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Formalisme et réformes
Publié le mercredi 21 mai 2014  |  icilome


© aLome.com par Parfait
Le Chef de l’Etat Togolais , Faure et son Premier Ministre AHOOMEY-ZUNU.


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En lisant le communiqué qui sanctionne la première journée du dialogue inter-togolais ouvert ce lundi 19 mai 2014 ( on en est à quelle édition déjà ?) qui fait état de l’élection du bureau de ce dialogue et des sujets de discussion retenus, je me suis demandé si la maladie du Togo n’est pas surtout le formalisme dans lequel nous nous complaisons et qui finira par noyer totalement et définitivement l’idée même de réformes. Et, m’interrogeant, je n’ai pas pu résister à la forte tentation de vouloir partager mes interrogations avec nos compatriotes.


Le premier signe de ce formalisme que l’on peut déceler dans la composition du bureau ne saute pas tout de suite aux yeux : apparemment, il intègre tous les partis représentés à l’assemblée nationale, à raison d’un membre par parti, s’offrant même, dans sa recherche de l’équilibre et du consensus, deux luxes de taille.

Le premier est d’être présidé par un parti d’opposition, l’ADDI, pour que l’on n’accuse pas le RPT-UNIR de s’y tailler la part du lion, et le second est de concéder un poste de troisième rapporteur à l’UFC. Sans caricaturer, s’il y avait cinquante autres partis «parlementaires», peut-être aurions-nous cinquante autres rapporteurs, ou vice- présidents, ou conseillers, ou je ne sais quoi encore, un peu comme à la cour du Roi Christophe1 quand il entreprit d’attribuer des titres de noblesse à ses courtisans.

L’important est que chaque parti, c’est-à-dire chacun ait un titre dans cet auguste bureau et que personne ne se plaigne. Et personne ne s’est plaint. «Que ce soit le parti au pouvoir (UNIR) ou l'opposition (ANC-ADDI-UFC-CAEC) personne n'a accepté d'accorder d'interview ou de faire de déclaration à la presse à la sortie du jour 1.”, peut-on lire dans la presse. Cela ressemble étrangement à un jeu de mutisme volontaire convenu auquel nous nous livrions quand nous étions petits et dont l’une des règles était “ ameke la kenua kõti gbã…” ( celui qui ouvrira la bouche recevra un coup de poing bien retentissant…”. Qui donc est celui qui osera ouvrir la bouche ?

Il sera certainement accusé de briser le beau consensus…Il faut donc laisser le temps au consensus de se briser lui-même. Faut-il rappeler des souvenirs anciens et récents ? Plutôt douloureux.

Mais, le vrai problème n’est pas là. Il est plutôt dans l’examen des sujets retenus. Personne n’a dit, personne ne dira peut-être quel est le statut du bureau de ces assises par rapport aux institutions actuelles de la «République ». Ses décisions engagent-elles le chef d’État actuel, le gouvernement actuel, l’assemblée nationale actuelle ? Ce bureau se place-t-il au-dessus de ces institutions ? Si l’un des membres du dialogue déclarait que ces institutions sont mal élues, illégitimes…le débat sur ce point, serait-il autorisé ? Je dis simplement le débat !

Et cette question m’amène au tout premier point des sujets retenus : pourquoi en mai 2014, discutons-nous encore de la nature du régime d’un État qui a proclamé son existence au monde depuis le 27 avril 1960 ? Et n’y a –t-il pas eu d’autres occasions, d’autres assises où cette question avait été soulevée et où les Togolais avaient eu le sentiment de l’avoir définitivement résolue ? Combien d’assises ? Sommes-nous sûrs, quelles garanties avons-nous que cette fois soit la bonne ?


Toujours concernant le régime, si quelqu’un, au cours des débats ouverts ce 19 mai, insinuait que nous ne sommes pas dans une République depuis le règne d’Eyadema à qui son fils a succédé, mais dans une monarchie héréditaire, accepterait-on le débat ?
Juste le débat ?


