Le gouvernement avait annoncé, tambours battants, le début des assises sur la santé à compter de ce lundi.
Ces assises dont l’idée avait été jetée à la volée par le président de la République lors de son discours du 26 avril 2013, sont reportées au 16 septembre prochain.
Sur le principe, ces assises sont censées faire d’une part, un diagnostic complet des maux qui minent le secteur de la santé et celui de l’éducation et de l’autre, proposer des solutions pratiques pour y remédier en vue de donner un souffle nouveau aux deux secteurs vitaux du pays.
Quelle vision pragmatique du pouvoir !!!! Dirait-on si l’on est vraiment naïf des motivations profondes qui sous-tendent une telle initiative.
Pour les évoquer, nous faisons simplement observer que ces assises se tiennent à moins de 16 mois de la tenue de la prochaine élection présidentielle censée consacrer la fin du deuxième mandat de l’actuel Chef de l’Etat.
Ensuite, elles se tiennent quasiment dans le dernier trimestre de l’année, ce qui signifie clairement que tant que ses conclusions ne seront pas validées par des textes de lois, elles ne risqueront pas d’être prises en compte par le budget 2014 d’autant plus que l’élaboration du budget commence en ce mois de septembre.
Ces deux constats faits, on peut alors bien comprendre le sens d’une telle démarche du pouvoir. Il s’agit bien de trouver le moyen détourné de bâillonner la dynamique revendicative amorcée depuis le début de l’année principalement par le personnel des deux secteurs.
Sinon comment a-t-on attendu béatement l’implacable grogne sociale dans les deux secteurs avant d’initier de telles assises comme une panacée alchimique ?
Mieux, quels sont les maux dont souffrent les deux secteurs que le Président de la République et son gouvernement ne connaissent pas déjà ?
Qu’à cela ne tienne, nous allons faire l’effort de nous départir des conclusions que certains pourraient être amenés à qualifier de hâtives ou de précipitées.
Nous faisons juste observer que le dilatoire, la fuite en avant, la diversion ont toujours été les principales manœuvres que le pouvoir actuel a permanemment utilisé pour échapper aux situations difficiles.
Espérons simplement que cette fois-ci, les dirigeants de notre pays vont se laisser traverser par un brin de sincérité et d’honnêteté.
Mais avant, il nous paraît opportun, à la veille de l’ouverture de ces assises de rappeler la pertinente lettre écrite par un médecin pour répondre aux différents points évoqués par la président de la République lors de son discours du 26 avril dernier et qui prouve à suffisance qu’en réalité, les problèmes du secteur de la santé comme d’ailleurs ceux de l’éducation sont bien connus par tous, et ce depuis des années.
Lire l’intégralité de la lettre
Excellence Monsieur le Président
Comme de nombreux Togolais, j’étais particulièrement soulagé de savoir que le chef de l’état allait enfin s’adresser à la nation dans son discours du 26 avril. Monsieur le Président de la République, les attentes de vos citoyens sont si nombreuses, leur désarroi si poignant, les éléments de dissension si aigus qu’il était capital que vous sortiez de votre silence pour apaiser leurs angoisses.
Les citoyens étaient en droit d’espérer un discours fort, des orientations politiques, économiques et sociales courageuses et réfléchies, des solutions innovantes. Mais qu’avons-nous entendu, Monsieur le Président ?
Vous avez tenu à rappeler certaines valeurs humaines en perdition dans notre société. Soit ! Cela est même honorable pour un chef d’état que d’insister sur des valeurs civiques universelles qui sont le fondement de toute société démocratique (et je rappelle au passage que ces valeurs ne sont pas l’apanage du Togo comme vous avez semblé le dire).
Toutefois Monsieur le Président, la première réflexion qui me vient à l’esprit est la suivante : quel exemple vous et votre gouvernement donnez à la société ? Une sagesse de chez nous dit que « le foulard se noue depuis la maison », autrement dit « l’exemple doit venir d’en haut »… Si nous nous accordons sur cette vérité, alors permettez-moi de vous poser une seule question : quelle vertu incarnez-vous pour que toute la nation soit à votre image ?
Je vais vous simplifier la tâche en diversifiant votre choix Monsieur le Président, quelle est cette vertu incarnée par un seul des membres de votre gouvernement et que vous souhaitez voir toute la société togolaise adopter ? Je n’en vois aucune Monsieur.
