est querellée.
Toutes nos tentatives pour le joindre
afin d’avoir sa version des faits, ont été vaines. Aux dernières
nouvelles, l’homme serait parti en voyage en Belgique. Qu’à cela ne
tienne, avec ce scandale, c’est l’image même de la Confédération
syndicale au sein de l’opinion qui en pâtit. « Les travailleurs
togolais ont perdu toute confiance aux centrales syndicales. Mais la
Cstt est de toutes, celle qui a réussi à garder encore une once de
crédibilité. Le pouvoir pensait arriver à placer une de ces centrales
acquises à sa cause à la tête des travailleurs pour parler en leur nom
et dévoyer souvent les luttes sociales, raison pour laquelle il a fait
organiser des élections sociales. Mais la Cstt a déjoué les pronostics
et est arrivée à se hisser au-devant (…) Il aurait été souhaitable que
ses responsables soient vertueux pour garder une certaine crédibilité
vis-à-vis des travailleurs et de l’opinion. Mais avec ce scandale, M.
Têvi donne du grain à moudre aux détracteurs de la Confédération », regrette un ancien syndicaliste.