Le seul fait d’avoir fixé ce délai de douze jours pour faire des réformes aussi déterminantes pour le devenir du pays laisse clairement voir que le nouveau dialogue aussi, comme les précédents, n’est qu’un « faire semblant » pour permettre au régime de continuer de se maintenir en place.
I- Un dialogue qui a la prétention de résoudre les problèmes institutionnels du Togo en l’espace de 12 jours est une aberration.
1- Le dialogue tant réclamé pour les réformes constitutionnelles et institutionnelles par les partis et organisations du courant majoritaire de l’opposition est donc ouvert le 19 mai 2014. Il est prévu pour durer jusqu’à la fin du mois de mai, soit pendant 12 jours seulement.
Les sujets devant faire l’objet des discussions pendant ce laps de temps sont au nombre de 12. Figurent en plus parmi eux des sujets aussi importants que le régime politique, la Cour constitutionnelle, la HAAC, le mode de scrutin, la durée et la limitation du mandat présidentiel, et d’autres encore ! C’est une aberration. Conscient de cette anomalie, le dialogue a décidé le 27 mai de traiter trois sujets par jour, pour pouvoir clôturer les travaux le 31 mai conformément à l’échéance fixée.
2- Les parties prenantes au dialogue sont en fait les partis représentés à l’Assemblée nationale. Ce sont l’ADDI, l’ANC, le CAR, l’UFC et l’UNIR, le parti du régime en place. C’est en réalité un dialogue entre l’UNIR (le régime) et les partis de l’opposition parlementaire. Autrement dit, c’est l’Assemblée nationale qui procède aux réformes comme avait prévenu Faure Gnassingbe, même si le dialogue se déroule dans les locaux de Togotélécom.
3- Le dialogue n’est donc pas le dialogue « inclusif » réclamé par certains partis inquiets de se voir marginaliser du processus politique par leurs concurrents. On se retrouve dans le cas de figure du CPDC dont la contestation par les partis non parlementaires du courant dominant avait donné l’occasion au régime de faire du dilatoire en créant le CPDC rénové. Et de fait, le CPDC rénové n’a jamais été qu’un os jeté dans la basse-cour pour occuper les partis d’opposition comme le régime sait si bien le faire.
4- Les représentants des partis d’opposition impliqués dans le processus affirment d’une voix égale qu’ils se sont réjouis de voir le dialogue se tenir enfin. Et ils ont tous fait la profession de foi de travailler pour son succès. « Le gouvernement sera présent, mais ne participera pas aux travaux. Il jouera le rôle de facilitateur » aurait déclaré le Premier ministre !
5- Après quatre jours de discussion, les parties prenantes semblent s’être mises d’accord sur la question de la présence d’un facilitateur en la personne de Mgr Barrigah.
Mgr Nicodème Barrigah, rappelons-le, était déjà la personnalité choisie par le régime pour conduire les travaux de la « Commission Vérité, Justice, Réconciliation » (2009 à 2011), une autre stratégie du pouvoir pour gagner du temps. Il fut ensuite, en 2012, ensemble avec l’Ambassadeur des Etats-Unis, le coorganisateur du simulacre de dialogue monté, de part et d’autre, pour permettre aux partis du collectif « Sauvons le Togo » et à ceux de la coalition ARC-EN-CIEL de se précipiter dans le processus électoral catastrophique du 25 juillet 2012, comme on l’a vu.
II- Devant le nouveau dialogue, la CDPA-BT attire l’attention de ses membres et de ses sympathisants sur les fais suivants :
1- Le dialogue aussi se déroule dans les mêmes conditions que les précédents. Le rapport des forces régime/opposition est resté le même. Il était devenu défavorable aux partis d’opposition après la restauration violente du pouvoir par Eyadèma le 2 décembre 1991 et le dialogue paritaire de juillet 1992. Depuis ces longues années, il n’a pas changé en faveur de l’opposition. Au contraire.
Il lui est devenu encore plus défavorable, du fait de la politique d’opposition conduite par le courant majoritaire de l’opposition depuis 2010, et du fait des conditions déplorables dans lesquelles les partis du CST et ceux de la coalition ARC-EN-CIEL se sont précipités dans le scrutin du 25 juillet 2013.
2- Le dialogue s’ouvre dans la confusion qui a toujours marqué la politique d’opposition, et dont le régime a toujours tiré profit à chaque fois pour se consolider.
Par exemple, à quel titre un parti comme l’UFC participe-t-il aux discussions ? Au titre d’un parti d’opposition ou au titre d’un parti allié au régime ?
Le dialogue n’est pas « inclusif ». Il est sensé se dérouler entre la majorité agissant au nom du régime et les partis de l’opposition parlementaire. Et pourtant, on a vu des partis non parlementaires du groupe ARC-EN-CIEL siéger à l’ouverture des travaux le 19 mai. Est-ce le CAR qui siège au parlement ou le regroupement ARC-EN-CIEL ?