Votre entourage le plus immédiat nous a habitués à un véritable ballet de guignols Monsieur le Président de la République ! Je vais prendre seulement 02 exemples récents pour vous éclairer. Un de vos ministres a tenté de corrompre les responsables du SYNPHOT (Syndicat National des Praticiens Hospitaliers du Togo) en leur proposant 250 millions de FCFA. Lorsque l’information est sortie, qu’est-ce que le défenseur des vertus que vous êtes a fait Monsieur le Président ? Rien. Ce ministre est toujours en fonction.
Lorsqu’à Dapaong, les forces de l’ordre n’ont pas su faire preuve de professionnalisme et ont sauvagement réprimé les manifestations pacifiques des élèves, qu’avons-nous vu ? Deux de vos valeureux ministres sont passés sur la chaine nationale le soir du 15 avril pour débiter des inepties (comme à leur habitude) et de surcroit avec le sourire ; vous auriez pu leur demander d’avoir au moins une mine de circonstance pour respecter un tant soit peu la douleur des familles.
Pire, un de ces deux ministres par la suite a osé dire à la nation, je cite : « les coups portés dans le ventre ne peuvent pas entrainer la perforation intestinale chez un enfant ».
Quand j’entends ce genre de bêtises, je me dis que Dieu a maudit le Togo. Monsieur le Président, défenseur des vertus, comment avez-vous pu vous entourer d’énergumènes de cet acabit ? Pensez-vous pouvoir nous sortir de l’ornière avec des incompétents de cette espèce ?
Je suis médecin monsieur le Président et je trouve inadmissible que les institutions médicales n’aient pas encore réagi face à de telles balourdises insultantes pour l’ensemble de la corporation médicale et qui salissent l’image de notre pays. Que disent les sociétés savantes médicales, que dit l’Ordre National des Médecins du Togo quand les fondements de la vérité médicale se trouvent ébranlés par nos propres dirigeants ?
Face à cette situation révoltante qui a conduit même une partie de l’église catholique à sortir de son silence (parfois coupable) et à vous adresser un pamphlet, qu’avez-vous fait Monsieur le Président, défenseur des vertus ? Encore rien.
Et vous venez nous parler de valeurs ! Ne retournez pas le couteau dans nos plaies, Monsieur.
Dans votre discours, vous avez récusé « les extrémismes et toutes les violences… ». Soit ! Mais à qui vous adressez-vous ? A ceux qui ont tué Anselme Sinandaré, Sinalengue Douti, Joachim Atsutsè Agbobli, Tavio Amorin et bien d’autres encore, ou bien aux pauvres travailleurs défendant leurs pauvres intérêts ?
Revenons à l’actualité. Un de vos défenseurs a dit qu’Anselme est mort accidentellement car, sur les lieux, on a retrouvé plus de 60 cartouches qui auraient pu aussi faire mouche, s’il y avait eu de la part des forces de l’ordre, une réelle volonté de tuer. Mais dans quel pays sommes-nous ? Comment, si tant est vrai qu’on a retrouvé autant de cartouches par terre, comment donc peut-on vider les chargeurs de son arme (même pour des tirs en l’air) quand on a en face de soi des enfants ?
C’est tout ce que vos amis ont trouvé pour vous sortir de la m… ? S’ils n’ont pas de meilleurs arguments demandez-leur de se taire. Monsieur, tous ceux qui, face à nos enfants, ont tenu des armes de guerre, ceux qui s’en sont servi, ceux qui ont autorisé leur usage doivent répondre de leurs actes en justice. C’est le seul moyen de défendre la vertu et les valeurs, si vous pensez réellement que, et je vous cite : « nos enfants sont ce que nous avons de plus cher ».
Monsieur le Président, j’ai eu le sentiment en vous écoutant que « les secteurs de l’éducation et de la santé, en proie à des agitations récurrentes » sont constitués d’individus qui ne reconnaissent pas « les efforts que vous avez déployés et y répondent constamment par de nouvelles exigences ».
Et il vous revient que « le sens de l’accueil, l’écoute attentive, font parfois cruellement défaut dans nos centres hospitaliers comparés à des mouroirs, des lieux où le citoyen démuni sombre dans le désespoir, faute d’une prise en charge adéquate. Les patients ressentent un sentiment pénible d’abandon et d’indifférence ».