À part ça, parlez à loisir de la nomination et des prérogatives du Premier ministre ( comme si on n’en avait jamais parlé dans aucun texte du Togo, ni dans la Constitution de 1992, ni dans aucun des accords signés à l’issue des dialogues précédents entre le pouvoir et l’opposition), parlez de la durée du mandat présidentiel et de la limitation des mandats…( comme si on n’avait jamais trouvé de solutions à ces questions ), offrez-nous un sénat, des élections locales, pour qu’il y ait de la place pour tous dans les institutions aux postes bien rémunérés.

Tous ceux qui s’agitent seront un peu tranquilles. Attrapez-moi les pyromanes des marchés de Lomé et de Kara. Brûlez-les moi vifs, si vous voulez ! Mais, ne touchez pas au trône des Gnassingbé !

Et qui êtes-vous pour y toucher ? De quelle autorité sont investis les participants au dialogue pour remettre le pouvoir Gnassingbé en cause ? Parlez de consensus et Gnassingbé est le consensus, puisqu’il a daigné vous convoquer pour y parvenir. Et quand il n’y aura plus de consensus, appelez-le et il viendra le rétablir. Parlez d’apaisement, et l’apaisement c’est Gnassingbé, puisqu’il a apaisé vos agitations en vous concédant les assises présentes. Parlez d’alternance, à condition que cela ne le concerne pas, puisqu’il fait alterner les hommes qu’il choisit au poste de Premier ministre, au gouvernement.

D'ailleurs, puisqu'on parle de dialogue, les différents partis n'ont-ils pas eu, chacun, leur tour de présidence du bureau? Ils devraient se contenter de cette forme d'alternance qui peut conduire loin, jusqu'à la primature. N’est-ce pas là la voie suivie par le CAR et l’APG? Parlez-lui d’amour, puisqu’il vous aime tous. L'amour de Gnassingbé éclate d'autant plus qu'il plonge ses adversaires de l'opposition dans la haine la plus sombre qu'ils éprouvent les uns pour les autres, dans le tissu brûlant des injures dont ils se couvrent les uns les autres. L'amour paternel de Gnassingbé vous accompagne jusqu’au jour où l’un de vous, comme l’écrit l’apôtre Paul, osera « prêcher un autre évangile » d’Amour, de réconciliation, de tolérance, de démocratie etc. que celui qu’il vous prêche. « Qu’il soit anathème ! ».


Au fond, les Togolais anathèmes, ils doivent être légion. Ceux qui se reconnaissent et ceux qui s’ignorent. Car, tous les sujets qui préoccupent les Togolais, sont-ils vraiment retenus sur la liste établie ?

Je prends juste celui-ci : pas plus tard que dimanche, je participais à une conférence de Togolais de l’étranger qui parlaient d’écrire aux protagonistes du dialogue, gouvernement et opposition, aux éventuels facilitateurs dont l'incontournable Blaise Compaoré ( qui nous a tant de fois secourus!), à la communauté internationale… pour que la question de leur recensement et de leurs droits civiques figure parmi les sujets à débattre et qu’ils aient même des représentants à ces assises. J’ai peut-être mal lu le communiqué : c’est pour cela que je n’y ai pas vu d’allusion à cette préoccupation des Togolais de l’étranger.


Le formalisme est dans nos têtes (dans notre sang ?). À quelque camp que nous appartenions, de quelque côté que nous nous trouvions, le formalisme nous rattrape, nous encercle et nous noie. Et ce n’est pas l’embrouillamini d’une phraséologie dans laquelle mijotent quelques mots galvaudés, toujours les mêmes (dialogue, tolérance, alternance, transparence, amour, apaisement, bonne gouvernance etc.), qui nous en délivrera. On ne peut pas à la fois reconnaître que l’homme qui fait obstacle au vrai dialogue soit l’initiateur du dialogue. La moindre des choses, c’est de commencer par remettre en cause son propre statut. Après viendront tolérance, amour, apaisement, bonne gouvernance, alternance, démocratie, droits civiques reconnus à tous les Togolais.

Pour réellement faire des réformes, il nous faut d'abord sortir du formalisme. Cela ne me paraît pas si simple que ça. A moins que le formalisme arrange tout le monde, aussi bien le pouvoir en place que l'opposition. Ou qu'il s'agisse d'une comédie bien réglée où chacun joue son rôle. Et le joue à merveille!

Sénouvo Agbota ZINSOU

1. Aimé Césaire, La tragédie du roi Christophe, Présence africaine 1958





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