En tant que dialogue « exclusif » entre la majorité et l’opposition parlementaire, pourquoi est-il domicilié dans les locaux de Togotélécom et non pas à l’Assemblée ?...
Des interrogations sans importance ? Pas tant que cela. La lutte d’opposition a besoin d’être transparente pour permettre à la masse des opposants de s’y retrouver et de la soutenir sans défaillance.
3- Au sujet du temps alloué au dialogue, le pouvoir et les partis d’opposition impliqués peuvent toujours se mettre d’accord sur le besoin de poursuivre les discussions au-delà du 31 mai. Soit. Mais l’état du rapport des forces laisse au régime la latitude de mettre un terme au dialogue à partir de la fin de l’échéance fixée sous prétexte que les discussions traînent en longueur. Que ferait l’opposition parlementaire dans ce cas ?
4- En admettant même qu’un consensus s’établisse sur la nécessité de donner plus de temps aux discussions, il est tout simplement ahurissant d’accepter, dans la situation politique où se trouve le pays depuis des années, l’idée de faire en 12 jours les réformes essentielles exigées par le changement politique auquel aspire la grande masse de la population.
La décision, prise au cours de la séance du 27 mai, de traiter trois sujets par jour pour pouvoir « boucler » la liste dans le temps imparti n’atténue pas ce sentiment d’ahurissement ; elle l’accentue. La nécessité de reconsidérer les institutions en vigueur pour ouvrir la voie au changement démocratique est une question trop grave pour qu’on se permette de donner l’impression d’en faire une question sans importance, « pour aller vite ».
5- Le seul fait d’avoir fixé ce délai de douze jours pour faire des réformes aussi déterminantes pour le devenir du pays prouve que le nouveau dialogue aussi, comme les précédents, n’est qu’un « faire semblant » pour permettre au régime de continuer de se maintenir en place, et à la fraction de l’opposition qui lui a servi de béquilles jusqu’à présent de continuer de jouer ce rôle au détriment des intérêts de la grande majorité des Togolais.
III- Le dialogue et la ligne politique de la CDPA-BT
En sa qualité de parti d’opposition, la ligne politique de la CDPA-BT lui impose de n’accepter aucune pratique politique ou aucune prise de position tendant à empêcher la lutte d’opposition d’atteindre son objectif. Fidèle à cette ligne, la direction de la CDPA-BT déclare ce qui suit.
1- Le Bureau Exécutif du Parti met en garde les membres et les sympathisants de l’organisation contre la débordante satisfaction dont font preuve les parties prenantes au dialogue ; ils ont toujours été satisfaits de prendre part à chacun des dialogues passés qui, au bout du compte, ont toujours servi à conforter le régime en place au détriment de l’opposition démocratique. A cet égard, il est rassurant de voir qu’une fraction importante de la masse des opposants ne se fait pas d’illusion quant à l’issue de ce nouveau jeu politique.
2- Il est évident qu’en raison de la nature du problème politique togolais, un dialogue entre l’opposition et un régime qui n’entend nullement quitter le pouvoir, ne peut trouver, en l’espace de 12 jours, les réponses appropriées à des problèmes institutionnels et constitutionnels si complexes, qui ont en plus empêché jusqu’à présent la réalisation du changement démocratique auquel la grande masse du peuple aspire depuis tant d’années.
3- Au demeurant, dans les conditions particulières de la vie politique togolaise actuelle, l’objet de ce dialogue ne saurait être pour l’opposition un replâtrage institutionnel sous l’impulsion d’ambitions privées rivales. Le régime avait monté les institutions en vigueur pour se maintenir au pouvoir de génération en génération.
4- On ne peut pas réaliser le changement en se contentant de reformer des institutions imposées par le régime pour se pérenniser. Et on ne peut le réaliser d’autant moins en acceptant de faire ces réformes sous la houlette du régime et dans un rapport de force défavorable à l’opposition. Ce n’est pas par la voie réformiste que nous pouvons résoudre le problème politique togolais ; c’est par la voie du changement politique.
Comment arriver à créer les conditions pouvant permettre d’inventer et de mettre en œuvre les institutions d’un régime politique démocratique, et les accompagner de dispositions requises pour assurer leur fonctionnement normal et durable ? C’est la vraie question sur laquelle les partis d’opposition doivent mobiliser la masse des opposants.
Tant que la politique d’opposition dominante (celle du courant majoritaire de l’opposition) continuera de faire tourner en rond l’opposition toute entière et d’empêcher ainsi le combat pour la démocratie d’aboutir, la CDPA-BT continuera inlassablement de dire les mêmes choses et de faire les mêmes propositions au risque d’être accusée de se répéter.
Dans cet esprit, notre parti réaffirme que pour l’opposition, les problèmes les plus importants aujourd’hui continuent d’être ceux du rapport des forces politiques, d’une claire formulation de l’objectif de la lutte et de l’organisation de la mobilisation de masse, avec des actions politiques de masse.