Vous semblez insidieusement accabler le personnel soignant. Nous n’allons pas nous défiler ni nous dédouaner, Monsieur. Osons reconnaitre nos fautes car faute avouée… Nous avons certainement beaucoup d’améliorations à apporter à l’accueil des malades et aucune difficulté ne saurait expliquer le mauvais accueil et les attitudes malséantes vis-à-vis de nos frères et sœurs.
Nous sommes d’ailleurs disposés à en discuter pour y apporter des solutions.
Mais Monsieur, je voudrais relever une chose importante : les maux de notre système de santé, qui vous conduisent à vous soigner ailleurs, le cas échéant, sont fortement conjoncturels et organisationnels et, ni vous ni votre gouvernement n’avez été capables d’y répondre. Je ne vais pas vous amener à une analyse systémique. Je vous convie seulement au chevet du CHU Sylanus Olympio.
Un document officiel établi en 2013 par le directoire de cet établissement affirme clairement, je cite « le CHU SO traverse actuellement une situation de crise caractérisée par le manque ou l’insuffisance de consommables et de matériels de travail dans les services, les pannes à répétition du matériel existant eu égard à sa vétusté. Cette situation est liée à l’insuffisance des moyens financiers pour l’achat de consommables nécessaires et le renouvellement du matériel ».
Un autre passage de ce document : « l’état de délabrement du matériel et des infrastructures justifie en grande partie la régression des activités du CHU SO ».
Encore un autre passage : « la dette cumulée du CHU SO au 31 décembre 2012 est de 4.677.823.880FCFA… L’analyse du portefeuille de la dette est la suivante : dettes d’exploitation 3.007.251.176FCFA ; dettes fiscales 303.871.204FCFA ; dettes sociales (CNSS, CRT, INAM et personnel) 955.254.772FCFA ; dettes financières (découverts bancaires) 411.446.728FCFA ».
Encore un passage : « avec le décret du 26 décembre 1990, octroyant l’autonomie de gestion au CHU SO, l’Etat devrait normalement assurer les mesures d’accompagnement, ce qui n’a pas été le cas. A partir de son autonomisation, le CHU devra désormais se financer sur ses ressources propres issues des actes dont les prix sont fixés par le ministère de la santé selon l’arrêté N° 0039/MS/CAB/DGS/DES du 27 février 2012 et qui sont largement en dessous du coût réel ».
Encore un passage : « autres situations conjoncturelles liées à la création des services d’hémodialyse, du scanner, de la réanimation polyvalente et l’INAM : la création de ces services n’a pas fait l’objet d’étude préalable devant permettre une analyse et une évaluation des charges récurrentes telles que : les charges liées aux ressources humaines, les charges d’électricité, eau et communication, les charges de maintenance, les charges de renforcement de capacité. Il existe d’autres charges telles que : le manque à gagner lié à l’activité de la césarienne (en moyenne 66.000.000FCFA pour l’année 2012 » (au passage, nous vous remercions pour avoir mis en place la césarienne subventionnée mais nous attendons toujours les mesures d’accompagnement car ce sont les budgets des hôpitaux qui soutiennent votre politique).
Je ne vais pas multiplier les exemples monsieur, je vais finir avec un tableau récapitulatif issu de ce document : ce tableau présente pour l’exercice 2012, les opérations effectuées sur les différentes subventions de l’état.
Total (FCFA)
2.639.991.006
1.760.000.000
879.991.006
Et le document ajoute : « à l’analyse on constate que l’écart entre les subventions et les opérations qu’elles sont censées couvrir constitue un manque à gagner d’un montant de 879.991.006 FCFA ».
De ce qui précède, je déduis que le personnel de santé n’est pas responsable si « nos centres hospitaliers sont comparés à des mouroirs, des lieux où le citoyen démuni sombre dans le désespoir, faute d’une prise en charge adéquate ». Il y a une grosse part d’amateurisme, de mauvaise orientation, de manque de vision.
Entretemps vous nous aviez vendu le projet BIDC comme la solution miracle ; cette solution nous a couté 10 milliards de FCFA bien comptés, que le contribuable devra rembourser. Et pourtant, quelques mois après l’exécution de ce projet, les experts parlent encore « d’état de délabrement du matériel et des infrastructures qui justifie en grande partie la régression des activités… ». Et comme pour narguer le peuple, vous avez décoré ce 27 avril, la personne qui a calamiteusement piloté ce projet.
Les Grandes Assises que vous annoncez comme la panacée, seront organisées « très prochainement » dites-vous ??!! Je comprends mal d’ailleurs que votre gouvernement ait attendu la dernière moitié, de votre dernier quinquennat pour organiser des assises censées faire le diagnostic des maux dans des secteurs aussi cruciaux que la santé et l’éducation.
Ces assises arrivent tardivement, mais mieux vaut tard que jamais. Beaucoup de nos maux sont connus, je vous en ai cité quelques exemples concernant le CHU SO. Avez-vous la volonté réelle de les solutionner ? Si oui, alors allons aux assises.
Mais si c’est pour nous jeter de la poudre aux yeux, si c’est pour faire un effet d’annonce, comme lorsque vous déclariez que seule une minorité détient les richesses de ce pays, sans pour autant avoir le courage et la détermination nécessaires pour y remédier… alors inutile de nous faire perdre notre temps et notre argent.
Au passage Monsieur, je vous rappelle que le courage et la détermination sont des vertus cardinales ; les avez-vous ? Pourtant, j’ai vu certains de vos administrés en avoir et refuser les offres machiavéliques d’achat de conscience dont vous et votre gouvernement usez et abusez à outrance.
Pourtant l’argent de la corruption, issu du trou budgétaire abyssal (certains l’évaluent entre 600 et 1000 milliards de FCFA) que vous alimentez avec les ressources de la nation, cet argent disais-je, pourrait servir à régler tant de problèmes. L’éducation, cet autre cheval de bataille auquel vous comptez vous attaquer, a tant besoin de ressources.
Si on considère le système LMD qui devrait permettre de professionnaliser les formations supérieures, est-ce que votre gouvernement a compris que ce système ne peut pas s’implanter sans ressources financières ? Le LMD nécessite des allocations budgétaires plus importantes pour permettre de mieux équiper les établissements de formation et de les adapter à un accompagnement des étudiants qui pourront ainsi acquérir de vraies compétences professionnelles.
Alors dites-nous ce que vous avez fait dans ce sens. Dites-nous pourquoi nos universités ont fait faillite : nous savons tous que les salaires des enseignants sont payés jusqu’alors grâce au soutien des institutions bancaires. Vos assises permettront de trouver de vraies solutions aux vrais problèmes ?
Vous finissez votre discours par un bilan. Bien évidemment, Monsieur le Président, vous avez posé des actes positifs. Nul ne dit le contraire car depuis 2005, même si nous avons perdu beaucoup de temps, certaines choses ont été faites. Vous rappelez « l’élection du Togo au Conseil de sécurité des Nations Unies » (la ménagère dont les enfants ont faim vous remercie car cela va lui remplir son panier) ; « 4000 jeunes diplômés ont trouvé un emploi, à travers le Programme pour le volontariat national et le programme Appui à l’insertion et au développement de l’embauche » : vous oubliez toutes ces millions d’âmes qui attendent de trouver un emploi dans les villages et les villes.
Demandez à l’ANPE quels sont les chiffres du chômage dans notre pays. Vous présentez comme un succès hors du commun « le programme de relance du secteur agricole, qui a permis une production céréalière excédentaire depuis quelques années ».
Là vous réécrivez l’histoire car le président Eyadéma avait depuis les années 70 lancé la Révolution Verte et on nous l’avait déjà présentée comme un succès. Enfin, vous vous glorifiez du fait que « la ville de Lomé a connu en quelques années de profondes métamorphoses, grâce au réaménagement du réseau routier ».
Combien de km de bitume avez-vous à votre actif monsieur le Président ; à l’inverse combien de centaines de km de bitume se sont dégradées dans les villes de l’intérieur ?
La métamorphose de la ville prend-elle en compte les marchés brûlés, les eaux stagnantes dès qu’une petite pluie tombe, les réseaux routiers inachevés (Boulevard Maman Ndanida), l’absence de viabilisation des quartiers, l’absence d’aires de jeu...
Faites un tour chez nos voisins et je vous assure que vous hésiterez à parler de « profondes métamorphoses de la ville de Lomé ».
Alors que reste-t-il ? Un discours d’une petite transparence gélatineuse et sans vertu aucune qui n’augure rien de bon pour mon pays.